Analphabétisme numérique

Abdellah Chankou, directeur de la publication.

Dans une société où l’on jure par la digitalisation, les mots de passe remplacent les signatures, les QR codes font office de tampons officiels, et un simple clic devient plus engageant qu’un acte notarié. Mais derrière cet avenir numérique reluisant se cache une réalité bien plus sombre : des milliers de Marocains, parfois instruits, mais numériquement analphabètes, deviennent des proies faciles pour des escrocs au clavier agile. Il ne s’agit pas seulement de ceux qui ne savent ni lire ni écrire, mais de ceux qui ne comprennent pas les mécanismes, les risques et les subtilités d’un monde désormais codé en 0 et 1. Personnes âgées, populations rurales ou peu scolarisées se retrouvent livrées à elles-mêmes, proies faciles de cyber-escrocs. 

Résultat : une faille béante que ces derniers exploitent sans scrupules. Le stratagème est souvent le même, bien rodé : un faux SMS, un appel prétendant venir de la banque, un lien douteux qui demande vos identifiants pour vous virer l’argent gagné lors d’une tombola… Et le (mauvais) tour est joué. On vous demande de confirmer votre identité, de mettre à jour votre compte, de saisir à nouveau vos coordonnées… Et en quelques secondes, votre argent s’envole. Vers des comptes offshore ou des téléphones introuvables.

En quelques clics, un compte est ainsi vidé, une économie de vie disparaît, sans que la victime sache même ce qu’elle a « autorisé », découvrant dans l’effroi et la constrnatio que cliquer peut coûter plus cher que signer un chèque en blanc.

Ce phénomène, loin d’être isolé, s’amplifie à mesure que les pouvoirs publics, les banques, les administrations et les entreprises digitalisent leurs services sans accompagner assez ceux qui n’ont ni le bagage technique, ni les réflexes prudentiels que l’ère numérique exige. L’illettrisme informatique n’est pas une abstraction : il est aussi grave et handicapant que l’illettrisme classique, mais il reste ignoré, voire méprisé.

Certains s’étonnent encore : « Comment peut-on donner ses codes par téléphone ? » Comme si tout le monde avait grandi avec un antivirus dans le berceau. La vérité est que cette fracture numérique enfante une nouvelle forme d’exclusion plus dangereuse. Et là où il y a vulnérabilité, il y a souvent des prédateurs en embuscade.

Le SMS de Bank Al-Maghrib, aussi utile soit-il, ressemble plus à un pansement sur une fracture numérique qu’à une véritable stratégie d’éducation et de protection du consommateur.

Il est temps que l’éducation au numérique devienne une priorité nationale. Il ne s’agit pas seulement de former des ingénieurs en cybersécurité, mais aussi des citoyens capables de distinguer une information officielle d’un piège, un vrai site d’une imitation, une offre crédible d’une arnaque. Sinon, à chaque nouvelle avancée digitale, ce sont les mêmes qui resteront à la traîne … mais cette fois, délestés de leur argent.

Face à l’explosion des escroqueries bancaires, Bank Al-Maghrib dégaine l’arme fatale : un SMS en darija pour exhorter les citoyens à ne pas offrir leur code secret comme un plat de couscous. Et dire qu’il a fallu attendre que les arnaqueurs deviennent plus convaincants pour que l’institution dirigée par M. Jouahri se réveille…

A y regarder de plus près , le SMS de Bank Al-Maghrib, aussi utile soit-il, ressemble plus à un pansement sur une fracture numérique qu’à une véritable stratégie d’éducation et de protection du consommateur.

Des millions de Marocains utilisent en effet un smartphone sans jamais avoir été formés à ses risques. L’analphabétisme numérique n’est pas juste un manque de vigilance, c’est une absence totale de repères : lire un mail frauduleux, identifier un lien piégé, ou comprendre qu’un code reçu n’est pas un ticket de loterie.

Pendant que Bank Al-Maghrib envoie un SMS, les arnaqueurs tournent des vidéos TikTok convaincantes, créent de faux sites bancaires, et imitent les numéros et les logos officiels. C’est une guerre asymétrique où la vigilance individuelle ne suffit plus.

Pas de campagne grand public, pas de modules de prévention dans les écoles, très peu d’émissions ou contenus pédagogiques dans les médias… Alors que la digitalisation avance, l’éducation ne suit pas. On a livré un pays entier au numérique sans lui proposer le mode d’emploi. L’absence d’une stratégie nationale d’éducation numérique aggrave le fléau et ses ravages

Et puis, combien d’arnaqueurs sont identifiés, arrêtés, jugés? L’impunité encourage la récidive. Tant qu’il n’y aura pas un vrai signal répressif, les “nassaba” auront de beaux jours devant eux…

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