Le verdict est tombé comme un couperet sur la tête de Abdelali Hamieddine. La Chambre criminelle près la Cour d’appel de Fès lui a infligé mardi 11 juillet une peine de prison de 3 ans ferme.
Le dirigeant du Parti Justice et Développement (PJD) était poursuivi depuis plusieurs années en état de liberté provisoire dans le cadre d’une affaire qui lui pendait au nez depuis trois décennies et qui lui empoisonnait la vie : l’assassinat de l’étudiant de gauche Benaïssa Aït El Jid en 1993 dans l’enceinte de l’Université Sidi Mohammed Benabdellah, dite Dhar Mehraz. L’étudiant assassiné, originaire d’Errachidia, a trouvé la mort lors d’affrontements qui faisaient alors rage entre le camp des gauchistes et les groupuscules islamistes.
La famille de la victime et l’inculpé ont interjeté appel de ce jugement qui a reconnu coupable l’islamiste de « coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner» dans une affaire dont les circonstances n’ont jamais vraiment été élucidés. La Cour d’appel de Fès a décidé en décembre 2018 de relancer ce dossier dont il a terminé l’instruction après examen de nouveaux éléments apportés par un témoin crucial, El Khemmar Al Hadioui. Proche de la victime, il aurait assisté à la scène qui lui a été fatale. Cette histoire, qui remonte à la période où les islamistes n’étaient pas encore légalisés et intégrés dans le jeu politique, a toujours constitué un point de tension entre le PJD et le pouvoir. La réouverture du dossier en 2018 a eu lieu alors que le PJD était au gouvernement dirigé alors Saad Eddine Al Othmani.
Aussitôt la nouvelle connue de l’inculpation de Hamieddine, c’est le branle-bas de combat au sein de la formation islamiste dont le patron Saadeddine Al Othmani a réuni dare-dare le secrétariat général du parti pour examiner cette nouvelle donne. Le ton du communiqué rendu public à l’issue de ce conclave en dit long sur l’état d’esprit des ouailles de Benkirane : la l’incompréhension mâtinée de colère. Dans leur déclaration, les dirigeants affirment avoir appris avec « une grande surprise la décision du juge d’instruction de la Cour d’appel de Fès pour sa participation présumée dans le meurtre avec préméditation (…) alors que la justice avait déjà rendu son verdict pour ces mêmes faits en 1993», tout en regrettant que cette affaire refasse surface. Abdelali Hamieddine avait, en effet, déjà été condamné une première fois en 1993 à deux ans de prison ferme pour son implication présumée dans ce meurtre. Curieusement, l’intéressé obtiendra plus tard réparation auprès de l’Instance équité et réconciliation (IER) qui l’a considéré comme victime !
Cette histoire, qui remonte à la période où les islamistes n’étaient pas encore légalisés et intégrés dans le jeu politique, a toujours constitué un point de tension entre le PJD et le pouvoir.
«La réouverture de ce dossier (…) est contraire aux dispositions de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP)» en vertu duquel « nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays», font remarquer les ténors du parti dans leur communiqué. Mais s’agissant de mort d’homme, est-il juste de ne pas relancer le procès si la justice estime que des éléments nouveaux se sont fait jour? Là réside la question de fond. Balayant cet argument d’un revers de la main, les islamistes considèrent que la décision de la juridiction de Fès « constitue une forme extrêmement préjudiciable de principes d’un procès équitable, menace la stabilité et la souveraineté des décisions de justice et porte gravement atteinte à la sécurité juridique ». Autrement dit, le principal parti au pouvoir à l’époque monte publiquement au créneau pour faire douter de l’indépendance de la justice et de sa impartialité !
Après s’être tassée, l’affaire revient à Hamieddine encore à la figure comme un boomerang, le replongeant dans un passé trouble et agité qu’il aurait aimé voir définitivement enterré. Le déterrement de cette affaire qui le poursuit comme une malédiction alors qu’il estime avoir payé a de quoi l’empêcher de dormir tranquille et alimenter du coup la méfiance qui a toujours prévalu entre l’État et les islamistes légalisés. Car les islamistes sont convaincus que c’est le parti qui est visé et que ses détracteurs- sans les nommer- cherchent à atteindre par le biais de cette affaire. Premier à réagir après l’annonce de la réouverture du dossier Ait El Jid, le ministre d’Etat chargé des Droits de l’homme Mustapha Ramid, que le parti a chargé de présider une commission spéciale à cet effet, a écrit sur son compte Facebook : « En sortant cette décision judiciaire de son cadre et en la colorant politiquement, on a dérogé au principe d’un procès équitable ». Le PJD de l’opposition dirige par Abdellah Benkirane n’a pas réagi a la condamnation a trois ans ferme de l’ex-député islamiste. Benkirane, empêtré dans des problèmes d’argent du parti, a certainement d’autres chats à fouetter.