Le mystérieux Mustapha Aziz qui a pris en 2015 le contrôle du groupe Strammarine du milliardaire marocain Lahcen Jakhoukh décédé en 2015 sur la foi d’un testament supposé émanant du défunt vient d’être condamné à 6 ans de prison par contumace.
Rebondissement dans l’affaire Jakhoukh (Voir Le Canard Libéré n°400). Le mystérieux et controversé président du groupe Strammarine, comptant les sociétés Drapor placé récemment en liquidation judiciaire et Medocean) Mustapha Aziz vient d’être condamné à 6 ans de prison ferme par la Chambre criminelle de Casablanca. La sentence a été prononcée le 30 mars par contumace à l’encontre de celui qui a été inculpé dans une affaire de faux et usage de faux en écriture publique. Deux complices, adouls de leur état, en ont pris chacun pour 5 ans.
L’action judiciaire, une citation directe, a été introduite en novembre 2022 par les héritiers du fondateur du groupe Lahcen Jakhoukh. Dans leur procédure, ces derniers ont attaqué l’authenticité d’un document en relation avec le testament du défunt qui allait faire de M. Aziz le légataire universel. Et ce au détriment de ses propres enfants. Incroyable. Mais est-ce vrai ? Est-il concevable qu’un père déshérite sa descendance au profit d’une autre personne aussi proche soit-elle ? Là réside tout le mystère de ce dossier qui avait défrayé la chronique il y a plusieurs années.
Imbroglio
Après le décès de Lahcen Jakhoukh, le 9 juin 2015, à Paris, sa famille découvrait trois actes chez un notaire: un testament désignant son ami, Mustapha Aziz, comme légataire universel ; une procuration de donation d’un tiers du patrimoine de Lahcen Jakhoukh à Moustapha Aziz, et une reconnaissance de dettes d’une valeur de 10 millions d’euros (plus de 120 millions de DH). Les quatre enfants et l’épouse du défunt crient au scandale en clamant qu’il n’était plus en possession de ses facultés physiques et mentales, au moment où il a rédigé ces documents. Le dossier tourne à l’imbroglio juridico-judiciaire avec deux parties qui se déchirent devant les tribunaux à coups de procédures, d’expertises et de contre-expertises. Feu Lahcen Jakhoukh, né à Amerzgane, (région de Ouarzazate) en 1947, que ceux qui l’ont connu le décrivent comme un chic type au grand cœur, a laissé derrière lui un groupe en proie à de graves problèmes qui menacent son existence et surtout beaucoup de questions sans réponses sur les vraies raisons d’un conflit très peu habituel. Très peu habituel car il ne s’agit pas d’un litige classique entre associés mais d’un conflit opposant le père Jakhoukh à sa propre famille, principalement son fils aîné Tarik qu’il a envoyé à l’ombre pendant 3 ans pour abus de confiance, dilapidation de fonds et escroquerie. C’est quand même curieux qu’un père œuvre activement pour que son rejeton soit mis derrière les barreaux pour une histoire d’argent… En principe, un père est prêt à donner tout ce qu’il possède pour que son fils n’aille pas en taule… Telle n’a pas été la démarche du père Jakhoukh qui semble vouer une haine sans limites à son fils aîné qu’il n’a pas hésité à excommunier ! Preuve, les propos prêtés au défunt dans quelques enregistrements vidéo postés sur Internet qui sont d’une extrême virulence. L’épouse, Soumya Loudiyi, n’a pas non plus été épargnée par la colère du mari qui a appelé également les foudres divines sur un certain Marwazi. En écoutant les imprécations de feu Lahcen Jakhoukh qui dégagent un ressentiment incommensurable envers les siens, le fils et sa mère représentent avec M. Marwazi « des gens dangereux (qui) m’ont tué plusieurs fois » et qui « ont volé 28 milliards» des caisses de Drapor. Pour ce self made man qui a fait fortune au Gabon avant de rentrer au Maroc en 2000 pour racheter Drapor alors privatisée, les coupables doivent rendre des comptes tout en disant avoir confiance dans la justice marocaine pour « être rétabli dans ses droits de son vivant ». Un seul homme trouve grâce à ses yeux, « docteur Aziz que Dieu le protège ». Dans quelles conditions le défunt a-t-il produit son réquisitoire ? A-t-il été sous influence au moment des faits, poussé par l’on ne sait quelle force à s’en prendre à ses enfants ? Là réside toute la question.
Moyens malhonnêtes
Mais d’abord qui est ce personnage-clé qui a surgi dans la saga des Jakhoukh et que le défunt encense à l’excès au point d’en faire l’unique légataire ? Pour les héritiers, Mustapha Aziz, qu’ils accusent des pires desseins et d’être à l’origine de leurs malheurs, des tribulations du groupe et d’une volonté obscure d’en prendre le contrôle par tous les moyens, a réussi à entretenir avec le père des liens empreints d’une grande amitié. Cette proximité, qui dépasse le cadre d’une relation professionnelle normale, a suscité la méfiance du fils qui a essayé de mettre en garde son père contre son « meilleur ami » en lui apprenant que le nom de ce dernier figurait sur une liste de personnalités proches de l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo, faisant l’objet d’un avis de recherche pour incitation à la violence et à la haine.
La méfiance de Tarik Jakhoukh à l’égard de celui qui se présente comme le compagnon fidèle du milliardaire berbère ne s’est pas dissipée même si le nom de M. Aziz a été entre-temps supprimé de cette liste noire. Mais le suspect lui en tiendra visiblement rigueur, n’appréciant guère que Tarik ait cherché à nuire à sa relation avec le boss. C’est à ce moment, au début de 2012, que commencèrent les ennuis du fils Jakhoukh qui parle d’une « vraie offensive » menée par son adversaire « visant son écartement de la société, l’éclatement de la famille et la maîtrise des sociétés » du groupe. Les héritiers Jakhoukh ont contre-attaqué en organisant vendredi une conférence de presse à Casablanca pour expliquer les tenants et aboutissants de cette affaire troublante en essayant de dépeindre Mustapha Aziz sous les traits d’un personnage maléfique qui cherche par diverses manœuvres à faire main basse sur le patrimoine de Lahcen Jakhoukh. Plus grave encore aux yeux des héritiers, Mustapha Aziz a falsifié le testament qui fait de lui le seul bénéficiaire de la fortune du défunt et que celui-ci aurait établi alors qu’il agonisait sur son lit de l’hôpital parisien. Quel crédit donner à un tel document sachant qu’un malade agonisant n’est pas forcément en possession de toutes ses facultés mentales pour pouvoir signer des testaments de cette importance ? Sommes-nous alors face à une captation d’héritage par des moyens frauduleux comme l’expliquent les héritiers de feu Lahcen ? C’est ce que ces derniers tentent depuis des années de prouver en attaquant en justice ce supposé testament. S’estimant injustement dépossédée par des moyens malhonnêtes, la famille Jakhoukh n’en démord pas. Elle conteste les documents et tente de récupérer la possession des biens et la gestion des sociétés. Et s’appuie sur plusieurs analyses, dont celle d’une experte près la cour d’appel de Paris, qui a comparé la signature figurant sur le testament à des échantillons de 2002 à 2014 : « Elle présente une altération de son tracé, démontrant une plus grande difficulté à signer. Cette altération est visible à partir d’octobre 2014 et est compatible avec la détérioration de son état de santé. » La condamnation de Mustapha Aziz, qui réside à l’étranger, par la justice marocaine relance ce dossier plein de zones d’ombre tout en fragilisant sa ligne de défense. Le document remis en cause porte sur un acte d’hérédité établi à l’insu des héritiers légaux sur la foi d’un testament non reconnu au Maroc. Le tribunal de grande instance de Paris n’avait pas non plus donné du crédit à cet écrit, concluant à « l’insanité d’esprit de Lahcen Jakhoukh ». Le mystérieux Mustapha Aziz a-t-il navigué en eaux troubles pour s’approprier le groupe Jakhoukh ?