Abdellah Chankou
Contre le gel de leurs pensions, les retraités ont décidé de bouger. Et pas qu’un peu. Une nouvelle journée de mobilisation a eu lieu le 30 novembre, suite à l’appel du Réseau marocain des organismes de retraites (REMOR).
Retrouvant une seconde jeunesse dans le combat de leur vie de labeur et de sacrifices, les retraités enchaînent les sit in devant le Parlement et battent le pavé dans les rues de la capitale. Venus des quatre coins du pays, ils crient des slogans et agitent des banderoles pour exprimer leur revendication, une seule : la revalorisation de leurs pensions gelées depuis plus de deux décennies . Une revendication légitime dans un contexte de vie chère qui a contribué à la dégradation de leurs conditions de vie déjà difficiles, voire à l’appauvrissement de nombreux seniors dont les allocations ne couvrent pas les besoins essentiels. «Le montant des retraites n’a pas bougé alors que le coût de la vie a augmenté», dénoncent- ils à l’unisson.
Seule la Caisse interprofessionnelle marocaine de retraite (CIMR), qui arrive à maintenir l’équilibre et la pérennité de son système, applique, conformément à l’article 27 de son règlement général de retraite, une revalorisation des pensions de ses affiliés fixée à un taux de 1,50% à partir de juillet 2024. Ce qui n’est pas le cas des régimes du public comme la CMR en situation de déficit structurel depuis de nombreuses années.
Si les retraités entrés en contestation ont accepté de se coltiner plusieurs centaines de kilomètres alors que leur âge ne leur permet pas de supporter ce genre de voyages de désagréments, ce n’est pas de gaieté de cœur. C’est qu’ils ont très mal à cause de la dévalorisation continue de leurs pensions. Exclus des rounds du dialogue social, absents de l’agenda des syndicats, vulnérables face à la flambée des prix, ils sont persuadés qu’ils sont victimes d’une grande injustice sociale.
Exclus des rounds du dialogue social, absents de l’agenda des syndicats, vulnérables face à la flambée des prix, les retraités sont persuadés qu’ils sont victimes d’une grande injustice sociale.
C’est pour attirer l’attention du gouvernement sur leur situation sociale très difficile qu’ils ont décidé de poursuivre la mobilisation. Jusqu’à ce que leurs réclamations soient prises en compte. Il s’agit principalement de la défiscalisation des pensions de retraite sur laquelle les retraités de base viennent d’obtenir gain de cause et leur revalorisation à hauteur de 2.000 DH par mois. Le minimum pour avoir une retraite décente et finir ses jours dans la dignité. La moindre des choses pour ceux qui ont travaillé toute leur vie en faisant moult sacrifices. Si le Maroc est un Eldorado pour les retraités étrangers notamment français qui y mènent une vie de rêve grâce à leur pension qui dépasse en moyenne 2000 euros par mois, il ne l’est guère pour la majorité de ses seniors livrés, eux, en raison de leurs allocations de misère, au dénuement et à l’ennui.
Au Maroc, il ne fait pas bon être une personne âgée. A moins d’avoir eu les moyens pendant la vie active d’assurer ses arrières en achetant par exemple des points de retraite, le troisième âge est synonyme de rejet, de marginalisation et de tristesse. Ils sont ainsi plus de 3 millions de Marocains de 60 ans et plus, à subir les tourments matériels de la vieillesse. Et si la maladie surtout chronique s’en mêle, il vaut mieux implorer la délivrance pour éviter les affres de l’attente chez les médecins, le parcours ( de combattant) des soins et leur caractère onéreux.
Certains sont un fardeau pour leur famille, alors que d’autres vivotent dans la pauvreté et l’exclusion. Être vieux au Maroc c’est crapahuter dans un monde sans infrastructures adaptées « aux spécificités des personnes âgées », avait indiqué dans un avis publié en en 2015 le Cese qui a aussi pointé du doigt un « espace public urbain [qui] ne favorise ni la mobilité, ni une vie sociale épanouie » pour cette catégorie de la population. Une décennie plus tard, force est de constater que rien n’a été entrepris par les pouvoirs publics pour leur faciliter la vie en guise de gratitude…Une politique du grand âge, un autre angle mort ( qui s’ajoute à celui de la jeunesse) des stratégies gouvernementales, a pourtant largement sa place dans un Maroc réputé pour sa culture de solidarité bien enracinée dans la société.
A l’échelle locale, le désintérêt est tout aussi sidérant. Pas une seule commune n’a pensé à créer ne serait-ce qu’un club dédié où nos ainés peuvent se rencontrer ou pratiquer des activités adaptées à leur âge au lieu de les condamner à jouer aux cartes ou au jeu de dames dans la rue…C’est la triste image qui colle aux retraités et aux seniors. Il est grand temps de la changer par l’incorporation d’un programme de réhabilitation du grand âge dans toutes ses dimensions dans le vaste chantier de la protection sociale. Nos aînés le valent bien!