La seule fois où l’Agence nationale des eaux et forêts (ANEF) s’est mobilisée c’était pour lancer en février 2024 une opération intrigante d’abattage de centaines d’arbres d’eucalyptus…
Le Secrétariat général du gouvernement (SGG) avait mis en ligne, en octobre 2023, sur son site Internet, un avant-projet de loi n° 21-22 portant sur la protection des forêts et leur développement durable. Élaboré par les services du ministère de l’Agriculture, ce texte
« s’inscrit dans l’esprit des conventions internationales relatives à la préservation des ressources naturelles, la diversité biologique, la lutte contre la désertification et les changements climatiques, ratifiées par Maroc». Le texte comporte une série d’articles qui réglementent l’exploitation des ressources forestières, pénalisent les délits forestiers et encadrent les activités liées à la forêt et son environnement. Mais un point particulier du projet de loi rencontre l’opposition ministre de l’Intérieur Abdelouafi Laftit et concerne les prérogatives octroyées au directeur général de l’Agence nationale des Eaux et forêts ( ANEF) dans la gestion du domaine forestier national. M. Laftit qui n’est pas né de la dernière branche n’est pas sans ignorer les dérives dont est potentiellement porteur ce pouvoir d’agir sans contraintes ni garde-fous conféré au patron de l’Agence Abderrahim Houmy, un homme proche du ministre de tutelle Mohamed Sadiki, qui a fait l’essentiel de sa carrière au ministère de l’Agriculture dont il occupé le poste de secrétaire général…
S’étirant sur quelque 9 millions d’ hectares, la forêt marocaine contribue grandement à la diversité écologique du Maroc. En plus de son rôle de poumon et de régulateur du climat dans un contexte de réchauffement de la planète, elle représente un secteur économique à part entière. C’est un trésor qui n’a pas de prix qu’il faut protéger non seulement contre toutes les formes de négligence mais aussi et surtout de la prédation immobilière. Depuis que des projets immobiliers de luxe ont été implantés en pagaille dans le domaine forestier, notamment à Bouskoura et ses environs, la forêt est devenu en effet l’objet de fortes convoitises des bétonneurs de tout poil qui n’ont aucun scrupule à développer leur business au détriment de l’écosystème forestier.
Est-ce d’ailleurs un hasard si la forêt de Bouskoura ( Voir vidéo ) se meurt en silence dans l’indifférence de l’Agence des eaux et forêts et des autorités locales ? Pourquoi les responsables sont-ils de bois devant ce spectacle de désolation ? Mais que cache ce qui ressemble, pour tout esprit sensé, à une négligence délibérée? Depuis plusieurs semaines, des pins de plusieurs mètres sont à terre, obstruant le passage. D’autres arbres de la même famille sont dans la même situation, brisés au milieu. D’autres encore menacent de tomber, tellement ils sont devenus secs et penchés.
Triste décor
Plus grave encore, pas un seul point d’eau pour arroser le seul poumon de Casablanca en attendant l’arrivée des pluies ! Faute d’arrosage et d’entretien, les nouveaux petits arbres sont en train de mourir à leur tour par certains endroits. Une campagne de débroussaillage est également nécessaire au vu de la densité de la végétation formée essentiellement de feuilles et des branches mortes qui jonchent le sol forestier. Lieu s’étirant sur 2.992 hectares peuplés de pins d’Alep, d’acacias et d’eucalyptus, endroit incontournable pour les amateurs de jogging, du vélo ou des balades en famille, la forêt de Bouskoura qui jouxte la « Ville verte» de Nouaceur a besoin d’une véritable reprise en main qui tarde à venir.
Plus grave encore, pas un seul point d’eau pour arroser le seul poumon de Casablanca en attendant l’arrivée des pluies ! Ce triste décor n’est pas la conséquence du changement climatique mais d’une négligence coupable de l’Agence nationale des eaux et forêts (ANEF), qui a succédé en 2002 au Haut-Commissariat des eaux et forêts et à la lutte contre la désertification. La seule fois où l’ANEF, dont les comptes ont été auscultés par la Cour des compte qui s’est intéressée particulièrement au marché juteux du boisement et du reboisement, s’est mobilisée c’était pour une opération d’abattage d’arbres d’eucalyptus et de pins lancée en février 2024. Pendant plusieurs semaines, un groupe de bûcherons s’est livré à l’arrachage de plusieurs dizaines d’arbres. Devant les questions et les critiques soulevées par cette affaire sur les réseaux sociaux, le service communication de l’agence s’est fendu d’un communiqué justifiant ce qui ressemble à un massacre par l’apparition d’un champignon qui s’attaque aux pieds et aux racines des arbres ! Mais, fait troublant, aucune action de reforestation n’a été entreprise jusqu’à ce jour par l’ANEF sur le terrain de quelques hectares désormais dénudé, situé juste en face de la cité du cheval de la société royale d’encouragement au cheval ( Sorec). Et si cette opération visait à dégager de la place à un chanceux promoteur immobilier ou hôtelier ? C’est ce que laisse en tout cas entendre une rumeur qui circule dans certains cercles d’initiés … L’heureux élu finira par sortir du bois.
Programme de réhabilitation de la forêt de Bouskoura : 110 millions de DH et ce n’est pas un chèque en bois!
Initié par Casa aménagement, le programme d’aménagement de la forêt de Bouskoura-Merchich d’une enveloppe de 110 millions de DH répartie comme suit: 40 MDH ( Direction des collectivites locales ), 40 MDH ( Haut-Commissariat aux eaux et forêts et à la lutte contre la désertification en sa qualité de maître d’ouvrage ) et 30 MDH ( région de Casablanca-Settat. Mais au vu du résultat final, le projet, dont les travaux ont démarré en 2016, a tourné au massacre et à la gabegie. Certes, plusieurs équipements collectifs comme les aires de jeu pour enfants et les agrès sportifs très basiques ont été installés mais d’autres comme les parcours sensoriels ou la clairière ludique n’ont pas été livrés à ce jour . Plus étonnant et grave encore, les sanitaires ne sont pas ouverts au public ! Si une envie pressante de faire vos besoins vous prend en pleine marche, pas d’autre alternative que les bois! Pas de possibilité non plus de se déshydrater ou de sustenter sur place faute de restaurant pourtant mentionné dans la liste des projets prévus.
Les vigies de la forêt parlent de la mise en service prochaine d’un mini train qui ferait le tour de la forêt, histoire de proposer une véritable attraction pour les enfants. Mais en attendant Godot, une question se pose : Bouskoura serait-il devenu l’arbre qui cache la forêt d’un laisser-aller organisé ?