Business virtuel : Le marketing d’influence rattrapé par le fisc

Tirant des revenus colossaux de leurs activités en ligne, influenceurs, youtubeurs et autres créateurs de contenus ont longtemps échappé au paiement de l’impôt. Ce n’est plus possible. 

Ahmed Zoubaïr

Au rang des métiers qui rapportent beaucoup sans coup férir figure le marketing d’influence. Ses adeptes sont appelés des influenceurs. Ce sont des gens qui diffusent des contenus publicitaires sur les réseaux sociaux en orientant les modes de consommation de leur public. Celui-ci est formé de millions d’abonnés sur YouTube, Instagram, Snapchat ou TikTok. Plus un influenceur affiche de followers (suiveurs ou suivistes) parfois fake, plus il a la cote auprès des annonceurs et voit potentiellement ses gains augmenter en réalisant des story (récit), en fait de la réclame en ligne. A l’ère numérique, les influenceurs, qui contribuent à alimenter un imaginaire de surconsommation, sont rémunérés par des marques pour recommander leurs produits en pesant sur les choix de leurs fans. Le phénomène a explosé au cours de ces dernières années aux quatre coins du monde, représentant un marché de plus de 13 milliards de dollars en 2021.

Le Maroc n’est pas en reste où a prospéré une communauté d’influenceurs et d’influenceuses, attirée par l’appât du gain. Pas besoin d’une formation particulière, ni d’investissement important, il suffit juste d’avoir un peu de bagout, un joli minois, créer une chaine YouTube ou un compte Instagram et le tour est joué…

Toutes sortes de produits sont promues. Cosmétique, hôtellerie, restauration, voyages, immobilier,….Pas un secteur qui n’échappe aujourd’hui à l’influence. Même les petits projets qui démarrent y recourent pour se faire connaître et espérer attirer du chaland. Pas d’exigence particulière à ce niveau-là, nombre d’influenceurs font en aveugle la promotion de tout et de n’importe, pourvu que le paiement suive. Les influenceuses les mieux cotées mènent la belle vie. Sans bourse délier. Voyages à l’étranger pour faire la promotion d’une destination ou d’une croisière et obtention à l’œil de produits dont elles font la promotion. 

Certains adeptes de ce métier se sont même transformés en parents influenceurs en mettant en avant dans leurs publications leurs enfants et leur vie de famille dont ils font une source de profit. Dans cet univers à part, pas d’état d’âme, tout est monétisable. Et du profit, il y’en a. L’argent, un peu facile, coule à flots. Au-delà de ce que l’on peut imaginer. Même s’ils n’atteignent pas le niveau de leurs confrères occidentaux qui se chiffrent par plusieurs centaines de millions de dollars, les revenus annuels des influenceurs marocains sont exorbitants, pouvant atteindre entre 100.000 et 150.000 DH par mois.

Ils le sont d’autant plus qu’ils ont longtemps échappé au paiement de l’impôt, transitant souvent via des circuits en ligne qui alimentent des comptes à l’étranger. Des fortunes colossales se sont ainsi construites à l’ombre de la Toile et en dehors de tout contrôle fiscal.

Alertée par cette situation d’évasion fiscale qui commence à, la Direction générale des impôts (DGI) a décidé de faire entrer, comme c’est le cas en Occident depuis plusieurs années, l’influence commerciale dans le champ de la contribution fiscale au même titre que les autres activités professionnelles. Dans cette optique, l’administration fiscale a pris le temps d’adapter son outil de contrôle à l’ère de la technologie numérique avec son économie spécifique qui présente des caractéristiques bien différentes par rapport à l’économie traditionnelle comme la non-localisation des transactions, le rôle essentiel des plateformes et l’exploitation de la data. Ce qui modifie en profondeur la chaîne de création de valeur, rendant difficile l’application du cadre fiscal classique aux activités digitales. En 2023, plus d’une centaine d’influenceurs ont été surpris de recevoir des avis envoyés par la DGI leur demandant de régulariser leurs situations relatives aux trois dernières années. Fini l’anonymat et ses privilèges indus. Ils sont désormais connus et identifiés.

Ce qui n’était pas du goût des intéressés qui croient que la virtualité qui leur permet de s’enrichir les dispense de se soumettre à la réalité fiscale et des obligations la réalité tout court. Ils s’en « fisc » ? Ils ont tort. Le projet de loi de finances 2025 a institué pour la première fois, au nom de l’équité fiscale, un taux d’imposition de 30% sur les gains des influenceurs, youtubeurs et autres créateurs de contenus en ligne. De son côté, l’Office des changes, qui s’est dotée d’une cellule spécialisée, traque désormais les comptes bancaires ouverts par ces derniers à l’étranger, les obligeant à déclarer leurs revenus à l’étranger auprès de leur banque basée au Maroc afin de se conformer à la réglementation nationale en vigueur. Le marketing d’influence et ses opérateurs en ligne sont obligés de changer de ligne…de conduite.

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