En dépit des questions éthiques qu’elle pose, la gestation pour autrui (GPA) gagne du terrain en Occident. Si certains pays l’interdisent, d’autres tolèrent cette pratique, voire la légalisent. Depuis Casablanca, un aréopage d’experts a appelé à son abolition.
Un groupe d’experts issus de 75 pays se sont retrouvés vendredi 3 mars 2023 à Casablanca autour d’un sujet hautement sensible : la gestation pour autrui (GPA). Le séminaire pluridisciplinaire a rassemblé des chercheurs, juristes, médecins, anthropologues, psychologues et aussi des experts des droits humains. A l’issue de leurs travaux, les participants ont accouché d’une proposition de convention internationale pour l’abolition universelle de la pratique de la mère porteuse. L’objectif de cette rencontre ouverte par la juriste française Aude Mirkovic, en présence d’observateurs du Comité des droits de l’enfant de l’ONU, consiste à «éclairer le sujet par un regard anthropologique et éthique sur la pratique des mères porteuses, ainsi qu’une approche par le terrain». Le choix de Casablanca pour accueillir ce séminaire n’est pas fortuit. Pour les participants au séminaire, le Maroc est un exemple à suivre en raison de son dispositif législatif qui interdit la GPA.
«La Déclaration de Casablanca, expliquent les organisateurs, se démarque des autres initiatives internationales existant en matière de GPA car elle demande l’abolition et non l’encadrement de la GPA: les signataires veulent dire clairement que la GPA est intrinsèquement contraire à la dignité humaine. […] La GPA éthique est un leurre car elle n’existe pas et ne peut pas exister.»
Confrontée de plus en plus au vieillissement démographique, l’Europe n’a pas seulement besoin de bras étrangers et donc de migrants pour faire tourner sa machine économique. Elle est également, histoire de s’offrir une seconde jeunesse, à la recherche de ventres pour porter des fœtus. Loin d’être embryonnaire, le phénomène prend de l’ampleur devant la montée en puissance du mouvement des «sans-enfant» que les anglo-saxons appellent «Child free» qui rejette la procréation comme fonction naturelle de la femme. Le phénomène qui a vu le jour il y a plus d’une décennie a accouché d’un marché de la procréation qui a prospéré dans nombre de pays comme l’Ukraine, l’Inde et le Maroc. Le scandale a éclaté chez nous à la faveur de l’alerte donnée en 2013 par Rachida Ouriaghli, une ex-MRE, ancienne députée au Luxembourg et membre du Centre marocain des droits humains (CMDH). Celle-ci avait révélé que des Marocaines de condition modeste vivant notamment dans le nord du pays faisaient «commerce de leur utérus» contre des sommes d’argent substantielles pouvant aller jusqu’à 150.000 DH au profit de couples luxembourgeois. Ce business de la sous-traitance de la procréation, désigné médicalement sous le vocable de la gestation pour autrui (GPA), impliquait des réseaux impliquant des médecins marocains, rabatteurs et autres intermédiaires. Une fois le «marché conclu», les gestatrices partent sur place, au Luxembourg, où elles sont placées dans des appartements, le temps de tomber enceintes et d’accoucher.
La GPA fait débat dans plusieurs pays et soulève des questions d’ordre éthique car porteuse de dérives. Si des pays comme les États-Unis, la Russie et l’Ukraine ont réglé définitivement le problème en légalisant cette pratique qu’ils considèrent comme un travail qui mérite rétribution, d’autres pays désireux de se donner bonne conscience à moindres coûts ou plutôt sans frais en ont interdit juste la dimension marchande. C’est le cas du Royaume-Uni, Israël et l’Afrique du Sud où les mères porteuses sont autorisées à condition qu’elles ne se fassent pas payer! Adepte également du principe de la gratuité, le Canada a rapidement buté sur un autre sujet non moins complexe lié au montant des dépenses engendrées pendant toutes les étapes de procréation pour autrui et que le couple bénéficiaire doit supporter. Le législateur canadien a poussé la rigueur jusqu’à vouloir encadrer le montant de ces charges pour éviter les abus pouvant ouvrir la voie à une rétribution déguisée. Ce qui nécessite d’arrêter au préalable la liste des frais y compris alimentaires susceptibles d’être remboursées par la sécu canadienne. Tout à sa volonté de verrouiller le dispositif, Santé Canada a même défini les besoins caloriques journaliers d’une femme enceinte : 350 calories de plus par jour au 2ème trimestre et de 450 pendant les trois derniers mois.
Mais si le couple, ce qui est fréquent, exige que la femme porteuse suivre un régime spécial, comment alors s’y prendre pour établir avec exactitude le montant de la facture ? Un vrai casse-tête chinois qui ouvre une brèche vers la GPA sonnante et trébuchante. La même brèche a été ouverte en France qui interdit officiellement la GPA au nom de l’indisponibilité du corps humain après l’arrêt de la Cour de cassation qui a validé en octobre 2019 la transcription à l’état-civil de la filiation de deux jumelles nées de GPA à l’étranger alors que l’Assemblée nationale a donné son onction pour la reconnaissance automatique de ce type de filiation. A ce rythme, il ne faut pas s’étonner de voir fleurir bientôt des agences de location d’utérus sur le sol européen. Le Maroc a récemment adopté la loi 47-14 qui interdit cette pratique dont les auteurs sont passibles d’une peine d’emprisonnement de 20 ans et d’une très lourde amende. Confrontée à un trafic monstre du fait de la tolérance de la «location d’utérus», l’Inde a décidé fin 2018 d’encadrer la pratique en interdisant la GPA dite « commerciale» et d’autoriser les GPA à caractère «altruiste» pour «les Indiens reconnus stériles» et «mariés depuis au moins cinq ans», qui font appel «à une parente proche» pour donner naissance à leur enfant. Tout porte à croire que le temps où la fécondité était célébrée comme un signe de prospérité pourrait être révolu.
Au nom de la modernité et des libertés individuelles poussées à l’extrême, de plus en plus de femmes n’ont plus envie de procréer. Cette tendance relève moins d’un choix personnel assumé par certaines femmes européennes que d’une revendication collective de libération. Dans un article intitulé «le choix de ne pas faire en enfant, ultime libération», Anne Gotman aborde la question dans ses différentes dimensions à la fois sociologiques et idéologiques en donnant des chiffres parlants. «Si l’on se place dans le court terme, on constate de fait une augmentation graduelle des personnes sans enfant en Europe – mais un léger déclin aux États-Unis. Si l’on considère les cohortes de femmes nées en 1950, 1955, 1960, 1965 et suivantes, la proportion de l’absence d’enfant à 50 ans a en effet augmenté dans tous les pays d’Europe. La proportion de femmes sans enfant à 40 ans est, quant à elle, estimée à une moyenne de 18 % pour la cohorte née en 1965, avec des chiffres plus élevés en Autriche, en Angleterre, au Pays de Galles, en Finlande, en Allemagne, en Italie et aux Pays-Bas, alors que, pour la même cohorte, la moyenne tombe à 13,5 % en France et 10% en République Tchèque, en Hongrie, au Portugal et en Slovénie. En ex-Allemagne de l’Ouest, en Angleterre et au Pays de Galles, on estime qu’environ un quart des femmes nées après 1970 vont rester sans enfant de façon permanente», écrit-elle. Pour freiner son vieillissement inexorable et faite tourner un certain nombre de secteurs d’activité, le «vieux continent» a besoin de manière vitale de la main d’œuvre étrangère, n’en déplaise aux populistes d’extrême-droite qui ont fait de la question migratoire et de la haine de l’étranger surtout musulman leur principal fonds de commerce politico-électoral.