Il ne suffit pas d’édicter des lois aussi-avant-gardistes soient-elles pour changer la réalité. Encore faut-il agir sur les poches de résistance et le poids des conservatismes qui perdurent au sein de la société….
La nouvelle Moudawana, entrée en vigueur le 5 février 2004, est de moins en moins adaptée au nouveau contexte social. En un mot, elle est dépassée. Que d’eau a coulé sous les ponts depuis cette première réforme saluée alors comme une avancée majeure sur la voie de l’émancipation de la femme marocaine. Sans conteste, le texte a besoin plus que jamais d’une révision pour en adapter certains aspects aux nouvelles mutations comme S.M le Roi Mohammed VI en a souligné la nécessité lors de son discours du Trône du 30 juillet 2022.
Rappelant que le Code de la famille constituait un grand pas en avant, le souverain a expliqué que celui-ci «ne suffit plus en tant que tel» , arguant que «l’expérience a en effet mis en évidence certains obstacles qui empêchent de parfaire la réforme initiée et d’atteindre les objectifs escomptés».
Parmi les points épineux à revoir et qui continue à cristalliser les critiques de la société civile, le mariage des mineures. Quand bien même la loi a interdit ce dernier (la Moudawana ayant relevé l’âge du mariage de 15 à 18 ans), il peut en vertu de l’article 20 de cette même Moudawana être autorisé par le juge de la famille dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire dans certaines situations précises. Sauf que ce qui était censé relever de la dérogation a eu tendance à se généraliser dans les faits. En effet, l’exception en la matière est devenue la règle au vu des chiffres, il est vrai, effarants relatifs aux mariages précoces. En 2020, pas moins de 13.000 dérogations sur près de 20.000 demandes déposées ont été accordées pour marier des filles mineures. Encore que ces statistiques ne représentent que la face visible de l’iceberg en raison de la persistance du mariage coutumier par simple « Fatiha » qui continue à être contracté en dehors de la voie légale. Jugé source du mal, plusieurs milieux associatifs et politiques appellent à l’abrogation de ce fameux article 20. Mais le problème est plus complexe qu’il n’y paraît. En cause, la réalité d’une bonne partie du pays, précisément le monde rural où les conditions sociales de la fille en particulier et de la femme en général sont très peu reluisantes. Une réalité à laquelle le juge de la famille tente de s’adapter à défaut de pouvoir l’ignorer… Dans le Maroc des campagnes, les filles sont souvent considérées comme une charge dont il faut se débarrasser en les mariant le plus tôt possible souvent contre leur gré. D’ailleurs, 74,3% des mariages en dessous de l’âge légal émanent de familles où la décision revient au père. Or, il est incontestable que la place naturelle d’un enfant, fille ou garçon, se trouve à l’école comme le confirme l’échec, démontré par une série d’études et d’enquêtes, de la majorité des mariages précoces.
Changement des mentalités
Mais le grand défi réside dans la capacité des gouvernants à agir sur le réel de la fille rurale pour le changer, sachant que la loi, ainsi que l’a montré l’article 20, ne peut pas, à elle seule, provoquer ce changement. Améliorer le sort de la gent féminine en milieu rural passe évidemment par l’éducation. Effectivement, il ne suffit pas d’édicter des lois aussi-avant-gardistes soient-elles pour changer la réalité. Justement, la Moudawana ne fait pas exception, qui se heurte aux poches de résistance et au poids des conservatismes qui perdurent au sein de la société. La Moudawana a le mérite d’exister, c’est une plate-forme juridique essentielle, mais il n’en reste pas moins qu’il est primordial de favoriser un changement des mentalités en actionnant principalement le levier éducatif en l’accompagnant par un arsenal législatif qui ne soit pas en déphasage avec réalité sociale. En somme, l’évolution tant attendue est intimement liée au degré de progrès que la société est prête à consentir particulièrement dans le domaine de l’éducation où le Maroc cumule bien des déficits et des ratages. L’analphabétisme et l’ignorance, conjugués au dénuement et aux inégalités qui frappent encore des pans importants de la population, agissent comme un frein à toute véritable évolution de la cause des femmes.
L’amélioration des conditions socio-économiques de la majorité des citoyens dans le Maroc des villes et surtout des campagnes où la femme ne jouit pas encore de ses droits les plus élémentaires est seul à même de lui donner la place qui lui revient au sein de la société avec tout le respect et la considération dus au partenaire de l’homme. Il est vrai que le niveau de vie des Marocains en général a évolué au cours de ces deux dernières décennies mais force est de constater que la faiblesse des salaires qui est le lot des populations rivées en bas de l’échelle est source de discrimination pour les femmes surtout si elles ne sont pas indépendantes économiquement. Les divorces dans les milieux défavorisés tournent au drame, en ce sens que le mari est obligé de payer de son salaire dérisoire, insuffisant pour couvrir ses propres besoins, une pension pour sa femme et ses enfants ! Les juges des tribunaux de la famille croulent sous ces dossiers qui en disent long sur l’insuffisance des textes en l’absence d’une bouclier, matériel et éducatif, servant de protection à la fois du mari et de la femme.