Agriculture au milieu du gué

Mais qu’est ce qui est arrivé à l’agriculture nationale pour basculer brutalement dans le mode import? La fierté nationale en prend un coup pour un pays qui se veut à vocation agricole. Après les céréales de toutes sortes et une palanquée de fruits importés, voici venu le temps des viandes rouges congelés et de l’huile d’olive! des viandes rouges et de l’huile d’olive ! Difficile à digérer pour les inconditionnels des saveurs incomparables du terroir national qui vont devoir, en plus du pain à base de blé russe, consommer du boeuf des pâturages anglais et l’huile d’olive issues des plantations espagnoles. Faut-il y voir un avant-goût de ce qui nous attend côté produits agricoles aussi ? Voilà qui rendrait en tout cas plus rentable le statut d’agent-importateur subventionné et défiscalisé que le dur métier de producteur aux prises avec une flopée d’incertitudes. Bien des voix sur les réseaux sociaux et les discussions entre amis pointent du doigt le Plan Maroc Vert qui aurait privilégié les gros exploitants tournés vers l’export au détriment du petit agriculteur connecté au marché national. 

Celui-ci s’est retrouvé pris en tenaille entre la cherté des intrants notamment les semences, la rareté des précipitations et l’emprise des intermédiaires qui mettent le feu aux prix des fruits et légumes. Le discours officiel met quant à lui les tribulations du secteur agricole presque exclusivement sur le compte de la sécheresse. Certes, le pays fait face depuis quelques années à un déficit pluviométrique sérieux préjudiciable à l’activité agricole dans son ensemble. Mais est-ce le seul facteur qui explique la déroute de nos champs et de notre élevage ? Et si ses raisons objectives étaient à chercher dans le manque d’anticipation de bien des bouleversements… À commencer par le changement climatique qui met le pays en situation de stress hydrique signalé pourtant depuis plusieurs décennies par des rapports nationaux et internationaux. Or, en dépit de ces mises en garde, rien n’a été entrepris pour sortir l’agriculture nationale de la dépendance du ciel. Notamment dans les zones pluviales (bour) qui représentent près de 70% de la surface agricole utilisée (SAU). Avec en plus des caractéristiques contraignantes comme le morcellement, reconnu comme un frein sérieux pour la modernisation et la compétitivité de l’agriculture.

Les défis considérables qui se posent au secteur aricole imposent une gouvernance agricole différente qui tient compte des nouveaux enjeux dans toutes leurs dimensions.

Dans un contexte où la mondialisation des échanges accentue la concurrence sur les marchés, ce phénomène doit être combattu par des mécanismes comme l’agrégation (prévue dans le Plan Maroc Vert), la formation et l’information qu’il s’agit de promouvoir constamment auprès de la communauté concernée. Un travail de longue haleine et de tous les instants dont dépend grandement l’amélioration de la productivité agricole. Les défis considérables qui se posent à ce secteur hautement stratégique imposent une gouvernance agricole différente qui tient compte des nouveaux enjeux dans toutes leurs dimensions complexes . Pas seulement climatiques et hydriques, ces derniers sont également d’ordre humain dans leur rapport à l’attractivité du travail de la terre pour la jeune génération paysanne, plus attirée par les lumières de la ville que par les tâches champêtres. 

Le challenge est tout aussi technologique. Dans ce domaine, force est de constater que l’agriculture nationale est de plus en plus dépendante des autres. En matière de semences par exemple, le Maroc recourt, c’est connu, principalement aux plants made in Israël pour la culture des tomates et celle d’un large éventail de légumes. En plus d’être chères, ces graines présentent l’inconvénient d’être mono-usage, ne permettant qu’une seule récolte. Quid de la filière semencière nationale qui remonte aux années 20? Est-elle toujours performante et source d’innovation et de progrès? Quelle est sa contribution réelle dans les différentes cultures? Où sont passées les variétés du cru qui faisaient le bonheur des paysans du bour ? L’accès de ces derniers aux semences, à l’ère de la modernisation agricole induite par le Plan Maroc vert, est-il vraiment assuré et à quel prix? Quel est l’apport de la recherche agronomique dans l’émergence de solutions agricoles adaptées aux nouvelles réalités locales?

Autant de questions qui invitent à une réflexion stratégique pour repenser le modèle agricole national qui commence à montrer bien des signes d’essoufflement. Prenez par exemple l’Australie. Ce pays-continent a réussi à braver les conditions climatiques arides en misant sur une agriculture compétitive et technologique, peu gourmande en eau, qui lui a permis de produire des céréales en grandes quantités. La souveraineté alimentaire, concept à la mode utilisé à toutes les sauces, est en jeu. Et avant de parler de sécurité alimentaire, il serait judicieux de se pencher sur la sécurité semencière. Ce sont ces enjeux cruciaux que les performances à l’exportation de certaines filières agricoles aquavores ne doivent pas escamoter afin de corriger là où le Plan Maroc Vert a montré des limites : l’autosuffisance du pays en produits agricoles vitaux et stratégiques ainsi que leur accessibilité à des prix raisonnables.

Tout aussi inquiétante est à cet égard la décapitalisation qui frappe durement la filière animale nationale, victime d’un manque de fourrage due à la sécheresse et de la hausse du prix des intrants. La conséquence de ce fléau est dramatique pour le pouvoir d’achat : la flambée continue des prix des viandes rouges et la décision gouvernementale d’en autoriser l’importation pour réguler le marché après l’échec de la stratégie d’import des animaux vivants. Le grand défi pour l’exécutif réside dans la reconstitution du cheptel et le maintien de sa compétitivité. Le nouveau ministre de l’agriculture a du pain sur la planche.