Le nabab du Sahara, en difficulté sur plusieurs fronts après avoir perdu ses appuis dans l’establishment, s’est signalé récemment par un communiqué accusateur à l’encontre de ses adversaires politiques. Décryptage.
C’est un drôle de «communiqué à l’opinion publique» rédigé en arabe daté du 6 octobre que Hassan Derham, l’ex-nabab puissant du Sahara, a commis pour dénoncer la rente et les détournements de fonds qui font, paraît-il, toujours rage dans les provinces du sud. Le lanceur d’alerte sur un système de privilèges qui lui a longtemps profité et qui n’est visiblement plus à son goût, s’est montré précis dans son document qu’il convient de lire entre les lignes, indiquant que « plus de 26 millions de dirhams ont été effectués des comptes de la région Laâyoune-Sakia El Hamra vers des comptes d’associations fictives pour finir sur les comptes de proches ou de leurs entreprises». M. Derham a révélé également l’encaissement par des édiles de la même région de «chèques de carburant d’une valeur de 750.000 DH et des bons de carburant d’un montant de 1,5 million de DH ». L’accusateur n’a pas été courageux jusqu’au bout puisqu’il n’a pas osé citer l’essentiel: les noms des voleurs supposés de l’argent public. Mais pas besoin d’être grand clerc ou fin connaisseur des dessous des plats sahraouis pour savoir que les mis en cause auxquels il fait référence sont la puissante tribu des Oulad Errachid et principalement son patriarche Moulay Hamdi. Celui-ci contrôle le conseil municipal de la ville depuis 2009 tandis que son fils a été réélu à la tête de la région à l’issue des régionales de septembre 2021.
Rivalité historique
Les autres institutions de la région, les chambres de commerce et d’industrie, d’artisanat et de la Pêche sont toutes entre les mains de ce clan familial irrésistible. Ce dernier compte en son sein, par alliance matrimoniale, Naâma Miara qui a pu dans la foulée de la déchabatisation de l’Istiqlal mettre la main sur la présidence de l’UGTM, bras syndical du parti et faire tomber dans son escarcelle le poste de président de la seconde Chambre dans le cadre des marchandages post-électoraux de 2021 entre le RNI, l’Istiqlal et le PAM. Rarement notabilité locale aura concentré autant de leviers entre ses mains : Politique, économique et social. Milliardaire multi-rente (pêche hauturière, immobilier, hôtellerie, construction, stations d’essence…), Moulay Hamdi ne craint nullement le mélange des genres et la collision entre politique et argent. Bien au contraire. Patron de fait de l’Istiqlal auquel Nizar Baraka doit sa succession à Hamid Chabat, cet agent d’autorité sous l’époque de Driss Basri s’est servi de son statut de privilégié pour avancer ses pions et verrouiller le système local et régional. C’est ce monstre sacré de la politique au Sahara que Hassan Derham veut se farcir avec son communiqué aux objectifs inavoués. Ceux-ci sont en relation avec une rivalité historique entre les deux clans les plus en vue du Sahara, les Derham et les Oulad Errachid, qui n’ont en commun que leurs fortunes colossales amassées à l’ombre de la rente publique et des prébendes de l’État. A part cela, les deux familles se détestent, chacune estimant qu’elle est plus sahraouie que l’autre et partant plus légitime à représenter les habitants du Sahara. Les Ould Errachid dénient aux Derham leur identité sahraouie sous prétexte qu’ils sont issus des tribus berbères des Aït Baamrane. « Tu n’a pas le droit d’intervenir dans les affaires du Sahara, tu es issu des Aït Baamrane , va jouer les notables chez toi à Sidi Ifni », avait lancé un jour devant plusieurs témoins Khelli Henna Ould Errachid, alors au faîte de sa puissance, à Hassan Derham qui se sent méprisé par les Ould Errachid originaires, eux, de la très influente tribu Reguibat qui domine les rangs du Front Polisario ( El Ouali Moustapha Sayed, le fondateur de cette entité, était issue de l’une des branches de cette tribu, Tahalat). Derrière cette rivalité clanique se cache en fait une course vers les privilèges économiques accordés à l’élite sahraouie pour s’assurer son allégeance et agir pour préserver le calme et la stabilité au Sahara.
Ex-député de Laâyoune et ancien secrétaire d’État aux affaires sahariennes sous Hassan II, Khelli Henna Ould Errachid, frère cadet de Moulay Hamdi, s’était longtemps, avant qu’il ne se retire de la scène politique locale qui sera dominée par son frère, opposé à l’octroi à la famille Derham de la licence d’exploitation de la distribution du carburant au Sahara sous l’enseigne Atlas Sahara. Ce monopole sera cassé par Hamdi Ould Errachid qui avait exigé pour le compte de sa famille l’obtention d’un agrément de vente des carburants au Sahara.
Censée faire enterrer la hache de guerre entre les deux clans, l’alliance matrimoniale nouée en 2015 ( mariage du fils de Khelli Henna avec la fille de Hassan Derham) a capoté pour des raisons taboues quelques mois après les noces célébrées en grande pompe à Marrakech. L’échec de ce mariage arrangé laissera des traces dans les deux familles, contribuant à accentuer la haine cultivée de part et d’autre. L’influence grandissante du clan Errachid à Laâyoune et même au-delà pousse Hassan Derham de plus en plus à l’étroit dans sa ville natale à la quitter après en avoir été député des années durant. Direction : Dakhla où ses ambitions politiques butent sur la puissance d’une autre famille bien implantée au Sahara, les fameux Joummani, qui détiennent pratiquement l’ensemble des leviers du pouvoir local. Hassan Derham change alors de trajectoire et jette son dévolu sur Boujdour où il réussira, lors des élections communales de septembre 2021, à se faire élire membre de sa municipalité et à décrocher en même temps un siège au Conseil de la région de Laâyoune contrôlé par le fils de Hamdi Ould Errachid. C’est en sa qualité d’élu au fait des entourloupes financières supposées de cette collectivité territoriale que Hassan Derham, qui a visiblement oublié qu’il est tout comme ses rivaux le parfait produit de la politique rentière au Sahara, a rendu public son communiqué accusateur de ses adversaires politiques. En jouant les corbeaux, il cherchait sans doute à fragiliser le clan Oulad Errachid, provoquer une réaction négative des autorités à leur encontre et au passage son retour en grâce auprès du pouvoir. Un billard à trois bandes qui a très peu de chances d’aboutir, les Errachid étant devenues incontournables sur l’échiquier complexe sahraouie.
Homme aux abois
Le retour en grâce ! C’est l’obsession de Hassan Derham qui transparaît dans son texte destiné en vérité aux autorités en direction desquelles il a multiplié les appels du pied mâtinés de petits chantages. Quand il explique que « le temps est venu de réhabiliter le Conseil royal consultatif des Affaires sahraouies » (Corcas) créé en 2005 pour « relancer son rôle en tant qu’outil de de la diplomatie officielle » à mobiliser « dans la défense de l’intégrité territoriale» du Royaume, M. Derham ne fait en fait que formuler une offre de service politique dans l’espoir de revenir dans le jeu politique sahraoui et même national. Sauf que le Corcas dont il est vice-président- la présidence est assurée par Khalli Henna Ould Errachid dont on entend plus parler- a été mis en veilleuse quelques années après sa création en 2005 dans la foulée de la montée des protestations pro-Polisario dans les provinces du Sud. De plus en plus esseulé, Hassan Derham cumule les faux-pas et les déboires. Dans ses propres affaires qui sont en train de péricliter en raison entre autres de son litige financier avec son ex-associé franco-algérien Pierrick Puech dont il a perdu en avril dernier le procès avec les héritiers (Voir le Canard n° XXX). Dans son communiqué, Hassan Derham a consacré de longs paragraphes à ce dossier où il se pose en victime d’un « complot » fomenté par son ex-partenaire décédé en 2018 qu’il accuse d’avoir détourné de l’entreprise agricole Agrodep la somme de 450 millions de DH tout en criant à sa dépossession de 50% des parts de la société française Idyl spécialisée dans la production des fruits et légumes. Le seigneur mal en cour du Sahara est un homme aux abois à la ligne de défense brouillonne, qui confond ses intérêts personnels avec ceux du Sahara et va jusqu’à demander l’intervention des plus hautes autorités du pays pour le rétablir dans ses droits. Sur le front politique, Hassan Derham est tout aussi mal barré, en délicatesse avec la justice au sujet de sa gestion passée de la commune de Laâyoune-Marsa. Le dossier, portant sur des accusations de dilapidation de deniers publics et de falsification de documents officiels, où il est poursuivi avec une brochette d’ex-élus, s’est ouvert récemment devant la Cour d’appel de Marrakech.
Tout à son sursaut patriotique tardif déclenché par la banqueroute qui le menace ( les biens de son frère et un de ses enfants on feront l’objet d’une vente aux enchères judiciaires au profit de BMCE Bank ), celui qui se sait lâché par ses appuis politiques de naguère annonce la tenue d’une conférence de presse pour révéler « les prévaricateurs du Sahara et ceux font commerce avec le dossier » de l’intégrité territoriale. Dernier baroud d’honneur d’un seigneur du Sahara en mal d’influence ou fuite en avant d’un milliardaire qui bientôt n’aura plus que les yeux pour pleurer… Derham ne savait-il pas que les vents du Sahara tournent aussi ?