Résidents et commerçants ont pris l’habitude depuis longtemps d’exploiter nombre de sites de la bande littorale, avec la complicité des élus communaux qui monnayent tout ce qui génère de l’argent facile dans une opacité totale.
Ce mois de janvier a été inscrit pour le Maroc atlantique et méditerranéen sous le signe des démolitions. Cafés, restaurants, maisons, petites auberges, écoles de surf et autres kiosques…Tout passe et fracasse sous les godets impitoyables des pelleteuses dont le bruit couvre les protestations des occupants.
Il s’agit d’une série d’opérations bulldozer encadrées sur le terrain par les représentants des autorités locales, des élus et la force publique. Ils ont reçu pour ordre de libérer le domaine maritime occupé illégalement par diverses constructions implantées notamment sur le littoral de nombre de sites relevant de deux grandes régions : Souss-Massa et Casablanca-Settat. Deux régions qui ont changé récemment de Wali, Saaid Amzazi pour la première et Mohamed Mhidia pour la seconde. Si le démantèlement des habitations anarchiques autour du Mausolée Sidi Abderrahmane à Aïn Diab n’a pas suscité d’émoi particulier dans l’opinion où elle a même été saluée, tel n’a pas été le cas pour le restant des localités visées : la plage d’Imsouane située à 70 km au nord d’Agadir, le petit village de pêcheurs de Tifnit, juché sur une pointe rocheuse à 45 km au Sud d’Agadir en allant vers Tiznit et Dahomey Plage à proximité de Bouznika, accessible à seulement 40 minutes de Rabat et de Casablanca.
Les maisons en front de mer de Imsouane et de Dahomey, ainsi que les échoppes et les clubs de surf du rivage, ont été transformés en tas de gravats. Le ciblage de ces endroits à vocation touristique a eu un retentissement médiatique énorme aussi bien dans la presse locale que les médias étrangers. Paradis pour surfeurs de renommée internationale, prisé notamment par les touristes hexagonaux, Imsouane a eu droit à des articles dans la presse française. Après des consignes orales des autorités locales, il y a une semaine, une mise en demeure de quarante-huit heures a été lancée aux occupants pour vider les lieux.
Ces derniers sont à la fois scandalisés et choqués. Qui par la disparition brutale de sa demeure, qui de son gagne-pain.
Certains ont dénoncé le caractère brusque et hâtif de la démarche des responsables, essentiellement dans dans la province de Chtouka-Aït Baha dans le Souss (Sidi Ifni, Sidi Taoual, Sidi Ouassay, Sidi R’bat, Douira). Il fallait sans doute donner plus de temps aux concernés et offrir une alternative viable à ceux qui ont perdu brutalement leur source de revenu. Le fait que l’Etat a le droit de reprendre son patrimoine littoral injustement investi n’est pas incompatible avec une démarche socialement responsable. Que vont devenir en effet les centaines de pêcheurs de Tifnit et les milliers de petits commerçants qui vivent du tourisme balnéaire? Ils iront certainement, faute d’activité de substitution, partir grossir la cohorte des chômeurs et des délinquants.
Face aux doléances des uns et les griefs des autres qui sont compréhensibles, les autorités invoquent l’occupation illégale du domaine maritime et que l’État a le droit de récupérer à tout moment. Or, résidents et commerçants ont pris l’habitude depuis longtemps d’exploiter nombre de sites de la bande littorale, avec la complicité des élus communaux qui monnayent tout ce qui génère de l’argent facile dans une opacité totale .
Quid de ceux qui se sont enrichis de ce business illégal ? Dans un État de droit, ils doivent rendre des comptes en répondant de leurs actes devant la justice. Mais à quoi riment cette offensive contre ces espaces halieutiques et balnéaires sur l’Atlantique ? Est-ce pour dégager de la place, comme le pensent certaines victimes, à de nouveaux projets touristiques modernes répondant à un cahier de charges précis que les autorités ont lancé leurs bulldozers contre les anciennes constructions ? Il convient plutôt de s’interroger sur le timing de cette campagne d’envergure qui n’est certainement pas fortuit, ayant visiblement un lien avec la Coupe du monde 2030 que le Maroc co-organise avec l’Espagne et le Portugal.
Le pays, qui en a longtemps rêvé, n’a pas d’horizon aussi important que celui-là et qui nécessite une mise à niveau en profondeur dans le domaine des infrastructures mais aussi une restructuration du littoral qui, force est de le reconnaître, s’est développé souvent dans une grande anarchie alimentée par la spéculation foncière et la prédation immobilière. Il faut donc se donner les moyens nécessaires , en termes d’augmentation de la capacité litière et d’attractivité des territoires, pour accueillir de bonnes conditions 26 millions de touristes en 2023, selon les prévisions de la ministre de tutelle.
Est-ce la fin d’un laxisme ravageur et de la pagaille alimentée par les passe-droits sur le littoral national? On voudrait bien croire que les pouvoirs publics ont décidé une fois pour toutes de mettre de l’ordre dans le patrimoine maritime national . Or cette richesse exceptionnelle est victime depuis des lustres d’une prédation à grande échelle sur fond de bétonnage qui a produit au fil des ans un tissu de constructions sauvages et hideuses.
À force de laxisme et de complicités souvent sonnantes et trébuchantes, toutes les zones sont devenues pratiquement constructibles ! Circulez, il n’y a plus rien à protéger ! Quid de la loi littoral censée préserver et contribuer à valoriser les sites naturels en front de mer par un encadrement des activités de loisirs liées au balnéaire? Elle sert visiblement juste à alourdir l’arsenal juridique du pays. Les pouvoirs publics et les élus laissent faire au grand profit des prédateurs de l’immobilier qui parviennent à leurs fins en faisant construire des complexes résidentiels sous forme de villas sans s’embarrasser d’aucune considération qu’elle soit écologique, touristique, urbanistique ou esthétique.
Anarchie lucrative
L’essentiel c’est qu’ils s’enrichissent au détriment de l’environnement et de la collectivité en vendant au prix fort leurs projets aux inconditionnels de «la vue sur mer» ou d’escapades «pieds dans l’eau». Sans que ce bétonnage, qui s’insère très rarement dans le paysage, ne génère la moindre dynamique économique en faveur des habitants de la région qui souvent se plaignent de ce coulage de béton qui leur gâche la vue et la vie.
La seule valeur ajoutée générée est celle qui profite aux promoteurs eux-mêmes qui, une fois leurs masures écoulées, s’en vont chercher un autre «coin de paradis» maritime à défigurer, qu’ils vanteront ensuite à coups de réclames dans les médias.
Au rythme où vont les pelleteuses et les appétits des rapaces, il ne restera plus de zone vierge tout au long des belles côtes marocaines qui s’étirent sur plus de 3 400 km. L’effet aubaine n’est pas près de s’arrêter tant que les communes, concernées en premier lieu par la protection de leur domaine littoral, n’agissent pas dans le sens d’un développement cohérent de ses espaces en élaborant des schémas de mise en valeur de la mer (SMVM).
Dans beaucoup d’endroits magnifiques comme à Sidi Rahal et à Dar Bouazza, pour ne citer que la région casablancaise, c’est l’anarchie qui domine avec des constructions moches qui jaillissent de terre dépourvues des attributs d’un programme touristique digne de ce nom. Mais les seigneurs de la pierre, attirés par l’appât du gain, profitent des mesures incitatives accordées au tourisme national et de l’incurie du personnel communal pour se lancer en toute impunité dans un immobilier pur et dur préjudiciable au patrimoine maritime. Infractions en tout genre, atteinte aux droits des riverains, menace sur les équilibres biologiques…, les scandales sur ce front sont légion.
Mais les pouvoirs publics, à commencer par le ministère de l’Environnement, ne font rien pour protéger le littoral contre la mercantilisation sauvage et les faux développeurs-aménageurs qui ont poussé comme des champignons tout au long des villes littorales. Pour un pays qui se veut en pointe en matière de protection de l’environnement, les massacres en front de mer doivent interpeller les responsables et réveiller leur conscience endormie. Le littoral appartient à tous les Marocains. Aux autorités d’agir pour le préserver de la rapacité foncière et immobilière. Avec l’objectif d’en faire, conformément à la réglementation en vigueur, un levier de développement économique et touristique au bénéfice des visiteurs locaux et étrangers. Pour y arriver, il faut juste veiller à l’application de la loi et son respect par tous.