Tout au long de sa visite d’État de trois jours au Maroc, Emmanuel Macron en a pris plein les yeux sous les lambris du Royaume. Probablement au-delà de ce qu’il espérait. Accueil au son de 21 canons. Tapis rouge. Rues de Rabat pavoisées aux couleurs françaises. Voiture d’apparat. Bain de foule. Last but not least, le président français a eu droit le jour de son arrivée à la signature de plusieurs accords de coopération et de contrats économiques de plusieurs milliards d’euros et cerise sur le gâteau, le privilège de prononcer le lendemain un long et beau discours, finement ciselé, devant le Parlement où il s’est livré, en one man show talentueux, à coups de références historiques, clauses de style et envolées lyriques, à un exercice d’exaltation, voire de sublimation des liens entre les deux pays réconciliés dont il a relaté les temps forts bien avant le protectorat jusqu’à aujourd’hui.
Il faut reconnaître que le Royaume, aux antipodes de ces terres ingrates que M. Macron a cru jusqu’à la dernière minute pouvoir reconquérir en ramenant ses dirigeants repus et arrogants à la raison, a été de tout temps un pays inspirant, qui fascine et enthousiasme… Pour l’accueil de son grand hôte revenu de tout y compris de son égarement, SM le Roi Mohammed VI a fait les choses en grand, à la hauteur de la stature de son royaume millénaire, profondément enraciné dans l’Histoire et très attaché nonobstant les querelles et les malentendus à son partenariat de cœur.
Ainsi va la relation maroco-française dont l’ampleur du renouveau pourrait au passage agacer dans le cercle des voisins amis immédiats du Royaume qui ont été les premiers à reconnaître sa souveraineté sur ses territoires du sud.
Passionnante et passionnée, la relation maroco-française est à l’image de celle d’un vieux couple qui sort paradoxalement renforcé de ses scènes de ménage sporadiques, aux allures d’une forme d’expression revigorante, agissant comme un puissant carburant pour relancer la relation essoufflée et retisser le lien brisé sur de nouvelles bases. La nouvelle base dans la relation Maroc-France, qui a permis son redémarrage, est claire et connue. Elle réside dans l’exigence marocaine, maintes fois formulée, de voir son partenaire français reconnaître la souveraineté du Maroc sur son Sahara et le plan d’autonomie comme seule solution à ce faux-conflit de fabrication algérienne. Ce fut chose faite dans la lettre macronienne du 30 juillet dernier et solennellement confirmée par Emmanuel Macron devant le Parlement. Le motif de la brouille a immédiatement disparu, ouvrant aussitôt la voie à des retrouvailles « historiques », après une longue hésitation de la France de Macron qui a traîné des pieds pour ne pas fâcher sa colonie algérienne.
Or, au Maghreb, un ménage à trois ne fonctionne pas. Surtout lorsque le troisième larron, cadenassé dans le passé transformé de surcroît en « rente mémorielle », a la haine dans son ADN et devient trop toxique pour espérer construire avec lui quelque chose de sain et de positif. Celui qui risquait de perdre le Maroc sans gagner l’Algérie en est désormais convaincu. C’est dans cet état d’esprit frais et neuf, avec l’avenir comme seul horizon de coopération, qu’il a débarqué au Maroc pour « écrire ce livre nouveau [ de la relation bilatérale], un projet qui ouvre à nos peuples, nos économies, un horizon nouveau ». En d’autres termes, business as usual. Bon prince, le Maroc a passé l’éponge. Oubliées les fausses accusations d’écoutes dans la fameuse affaire Pegasus et l’humiliation des visas refusés en pagaille aux Marocains. Oubliées aussi les attaques cousues de fil blanc du Parlement européen contre le Maroc et autres cabales sournoises téléguidées depuis Paris. Côté culturel et linguistique, le Maroc, plus par dépit que par désir de vengeance, était même sur le point de basculer, comme en témoigne l’irruption de l’anglais dans l’espace public, y compris sur des affiches d’événements officiels et des panneaux publicitaires. La France l’a échappé belle. A la faveur de la fin des malentendus, le français sauve sa place privilégiée dans le paysage éducatif national.
Certains peuvent objecter que le Maroc et les Marocains ont la mémoire courte et que les décideurs ont trop concédé à la France de Macron. Mais le Roi Mohammed VI a tenu visiblement à faire table rase du passé, pour que les rapports avec la France retrouvent leur niveau d’excellence de naguère, ce climat de confiance entre deux pays amis et alliés, modèle de complicité postcoloniale, empreinte de chaleur et de convivialité.
Si dans ce retour à la normale, le Maroc gagne surtout la reconnaissance par la France de sa souveraineté sur son Sahara, Paris tire de la refondation de sa relation avec le Maroc des dividendes autant économiques que géopolitiques. De ce côté-ci, le gain est inestimable pour un pays accusé d’être sur le déclin jusque dans des milieux français crédibles, en perte d’influence en Europe et sur la scène internationale et qui a été chassé de ses bastions africains sous diverses accusations ( en gros, pays colonialiste qui exploite l’Afrique). Le rabibochage avec le Royaume dans un tel contexte défavorable au pays de Molières est porteur d’une certaine bouffée d’oxygène dont Paris a véritablement besoin pour retrouver une nouvelle respiration plus sereine, notamment dans cet espace géopolitique vital pour son économie devenu hostile. Ce désir de reconquête du continent africain, M. Macron, qui gagne assurément, en tant qu’artisan de la réconciliation avec le Maroc, des points politiques sur le front intérieur où il s’est fragilisé depuis sa dissolution ratée de l’assemblée nationale, l’a exprimé sans ambages dans son discours devant les députés marocains. « Avec l’Afrique, parce que les lunettes d’hier sont dépassées, nous sommes engagés dans un renouveau de notre relation avec les peuples, avec les États. Et le Maroc, par sa géographie, par son histoire, par sa culture, par la vision de ses souverains (…) sont des atouts inégalables que nous reconnaissons à leur juste valeur, et qui peuvent inspirer bien des initiatives communes ».
En quelques mots, tout est dit. Retour forcé à l’humilité. La France de Macron nourrit désormais l’ambition de revenir en Afrique dans le cadre d’une nouvelle vision débarrassée de son paternalisme devenu contre productif. Non plus en cavalier seul- ce qui est très difficile- mais avec le Maroc, fort de l’ascendant et du leadership africain de son roi, comme partenaire privilégié, crédible et respecté. En somme, une caution chérifienne. Autres temps, autres enjeux !