ABDELLAH CHANKOU
L’exécutif a fait marche arrière sur son projet de loi 54.23 visant à faire basculer la CNOPS dans le régime CNSS face à la levée de boucliers provoquée dans les milieux syndicaux et mutualistes. Figurant à l’ordre du conseil du gouvernement de jeudi 19 septembre, ce texte a fait l’objet d’un report pour permettre, selon le porte-parole du gouvernement « un débat approfondi sur ses implications ». Celles-ci sont aussi nombreuses que fâcheuses. Adopter ce texte en l’état c’est porter une atteinte à une disposition constitutionnelle ( article 31) qui a élevé « la solidarité mutualiste », un cas unique au monde, au rang de droit au même titre que « la protection sociale et la couverture médicale » que le gouvernement est supposé défendre et consolider.
Au-delà de cette contradiction, jeter la CNOPS dans les bras de la CNSS revient à prendre le risque de remettre en cause les acquis sanitaires de 3 millions de fonctionnaires et leurs ayant-droit aussi bien termes de taux de remboursement que de prestations de soins. Sans oublier les diverses prestations fournies par les mutuelles dans le domaine des œuvres sociales en faveur de leurs adhérents et leurs familles. En clair, ces derniers ont beaucoup à perdre en tombant à leur corps défendant dans l’escarcelle du secteur privé qui n’offre pas autant d’avantages. De quoi alimenter les raisons de la colère et même-au-delà… Ce n’est pas là en tout cas la trajectoire de la généralisation de la protection sociale voulue par le souverain comme pilier de l’État social à travers un accès équitable de tous les Marocains aux soins de santé. Or, l’atteinte de cet objectif fondamental est tributaire non seulement de l’adhésion aux différents régimes (Travailleurs non salariés, TNS, Amo Tadamon, ex-Ramed et Amo Achamil) mais aussi et surtout de la solvabilité des adhérents aux revenus instables ou nécessiteux. Les régimes dont relève cette catégorie , essentiellement Tadamoun, évoluent sous la menace du déficit, du fait que cette tranche représentant le gros de la population , inscrite au Registre social unifié (RSU, pose un sérieux problème de recouvrement des cotisations qui concerne aussi une partie des TNS exerçant une activité saisonnière ou informelle.
Dans un pays qui a du mal à contenir l’extrême pauvreté, l’informel et la détresse sociale dans des proportions tolérables, le système national de protection sociale, fondé sur la logique assurantielle, est-il véritablement adapté à la réalité marocaine ?
Entre ceux qui parmi les professions libérales (TNS) se livrent par malice à la sélection adverse en ne s’immatriculant à la CNSS que lorsqu’ils sont atteints d’une maladie longue durée financièrement coûteuse et ceux qui sont aux prises avec la précarité au quotidien en raison de revenus faibles ou irréguliers, le défi majeur auquel sont confrontés les pouvoirs publics réside plus que jamais dans la pérennisation de l’AMO de toutes les catégories d’assurés. Comment ? en faisant en sorte de maintenir au moins un équilibre entre les ressources et les dépenses dans les nouvelles branches, sachant que la seule à dégager un excédent d’un peu plus de 44 milliards de DH est l’AMO historique des salariés.
C’est en étant conscient de cette menace réelle qui pèse sur le dispositif national de solidarité que le gouvernement envisage d’introduire le fameux ATD ( Avis à tiers détenteur) dans les outils de recouvrement de la CNSS. Il s’agit d’une arme à double tranchant dont le versant contreproductif est de pousser les détracteurs de cette mesure à vider leurs comptes en banque et d’accentuer la crise de confiance dans les institutions.
Dans un pays qui a du mal à contenir l’extrême pauvreté, l’informel et la détresse sociale dans des proportions tolérables, le système national de protection sociale, fondé sur la logique assurantielle, à savoir l’obligation pour les assurés de cotiser pour accéder aux soins et bénéficier des prestations sociales, est-il véritablement adapté à la réalité marocaine ? N’aurait-il pas été plus pertinent et judicieux de développer un modèle basé sur la solidarité, à l’image de l’espagnol financé en grande partie par l’impôt dans le secteur public et d’investir, comme c’est le cas chez le voisin ibérique, dans un réseau d’hôpitaux et de soins de qualité ? Ces centres dispensent des services de soins primaires aux familles, des prestations de médecine générale, des services de pédiatrie et même de kinésithérapie…Au Maroc, on en est évidemment loin en raison d’une gouvernance publique chroniquement défaillante qui impacte le système de soins dans les hôpitaux. Cette triste réalité, entretenue principalement par la démotivation du personnel soignant, profite évidemment au secteur privé qui se positionne comme le principal bénéficiaire des ressources de l’AMO. Recoupant la vision néolibérale du FMI et de la Banque mondiale dans le domaine des secteurs sociaux, cette situation dessine les contours d’un désengagement de l’Etat de la santé. Avec tout ce que cette marchandisation présente comme problèmes potentiels dans l’accès des plus fragiles à des soins de qualité. Cette approche fait triompher
un système à deux vitesses, à l’image de celui déjà installé dans l’enseignement, dont le Maroc est champion. Pour bénéficier d’un service de qualité en éducation ou en santé, les Marocains doivent recourir au privé et accepter de se saigner aux quatre veines…Faute de quoi, ils sont condamnés dans l’un comme l’autre secteur à se coltiner des prestations au rabais…