Quelle immigration voulons-nous?

Abdellah Chankou, directeur de la publication.

Comment traiter du dossier de la migration subsaharienne au Maroc sans prendre le risque d’être accusé de racisme anti-noir? Le sujet comporte en effet une complexité inhérente à ses enjeux multidimensionnels qui le rend sensible, voire explosif. Mais ce n’est pas une raison pour tenir la question à l’écart du débat public et ne pas la mettre au centre du discours politique, curieusement muet sur le dossier. Une négligence que rien ne justifie surtout que le fait migratoire est désormais ancré dans les réalités marocaines avec tout ce qu’il charrie comme impacts socio-économiques complexes, influencés par la précarité et la pauvreté de nombreux migrants  avec des conséquences tout aussi majeures sur la composition sociodémographique et spatio-temporelle du pays. Jusqu’à quand le phénomène migratoire, dont les implications sont nombreuses à divers niveaux, va t-elle rester l’angle mort de l’action publique? 

Sur les réseaux sociaux, le problème est posé en des termes inconvenants avec des commentaires qui exhalent souvent des relents racistes postés à l’occasion de chaque fait divers spectaculaire, notamment les affrontements violents avec des résidents locaux, impliquant des migrants subsahariens dans des quartiers périphériques marginalisés de certaines grandes villes. Cette situation qui témoigne d’une cohabitation difficile avec les habitants en raison d’un choc des cultures a accouché récemment d’une campagne lancée sur les réseaux sociaux, sous le hashtag: «Non à l’installation des Africains subsahariens » ! Sont visés ceux qui sont en situation irrégulière et impliqués dans des faits de violence et de délinquance, sachant que les migrants qui trouvent du travail mènent une vie tranquille et partant ne sont pas en cause. Ceux-là représentent une minorité par rapport à leurs congénères, sans emploi ni perspectives d’avenir, dont des bataillons entiers, hommes et femmes, font la manche ou se livrent à des petits trafics pour survivre…

Entre ceux qui crient à la discrimination et ceux qui appellent à l’expulsion des migrants clandestins  il existe une troisième voie. Celle de la régulation des flux migratoires. Objectif : parvenir à une gestion ordonnée de ces derniers  à l’entrée comme à la sortie, tout en s’assurant que tous les arrivants étrangers  histoire de pouvoir les identifier et protéger leurs droits, disposent d’une preuve d’identité légale. Ce qui est loin d’être le cas de nombreux clandestins qui débarquent au Maroc sans pièces d’identité.

Ouvrir grand les portes aux flux migratoires au nom des « racines africaines du Maroc », sans contrôle ni régulation et laisser les choses tourner en roue libre ne fait pas une politique responsable.

Longtemps perçu comme un pays de transit vers l’Europe, le Maroc s’est affirmé conformément à la volonté royale comme une destination d’accueil des immigrants. Sur hautes instructions en 2013 de SM le Roi Mohammed VI qui tient à promouvoir une migration à visage humain, le gouvernement avait élaboré un statut de demandeur d’asile et des garanties juridiques pour respecter les droits des clandestins. S’ensuivirent des opérations de régularisation des migrants subsahariens qui fuient pour la plupart la guerre et la misère qui sévissent dans leurs pays. Mais sur le terrain, la volonté royale, qualifiée de démarche humaniste à l’international, n’a pas été accompagnée par une prise en charge effective de la part des autorités élues et locales des flux migratoires devenus de plus en plus croissants. Cette négligence, intentionnelle ou pas, est incarnée par l’absence de centres d’accueil pour migrants qui se traduit par l’installation de campements sauvages, à l’image de celui de Oulad Ziane à Casablanca, qui a donné lieu, avant qu’il ne soit évacué en 2023, à des affrontements violents entre les migrants et les riverains.

Une bonne gouvernance migratoire commence d’abord par une surveillance rigoureuse de la frontière terrestre maroco-algérienne dans sa partie est ( oriental), principal point d’entrée des sans papiers. Une maîtrise des flux est fondamentale car pouvant contribuer à l’émergence d’une immigration « choisie » qui constitue un pas vers leur intégration dans la société marocaine. Vaste programme qui renvoie à un processus de toutes les complexités susceptibles d’influencer l’identité nationale en l’enrichissant et en la complexifiant à la fois. Aspect délicat parmi tant d’autres ? Quel statut pour les enfants nés d’un mariage mixte entre un émigré chrétien du sud du Sahara et d’une mère marocaine de confession musulmane ? 

La question migratoire est trop sérieuse pour que les pouvoirs publics continuent à se complaire dans la politique de l’autruche et ne pas prendre le phénomène à bras-le-corps à travers la mise en place d’une politique de l’immigration aux contours clairs. L’objectif étant de rompre avec le laxisme qui caractérise l’approche marocaine dans ce domaine et favoriser l’accueil des étrangers dans de bonnes conditions. Sans craindre de refouler les migrants irréguliers et les délinquants qui posent un problème sécuritaire pour le pays. Il faut juste s’inspirer de l’expérience des autres, notamment les pays européens, qui ont été confrontés bien avant nous à l’immigration et ses dérives.

Ouvrir grand les portes aux flux migratoires au nom des « racines africaines du Maroc »  sans contrôle ni régulation et laisser les choses tourner en roue libre ne fait pas une politique responsable et comporte bien des risques. La solidarité et la fraternité n’excluent pas la fermeté et la responsabilité. 

Gare au mélange des genres et à l’inconséquence politique!

Les plus lus
[posts_populaires]
Traduire / Translate