La 6ème édition du Salon international de la pêche connu sous l’appellation « Salon Halieutis », se tient à Agadir du 1er au 05 février 2023, sous le thème de “Pêche et Aquaculture durables : leviers pour une Economie Bleue inclusive et performante“.
Le terme « Halieutis » n’existe pas dans les différents dictionnaires des langues française et anglaise, et qu’il n’ait donc aucune signification. C’est plutôt les termes « Haliotis » et « halieutique » qui existent. Les deux ont en commun leur racine grecque. Le premier Halieus et Otos (Mer/oreille), un nom substantif qui désigne une variété de mollusques et le second Halieutikos (signifiant pêche/ pêcheur) est un adjectif qui se rapporte à l’ensemble des disciplines liées à la pêche.
« Halieutis » a fini par être adopté et bien ancré dans les esprits. Un pari gagné, puisque le terme est aujourd’hui une « appellation d’origine marocaine » faisant référence à la stratégie de développement du secteur de la pêche pour la période 2009-2020 et servant comme nom commercial au Salon international de la pêche d’Agadir, dont la 1ère édition remonte à 2011 qui fut un évènement marquant rehaussé par une inauguration royale.
6ème Edition ou Réédition?
Ce salon intervient après une pause de 4 années dictée par la pandémie du Covid. Tant mieux, puisque les rendez-vous biannuels de cette manifestation, n’apportaient rien de nouveau au fil du temps et allaient sombrer dans la routine d’une répétition lassante. Des stands qui se ressemblaient et qui étaient désertés juste après le 1er jour de l’inauguration, les salamalecs des retrouvailles et les échanges de cartes de visite pour des promesses d’affaires que personne ne saura si elles ont été tenues. La réplique est le vilain défaut des salons, des foires et des expositions. Quels qu’ils soient, ils ne doivent pas se suivre et se ressembler bien que les innovations soient assez lentes dans le secteur de la pêche et que les professionnels de ce secteur sont de nature conservateurs. L’édition de cette année, permettra quand même au secteur de la pêche de sortir de sa léthargie et de bénéficier d’une animation de taille, dont on mesure l’effort d’organisation considérable en termes de moyens humains, matériels et financiers lourdement consentis.
La consultation du site internet dédié à la promotion du Salon, permet de relever un certain nombre d’observations qui laissent justement craindre une simple réédition: Au niveau des nombreux exposants attendus (337), l’annonce et la présentation ne permettent pas de savoir si la nature de leurs produits et services répondent au souci exprimé par la thématique du salon. On ose espérer tout au moins que les organisate
urs se sont assurés que les exposants ont pris leurs dispositions afin de proposer leurs innovations et leur savoir-faire en conformité avec ladite thématique, au lieu de se contenter de faire la promotion des produits et services standards longtemps en vogue sur le marché et ne nécessitant pas un Salon pour leur commercialisation. En effet, un salon de la pêche devrait être une fenêtre ouverte sur la politique du pays lié à ce secteur clé de l’économie nationale et offrir par conséquent au niveau du contenu des stands d’exposition les solutions appropriées aux préoccupations de la profession, notamment en termes d’équipements servant la modernisation de l’outil de production, d’économie d’énergie, de motorisation moins polluante, d’engins de pêche sélectifs, d’équipements de sécurité et de bien-être des équipages. A l’avenir, le choix des entreprises présentes devrait à mon sens se faire sur la base d’un cahier des charges qui coïncide avec les objectifs de la politique des pêches et les attentes des professionnels et non sur le simple souci commercial et la capacité d’occupation d’un stand. S’agissant des conférences, il est à noter que les intervenants sont curieusement pour la plupart des étrangers invités à animer des thèmes dominés par la référence à la durabilité et à l’économie bleue, deux concepts galvaudées à force de les mêler à toutes les sauces. On remarquera cette année encore, une présence exagérée des institutionnels dans un espace à vocation commerciale pour généralement exposer des graphiques et des photos ou des documentaires en boucle sur leurs bilans et missions et auxquels personne ne prête attention. Faut-il pour cela consacrer autant d’énergie, de temps, d’espaces et de financement ?
Quant au pôle Innovation censé être le lieu le plus en phase avec la thématique du Salon, seuls 3 exposants sont présents, dont une association d’élèves ingénieurs halieutes de l’Institut Agronomique et Vétérinaires Hassan II. L’occasion de leur rendre hommage et de souligner l’importance et le rôle incontournable de la recherche/développement, de la formation et du développement des compétences pour promouvoir l’innovation dans toute la chaine de valeur du secteur de la pêche.
C’est le chemin salutaire vers la sécurité alimentaire et nutritionnelle et vers le bien-être environnemental et social grâce à la préservation de la santé des écosystèmes marins, l’éradication de la pollution, la réduction des pertes et gaspillages, la protection de la biodiversité et la promotion de l’égalité sociale.
Après les professionnels, place au grand public
Le Salon est ouvert au grand public durant une journée seulement pour lui permettre de se faire une idée de la dimension halieutique de son pays. Il s’apercevra que la plupart des stands sont techniques, spécialisés et trop professionnels et ne correspondent pas à ses attentes. Il aura quand même, jusqu’à épuisement de sa curiosité, oublié la flambée des prix du poisson, sous le prisme desquels le citoyen marocain en général juge le secteur de la pêche.
Il sera encore plus frustré lorsqu’il relèvera que dans les stands des industriels de la pêche existent de belles boîtes ou bocaux de conserves à l’allure alléchante qu’il ne trouvera pas dans les marchés et les épiceries de quartiers, car exclusivement destinés à l’export. Il se résignera à constater que dans son pays où de tout temps on ne cesse de ressasser l’abondance de la ressource, notamment de la sardine sous forme de conserve abordable, il n’a droit tout au plus, qu’à un choix fort limité à 2 ou trois marques basiques dominant les étalages des supermarchés pour la plupart encore conçues tant dans la forme et que dans le contenu sous l’apparence de produits destinés aux petites bourses et aux pauvres ouvriers du bâtiment. Une seule marque à l’emballage et au contenu plus élaborés est à un prix inabordable pour le commun des consommateurs. Pour l’anecdote, j’ai vécu personnellement une regrettable histoire lors de la 2ème édition du Salon de la pêche en 2013. Dans un stand d’une entreprise de conserves, j’avais demandé à son représentant si je pouvais acheter sur le stock disponible, un petit pack de boîtes de conserve joliment faites.
A mon grand étonnement, il me répondit que ce n’était pas possible. Gardant espoir que ce type de produits existait sur le marché, je lui ai demandé de m’indiquer où je pouvais les acquérir dans le commerce. Je n’en croyais pas mes oreilles lorsqu’il m’affirma sur un ton presque ironique laissant même apparaitre une certaine fierté, que ces produits ne sont pas commercialisés au Maroc et qu’ils sont destinés à l’exportation. J’avais compris que le consommateur marocain et étranger, notamment européen, n’étaient pas logés à la même « conserve ».
Quelles retombées sur le secteur de la pêche ?
L’organisation d’un Salon en général et d’un Salon de la pêche en particulier est une tâche ardue demandant un effort considérable impliquant le devoir d’en faire une réelle évaluation et d’en calculer le retour sur investissement. Si cette opération est recommandée au terme de chaque édition, elle est davantage nécessaire pour l’ensemble des éditions du Salon Halieutis arrivé à maturité pour pouvoir laisser mesurer ses retombées sur le secteur et faire vérifier si le Salon a véritablement contribué à la réalisation des objectifs de la stratégie qui porte le même nom. Malheureusement la réussite des Salons est en général évaluée sous l’angle du nombre de visiteurs et du nombre d’exposants, sans données réelles sur les affaires conclues et les projets générés, au motif que les ententes entre opérateurs relèvent du secret professionnel et commercial. Or, il s’agit aussi d’une évaluation globale des effets post Salons sur la dynamique du secteur, à laquelle les chambres des pêches maritimes et les associations professionnelles peuvent contribuer aux côtés des Institutions de tutelle et des organisateurs. Cette évaluation permettrait aux décideurs d’étoffer les données servant à ajuster leur tableau de bord, d’atténuer leur exaltation et de tenir des discours plus réalistes. A écouter certains responsables du secteur de la pêche annoncer les avancées en matière de modernisation du secteur, on serait portés à croire que ce secteur est en passe de fonctionner grâce à l’intelligence artificielle.
Malheureusement, la réalité nous ouvre les yeux sur une flotte de pêche côtière vétuste peu rassurante pour la sécurité des biens et des équipages, des navires de pêche hauturière tel un amas de ferraille, une pêche artisanale aux moyens de navigation et de pêche rudimentaires, des ports et sites de pêche où règne la cohue, un littoral et un milieu marin de plus en plus pollués et enfin une aquaculture qui peine à atteindre les 1000 tonnes de production, à des années lumières des 200 000 tonnes de potentiel de production annoncées tambour battant dans la stratégie Halieutis 2010-2020.
Un espace exigu pour refléter la dimension maritime du Maroc
Il fut un temps où le Salon de la pêche avait une vocation plus large dans le cadre d’une vision reflétant la vocation maritime de notre pays. Les premiers Salons de la mer sous le haut patronage de Sa Majesté le Roi furent organisés au début des années 90. Ils regroupaient toutes les activités du secteur maritime, ce qui faisait de cette manifestation un évènement à la hauteur des aspirations du Maroc pour devenir une puissance maritime régionale. Malheureusement en raison de choix politiques morcelées sous l’effet des jalousies des attributions ministérielles et de l’ego débridé des hommes politiques, ce Salon a disparu dans les abysses de l’océan de l’oubli, tout comme l’élan pris durant plus d’une décennie (1982-1996) pour construire un Maroc maritime sur la base d’une stratégie et d’une gestion maritimes intégrées. Ce fût une parenthèse dans l’histoire maritime de notre pays, marquée par l’éparpillement des attributions managériales du secteur et par le triste sort réservé au pavillon national jadis arboré par une dynamique flotte marchande qui sillonnait tous les océans, malheureusement aujourd’hui engloutie. Le Maroc à la vocation maritime indéniable souffre aujourd’hui de l’absence d’une ambition maritime que les pouvoirs publics croient posséder dans des stratégies sectorielles éparses qui empêchent des politiques concertées, convergeant vers l’objectif d’un pays à l’économie maritime florissante. Avec moins d’atouts maritimes que les nôtres, plusieurs pays ont fait de la mer le vecteur clé de leur développement voire de leur puissance. D’autres moins lotis géographiquement ne cessent de lorgner sur les espaces maritimes des pays voisins pour étendre leur domination et accéder à un fécond butin.
Notre pays se doit de se forger une vision à la hauteur des nouveaux défis à relever eu égard à sa position géographique stratégique et aux nouveaux espaces qui lui reviennent conformément à la légalité internationale et qui grandiront avec le processus d’extension de son plateau continental. Une telle projection requiert un leadership au plus haut niveau et non pas une simple structure sous forme de « Task Force » regroupant divers Départements ministériels et établissements publics récemment annoncée pour superviser la mise en œuvre des composantes de «l’Economie bleue », à travers nous dit-on, un certain nombre de programmes gouvernementaux transverses. Quels sont ces programmes ? Quel est le mandat de cette structure? Quels en sont les membres? Qui la préside? Quelles sont ses recommandations? Qui a autorité pour appliquer ses recommandations? Autant de questions dont on ignore les réponses, ce qui conduit à penser que cette structure est soit inopérationnelle, soit inefficace dans la conduite de ses attributions horizontales complexes.
L’idéal serait la création d’une haute Instance auprès du Chef de Gouvernement ayant autorité pour s’assurer de la conformité des stratégies sectorielles avec une vision maritime préétablie et de veiller à leur convergence pour atteindre les objectifs d’une telle vision. Dans cette perspective, on sera même en mesure d’espérer un Salon de la mer à la hauteur des ambitions maritimes du Maroc dans la configuration d’une planète économiquement bleue.