Agences de voyages : A propos de la Loi 11/16

Fouzi ZEMRANI

A partir de ce jour, toutes les agences de voyages marocaines doivent être en règle avec la nouvelle loi promulguée par le Dahir 01.18.107 du 9 Janvier 2019 dont le DECRET d’application à été publié par le Dahir 2.11.80 du 23/08/2022. Ainsi, la loi 31.96 est abrogée et remplacée par la Loi-11-16 à laquelle toutes les agences de voyages nationales existantes doivent se soumettre afin de renouveler leurs licences et pouvoir continuer à exercer leur métier en toute sérénité.

Pour ce faire, le Ministère du Tourisme a mis en place une plateforme digitale et a délégué les formalités d’obtention de licences à ses délégations régionales. Ainsi la démarche est quasi virtuelle et gagne en transparence. Il en est de même pour les modalités d’obtention de licence qui sont ainsi facilitées et permettent à toute personne qui veut entreprendre dans ce domaine de le faire sans aucune contrainte à partir du moment qu’elle pense disposer des capacités intellectuelles, morales et financières pour le faire.

Comme je le disais dans un précèdent post publié en Janvier 2016, cette nouvelle loi, largement inspirée de la loi française qui en 2016 a affranchi les aspirants au métier d’agent de voyage de toute aptitude ou diplôme. La délivrance de la licence était soumise à une assurance Responsabilité Civile Professionnelle et une garantie financière. De plus, il n’y a plus d’exclusivité, ce qui veut dire que l’entreprise peut faire autre chose que le tourisme. C’est aussi le cas apparemment pour les nouvelles licences « Distributeur de Voyage » au Maroc. Il semblerait, que ce type de licence ne fait pas recette auprès des nouvelles demandes, et c’est normal personne ne veut être « agent de voyage au rabais », tant qu’à faire opérer le métier dans sa globalité c’est-à-dire produire et distribuer sa production.

Sauf que ce type de licence risque d’aiguiser l’appétit des vrais distributeurs qui seraient tentés d’ajouter le voyage à leur escarcelle s’ils estiment que le marché national est suffisamment important pour répondre à leur offre. Au Maroc on n’en est pas encore là, car le marché est petit, le pouvoir d’achat est bridé et le produit touristique ne répond pas à la demande car non adapté et souvent taxé de trop cher.

En France par exemple, pratiquement toutes les grandes surfaces ont leur département voyage et sont parfois adossées à un Tour Opérateur quand elles n’opèrent pas en interne une partie de leur production. Que ce soit Leclerc Voyage, Carrefour Voyages, Auchan Voyages ou Lidl Voyages qui profitent de leur notoriété et de leurs points de vente pour atteindre et fidéliser une clientèle en attente de bonnes affaires. Pour info, Leclerc voyage possède 200 agences de voyages en France.

Dans les années 70 même les banques se sont essayées au voyage. Le cas le plus flagrant est celui du Crédit Agricole qui avait conçu une filiale « Voyage Conseil » dans le cadre de sa stratégie de diversifications des services offerts à ses sociétaires. En clair il a fait voyager les paysans français sous prétexte d’élargir leurs horizons et leur faire découvrir d’autres pratiques agricoles. Cela avait fait scandale dans le temps pour pratiques non éthiques et Voyage Conseil a été liquidé en 1988.

Le métier d’agent de voyagé a été règlementé dés 1966 par la Loi 565-66 promulguée le 11/06/68 , cette loi a été abrogée en 1977 par la loi 1-76-395 du 8 octobre 1977 qui s’est distinguée par son fameux article 13 qui interdisait à toute agence de voyage établie en dehors du Maroc, d’exercer sur le territoire marocain l’activité d’agence de voyage sans s’être assuré au préalable le concours d’agence de voyages titulaire d’une licence pour l’organisation des circuits, excursions et manifestations artistiques. D’autre part la licence n’est délivrée qu’à des entités marocaines qu’elles soient morales ou physiques. Cet état de fait a duré jusqu’en 1996 date à laquelle cette loi a été abrogée et remplacée par la Loi 31:96 & Décret qui a abandonné la gradation des licences A et B, et la marocanité de la personne physique. Particularité de cette loi, l’obligation de créer au moins 5 emplois permanent et de réaliser 50% de son chiffre d’affaires en devises (la première année !). On remarquera que la loi 11-16 en vigueur a abandonné la création d’un minimum d’emploi et le rapatriement de devises.

Est-ce à dire que les nouvelles agences de voyages devront faire avec les touristes nationaux et uberiser leur personnel on en faisant des auto entrepreneurs, au même titre que les guides et les transporteurs ? Laisser les touristes internationaux aux plateformes internationales type Booking , Viator, Get Your Guide ou Airbnb ? Quid du MICE ? Que deviennent les DMC ?

Lorsqu’on légifère dans le cadre d’une activité quelle qu’elle soit, c’est normalement pour améliorer le quotidien de l’écosystème composé par ses acteurs et ses consommateurs. Nous, les agents de voyages, avons enduré le pire durant le Covid n’ayant bénéficié d’aucune aide si ce n’est les 2000 dhs octroyées à nos ressources humaines. On s’est retrouvé affaibli, dénudé, endetté pour certains et malheureusement ignoré dans la feuille de route du tourisme. 

J’entends tous les jours les complaintes des confrères qui se débattent face à la concurrence déloyale de l’informel et leur incapacité à le contrer légalement. Face aux plateformes digitales qui leur coupent l’herbe sous les pieds, ils sont complétement désarmés et ne peuvent lutter. En 2007, le Ministère du Tourisme avait déjà entamé le travail pour mettre en place une nouvelle loi. La tâche a été confié à un cabinet international qui a rendu sa copie 6 mois plus tard. Le Ministre du moment ayant assisté à la présentation faite par le consultant, s’est étonné de ses conclusions car elles ne mentionnaient aucun levier pour accompagner les agents de voyages dans leurs transitions vers ce qui arrivait, à savoir la désintermédiation et la digitalisation. Le cabinet fut renvoyé dans les cordes.

En 2017, nous avons tenu une réunion de concertation avec la Secrétaire d’État en charge du tourisme sur le projet de loi 11/16 et avons attiré son attention sur le fait que ce projet pèche par son manque de projection sur le rôle que doit jouer l’agent de voyage marocain dans la promotion de la destination Maroc auprès des marchés émetteurs. La Loi 11-16 est essentiellement orientée distribution au profit du consommateur national et occulte totalement l’agence de voyage réceptive dont les clients sont les Agences de voyages étrangères qu’elles soient Tour Opérateurs ou agences spécialisées dans les groupes, les croisières, le MICE ou encore les voyages à thème tels que le trekking, la randonnée ou le Golf. Force est de constater que nos remarques et suggestions n’ont jamais été prises en considération et on se retrouve aujourd’hui avec une loi malheureusement frappée d’obsolescence, ce qui m’attriste profondément.

* Voyagiste militant de la première heure.Past Président de la FNAVM et Past VPG de la CNT. Blogueur passionné depuis 2010. Décoré du WISSAM du Mérite National 1ere Catégorie le 30/07/2019.

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