C’est la confiance qu’on démolit…

Abdellah Chankou, directeur de la publication.

Démolir plutôt que régulariser! Le cas de la salle de fête moderne de Bouskoura, baptisée le Kremlin par la population en raison de sa ressemblance avec le siège du pouvoir russe, illustre les dérives d’une administration qui confond autorité et autoritarisme, au détriment de l’image du climat des affaires. Un investissement de 160 millions de DH selon l’estimation de son promoteur a été rasé sous prétexte d’un défaut d’autorisation. Si l’argument légal est brandi, la méthode, elle, interroge : aucune tentative de régularisation, aucun recours à une sanction proportionnée, pas même l’ébauche d’une vision d’ensemble sur l’impact économique et social de cette infrastructure. Juste un bulldozer!

C’est pour cela que l’affaire continue, plusieurs jours après les faits, de susciter l’incompréhension et l’indignation jusque chez le citoyen lambda, choqué par les images de ce carnage largement relayées sur les réseaux sociaux. S’estimant victime d’un abus d’autorité, le promoteur, qui a conservé son calme malgré la perte colossale qu’il a subie, a décidé de porter l’affaire devant la justice afin d’obtenir réparation. Une action qui pourrait révéler des défaillances administratives, voire des dysfonctionnements plus profonds et autres pratiques qui sont monnaie courante dans la gouvernance locale de l’investissement.

Alors que le chantier semblait incarner une réalisation ambitieuse dans une région en pleine urbanisation, les autorités locales ont choisi donc le bulldozer… sans dire un mot. Troublant. Surtout qu’ aucun communiqué officiel du site. Ni la Wilaya, ni la préfecture, ni même le ministère de tutelle n’ont pris la peine d’éclairer l’opinion publique. Résultat : le flou alimente toutes les rumeurs : favoritisme, népotisme, abus de pouvoir, règlements de compte politiques… Certains susurrent que le promoteur aurait détourné la vocation initiale de son projet. D’autres murmurent que la fête a trop duré, ou qu’elle a froissé des susceptibilités invisibles.

La démolition de ce monument de béton festif laisse un champ de gravats mais aussi de questions.

Face au tollé général, certaines sources officieuses ont distillé dans la presse les raisons de la décision de démolition, qui seraient motivées par le détournement de destination urbanistique du projet. Initialement gite rural, il a été transformé par le propriétaire en salle de fêtes… Cette irrégularité pourrait expliquer juridiquement la décision, mais cela ne la justifie pas nécessairement sur le plan de la proportionnalité et de la gouvernance responsable. D’autres alternatives auraient dû être explorées comme la mise en conformité avec sanctions financières sévères, la fermeture administrative temporaire ou la régularisation avec pénalités surtout si le projet génère de l’emploi et de la valeur locale. En somme, une amende salée plutôt qu’un carnage en règle. Si l’irrégularité est avérée, la démolition est peut-être légalement envisageable mais politiquement mal venue, économiquement discutable et « communicationnellement » désastreuse. La démolition de ce monument de béton festif laisse un champ de gravats mais aussi de questions. Des questions de méthode, de transparence et de cohérence avec la volonté nationale d’attirer les investisseurs.

Cette affaire illustre, avec une ironie grinçante, une réalité double : D’un côté, un discours officiel qui promeut l’investissement, la simplification des procédures et l’attractivité du territoire… Et de l’autre, une gouvernance locale qui met en lumière l’absence de sécurité juridique des investissements et l’incapacité de certaines autorités à concilier rigueur administrative et bon sens économique. Ce geste radicalement absurde, dont le pacha en poste paie aujourd’hui le prix, envoie un message négatif aux investisseurs nationaux et étrangers : celui d’un État imprévisible, où des mois d’efforts et des millions peuvent s’envoler du jour au lendemain. À l’heure où le Maroc redouble d’efforts pour séduire le capital étranger à coups de mesures incitatives, ce type de décisions punitives rappelle que la bataille de la confiance, elle, est encore à gagner.

Ce n’est plus de la rigueur administrative, c’est de l’absurde réglementaire. L’excès de zèle devient ici un acte de sabotage économique. Car au-delà des dégâts financiers, c’est la sécurité juridique qui est fracassée : qui osera encore investir à l’aveugle, si un défaut d’autorisation peut se transformer, ex post, en condamnation à la pelleteuse ? Il est temps de rétablir un principe simple : l’administration est au service du développement, pas son épée de Damoclès !

Dans un pays qui ambitionne d’être un pôle d’investissements de premier plan, rassurer les investisseurs et combattre le chômage des jeunes, faire tomber un édifice peut-être légalement contestable mais économiquement inutile, c’est faire tomber… un peu plus la crédibilité de la gouvernance locale. En Turquie, en Espagne ou au Portugal, les erreurs de procédure peuvent coûter cher, mais rarement jusqu’à la pelleteuse. Tant que ce réflexe destructeur persistera, le message adressé aux investisseurs restera brouillé et les ambitions du pays contrariées. Au Maroc, certains projets prennent de la hauteur, d’autres finissent… en poussière réglementaire.

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