Gouvernance universitaire à deux têtes : La réforme qui part dans tous les sens

Le ministre de l’Enseignement supérieur Azzedine El Midaoui.

Encore une nouvelle trouvaille sortie des têtes des experts des réformes en perpétuelle méforme : le projet de loi 59.24, élaboré par le ministère de l’enseignement supérieur et adopté en Conseil du gouvernement. Un énième texte qui promet de révolutionner l’université marocaine.

Laila Lamrani

Comment ? diriez-vous. En ajoutant une nouvelle couche à la gouvernance universitaire défaillante : un flambant «Conseil des gouverneurs », censé piloter, orienter et surtout surveiller tout ce petit monde studieux. Et le tour est joué. 

Le nouveau gadget institutionnel en vue pour l’université marocaine ne se contente pas de dépoussiérer le système : il sort du chapeau une nouvelle créature administrative, le très sérieux « Conseil des gouverneurs ». Objectif officiel : renforcer la transparence et l’efficacité. La nouvelle réforme a déjà mis le feu aux poudres : avant même l’entame d’une année universitaire qui s’annonce tendue, elle a plongé l’université marocaine dans une nouvelle spirale de grève sur fond de contestation syndicale.

Deux têtes valent mieux qu’une !

Jusqu’ici, l’université était pilotée par un conseil universitaire élu. Pas parfait, certes, mais au moins clair. Désormais, on garde ce conseil… et on en ajoute un autre, encore plus important : le fameux Conseil des gouverneurs. Un binôme, paraît-il, « moderne » et « stratégique ».

Le problème, c’est qu’on ne sait plus très bien qui pilote quoi : l’ancien conseil, censé représenter la communauté universitaire, ou le nouveau, ou siègent des personnalités triées sur le volet. Une gouvernance « à deux têtes », stipule le projet de loi. Les étudiants, eux, craignent surtout que tout cela ne débouche sur une refonte sans queue ni tête.

Mélange des genres… et des agendas

Qui siège dans ce cénacle ? D’abord, un président nommé par décret royal, pour un mandat de quatre ans renouvelables. Un poste pour « personnalité de haut rang », nous dit-on. Autour de lui, une brochette de profils hétéroclites issus du monde économique et social, des experts internationaux, un professeur élu et cadre technique tous les deux élus. A ceux-là il faut ajouter les représentants de l’Enseignement supérieur et des Finances, les secrétaires perpétuels des académies prestigieuses, ainsi que les walis et présidents de région. Le président de commune du coin a aussi son mot à dire sur l’avenir de l’université marocaine, il fallait y penser!

Tout faire, partout, tout le temps

Selon le projet de loi en question, le Conseil des gouverneurs sera responsable de tout : définir la stratégie, aligner les universités sur les politiques publiques, renforcer l’ancrage territorial, veiller au rayonnement national et international… Autant dire qu’on attend de lui de transformer les campus en Silicon Valley du savoir.

Il devra aussi approuver les plans d’action, évaluer les réalisations annuelles, suivre les contrats-programmes avec l’État, et même donner son avis sur les nominations des présidents d’universités…Beaucoup de pain sur la planche mais avec le degré zéro de la coordination et de l’efficacité opérationnelle.

On imagine déjà la scène : une université veut créer un master en intelligence artificielle ? Rendez-vous dans six mois, après le passage obligatoire au Conseil, aux sous-commissions, et au sous-sous-comité chargé de vérifier si « l’intelligence » est bien compatible avec la ligne politique du moment.

Transparence et efficacité… vraiment ?

Officiellement, cette nouvelle instance est créée pour « renforcer la gouvernance, assurer la transparence et optimiser l’efficacité ». De grands mots, qui sonnent bien dans un rapport en papier glacé mais qui se heurtent aux récifs de la réalité : les universités manquent de moyens, les professeurs croulent sous les charges, et les étudiants en sont toujours à se battre pour une place en amphi.

De quoi se demander si un « Conseil des gouverneurs » changera vraiment quelque chose, ou s’il ne s’agit pas simplement de rajouter une belle vitrine institutionnelle. Dans le meilleur des cas, ce machin produira des rapports annuels sur la performance des universités, adressés au Chef du gouvernement, accompagnés de « recommandations ». Dans le pire, il se contentera de recycler les PowerPoint du ministère de tutelle. Ce qui demande déjà beaucoup de travail !

Les plus lus
[posts_populaires]
Traduire / Translate