La majorité des profils qui ont fait leur entrée dans le nouveau cabinet sont à contre-emploi. De quoi se demander ce qu’ils peuvent apporter à un gouvernement pléthorique dont la grande réussite est de multiplier les maroquins pour les copains et les coquins…
Ahmed Zoubaïr
Mais quel est le dénominateur commun des six ministres d’État qui ont fait leur entrée le 23 octobre 2024 dans le cabinet Akhannouch II ? Prévus dans la foulée de la nomination du gouvernement en octobre 2021, ils partagent le fait qu’ils ne justifient d’aucune expertise dans les secteurs qui leur ont été alloués ! Ce qui est en contradiction même avec le statut et le rôle d’un secrétaire d’État. Il s’agit d’un poste technique dont le titulaire est chargé d’un département particulier où il possède une expertise reconnue. Celle-ci lui permet de préparer pour son « ministre politique », qui n’est pas censé être un grand connaisseur du secteur ou les secteurs dont il est le premier responsable, les différents scénarios relatifs à une réforme potentielle jugée stratégique. Et Dieu sait que sur ce plan, le Maroc a besoin de ce genre de profils au gouvernement…
Prenez par exemple Lahcen Essadi. Placé sous la tutelle de sa collègue du RNI Fatima Zahra Ammor du RNI, il s’est fait offrir le secrétariat d’État chargé de l’Artisanat et de l’Économie sociale et solidaire. L’intéressé étant un instituteur de métier, l’on a franchement du mal à déceler en quoi le président de de la jeunesse du RNI, jusque-là président de la Commission des Finances à la première Chambre (!), peut être utile à son nouveau département. Certes, M. Essaadi a pour lui d’être proche de Aziz Akhannouch qui semble apprécier la fougue de son jeune âge. Mais il ne faut pas confondre jeunesse et jeunisme, domaine de compétence et appétence pour le pouvoir.
Patrimoine ancestral qui n’a pas de prix, l’artisanat a perdu en visibilité et partant en importance depuis qu’il a été incorporé dans le portefeuille du Tourisme. Ce secteur, confronté à de multiples défis dont celui de sa perpétuation du fait que de nombreux artisans n’arrivent pas à vivre de leur art, aurait gagné à être dirigé par un profil disposant d’une vision pour le développement de cette filière. Avec comme mission première de réhabiliter le métier d’artisan en lui assurant un revenu stable et décent. L’une des pistes pour y arriver pourrait être l’élaboration d’une loi instaurant un pourcentage des différents savoir-faire artisanaux (boiserie, décoration, tapisserie, ferronnerie, zellige, maroquinerie…) à incorporer dans les bâtiments publics et même à vocation touristique. Alors que son accueil de la Coupe du monde 2030 a fait du Maroc un chantier à ciel ouvert, un tel dispositif législatif, en plus de sa capacité à susciter des vocations, ferait travailler les maâlems et les employés du secteur dont des bataillons ne vivent pas dignement de leur activité faute justement d’une demande qui ne peut être assurée que par une politique institutionnelle ambitieuse. Ce n’est pas normal en effet que le parc immobilier de l’État contient exclusivement des matériaux importés et onéreux alors que le Royaume regorge d’une richesse artisanale reconnue mondialement. Le savoir-faire artisanal est là. Il faut juste l’encourager en le valorisant par la mise en place d’une commande publique conséquente.
Quelle pourrait être la contribution concrète d’un notaire de métier à la grande problématique de l’emploi ? Les raisons de ce choix n’étant pas évidentes, le PAM a peut-être la réponse qui explique son choix de confier ce portefeuille à Hicham Sabiry. Député depuis le scrutin de septembre 2021, ce dernier doit trouver un terrain de collaboration avec son ministre de plein exercice, le très brillant Younes Sekkouri, PAM comme lui, aux prises avec les syndicats sur des dossiers complexes, notamment la réforme du droit de grève. Le choix de faire d’un expert-comptable du nom de Adib Benbrahim un secrétaire d’État chargé de l’Habitat n’est pas plus évident. Conseiller communal dans l’arrondissement Rabat-Agdal, ce spécialiste des chiffres et de l’optimisation fiscale aurait-il inventé la recette magique qui rendra les cités marocaines plus vivables et intelligentes ? Quelle sera sa mission auprès de la ministre de tutelle et patronne au parti Fatima Zahra Mansouri ? Le secret est entier. Pour sûr, il saura en bon compteur des briques trouver son compte…
Comme ses deux partenaires du gouvernement, l’Istiqlal a placé deux secrétaires d’État. Le premier, Abdeljabbar Rachidi, est un journaliste de profession, qui a fait carrière dans la presse arabophone du parti après avoir été «cabinard» auprès de plusieurs ministres istiqlaliens. Il est désormais secrétaire d’État chargé de l’Insertion sociale sous l’autorité de la nouvelle ministre de la Solidarité et de la Famille, Naima Banyahia, issue du même parti que lui.
C’est un pharmacien de métier, l’Istiqlalien Omar Hejira, qui a rejoint le nouveau cabinet pour s’occuper du Commerce extérieur auprès du ministre de l’Industrie et du Commerce Ryad Mezzour. A contre-emploi dans ce poste, il aurait été certainement utile au ministère de la Santé dans le cadre d’une réorganisation de l’activité des pharmacies d’officine dont les revendications restent en suspens depuis des années.
La nomination de celui officie comme président du groupe parlementaire de l’Istiqlal en remplacement de Noureddine Mediane dont les activités partisanes ont été gelées pour son implication dans un scandale sexuel, a été accueillie par une salve de critiques. Et pour cause…L’intéressé a été condamné en qualité de président de la commune d’Oujda dans un scandale de détournements de fonds publics. Avant d’être blanchi en appel (Fès) en juillet 2023 tout comme ses coaccusés dont le PAM Abdenbi Bioui, ex-président de la région de l’Oriental, qui croupit en prison dans l’attente de son procès pour trafic de drogue.
Le seul secrétaire d’État qu’il faut à la place qu’ il faut est Zakia Driouich du RNI, promue à la Pêche maritime dont elle était jusque-là secrétaire général du ministère. Mme Driouich a fait toute sa carrière dans cette filière dont elle connaît les arcanes pour avoir piloté entre autres dossiers la stratégie Halieutis. Seule ombre au tableau, elle est atteinte depuis plusieurs années par la limite d’âge et ce portefeuille aurait certainement gagné à se faire injecter du sang neuf au lieu d’être confié à une femme blasée qui compte les jours qui passent…
Mais la pêche aux profils au Maroc obéit généralement à d’autres considérations qui sont aux antipodes de la compétence, de la méritocratie et de l’efficacité. Au nom de la satisfaction d’ambitions personnelles et de récompense des fidélités, on prend les mêmes et on recommence, selon la fameuse règle de » Ôte-toi de là que je m’y mette! ». A part ça, tout va bien dans le meilleur des gouvernements pléthoriques, particulièrement doués quand il s’agit de multiplier les maroquins pour les copains…