Ceux et celles qui ont eu l’occasion de prendre le train reliant la ville de Casablanca à l’Aéroport Mohamed V connaissent quant à eux/elles, les affres et les surprises de la navette qui porte bien son nom. Un vrai train qui n’est pas comme les autres et qui ne cadre point avec le sens de l’émission télé, tant cette ligne semble être le dernier souci de l’ONCF, alors qu’elle constitue une connexion principale du Maroc avec l’étranger. « Cette ligne a été abandonnée à son sort depuis plusieurs années. Comment a-t-on pu la garder en l’état pour desservir un aéroport international, le plus important du pays et qui de surcroît porte le nom du père de la Nation? » C’est sans équivoque un prolongement des lignes aériennes et un maillon essentiel de la modernité d’un cadre aéroportuaire qui se respecte, sensé être en parfaite synergie avec une grande métropole baptisée « WeCasablanca », une Smart city se voulant une agglomération intelligente, attractive, propice aux rencontres fécondes entre personnes en provenance de divers horizons, créatrices de richesses économiques, culturelles et sociales. C’est le premier contact d’un étranger avec notre pays à l’arrivée et sa dernière expérience avant son retour chez lui.
Dressons-en le parcours
Venant d’un pays d’Europe, d’Amérique, d’Afrique ou du Moyen Orient, à bord d’un avion avec confort et services compris, notre voyageur après avoir parcouru les labyrinthes de l’Aéroport Mohamed V et déchiffré une signalétique miniature, digne d’un tableau test chez un ophtalmologue, devra s’engouffrer dans le sous-sol de cet aéroport pour atteindre une gare sombre dont l’éclairage peine à repousser la morne ambiance environnante. Prendre le train qu’on devine en partance pour Casablanca est un parcours du combattant pouvant idéalement servir à la célèbre émission d’aventure de «Pékin Express ». La vétusté criarde du train à l’arrêt, laisse comprendre que les plus anciennes des locomotives et des voitures ont été réservées à cette ligne malgré son caractère international, probablement pour cacher les misères d’un matériel roulant qui aurait suscité un tollé général des utilisateurs s’il était exploité sur d’autres lignes nationales. Dans la ruée vers le train, il faut d’abord se hisser à la hauteur anormale des escaliers par rapport aux quais, accéder aux voitures en soulevant ses bagages et réussir l’exploit de les faire passer par des portes bizarrement étroites, non conçues pour le type d’utilisateurs d’une ligne connectée à un aéroport. Personnes âgées ou handicapées, le train n’est pas fait pour elles, sauf assistance d’un voyageur pour les aider à accomplir la prouesse de monter en voiture et de descendre sur le quai.
Une fois à l’intérieur, notre voyageur sera surpris de voir qu’il doit s’assoir là où il peut et qu’il n’existe pas de lieux de rangement dédiés au dépôt des sacs et valises qu’il est acculé à déposer dans l’espace donnant accès aux voitures tout en gardant un œil sur ses bagages, où s’il y arrive, les garder dans le couloir tout près de son siège en gérant leur balancement au gré des mouvements du train. Ensuite, c’est non plus la vétusté des lieux qui attirera l’attention de notre voyageur, mais la saleté poisseuse du sol, des vitres et des sièges. Il faudra juste espérer que notre hôte, n’ait pas envie d’aller aux toilettes. Parfois, il est salvateur que celles-ci soient closes et l’on comprend pourquoi. Après un moment d’acclimatation et d’accoutumance, c’est un autre spectacle qui s’offre à notre voyageur. Celui des bidonvilles casablancais que le train traverse malgré lui, tout comme les demeures insalubres aux murs décapés par l’humidité, les intempéries et par l’effet du temps impassible. Le spectacle désolant continue avec les déchets et les détritus jetés par les citoyens par-dessus les murs de part et d’autre la voie ferrée. C’est le même parcours au retour du voyageur, le même panorama et les mêmes images qui reviennent pour s’ancrer dans son esprit, sapant ainsi tous les aspects positifs de notre pays qui auront marqué son séjour parmi nous.
« Ne pas avoir saisi que cette ligne est un autre prolongement des connexions de notre pays avec le monde, est la manifestation d’une cécité managériale impardonnable» Je ne comprends pas pourquoi cette ligne a été abandonnée à son sort depuis plusieurs années. Comment a-t-on pu la garder en l’état pour desservir un aéroport international, le plus important du pays et qui de surcroît porte le nom du père de la Nation? Avons-nous pensé à l’impact négatif de cette ligne dans les évaluations faites par les enquêtes de connectivité logistique et touristique de notre pays? Appréhendons-nous la damnation possible de notre réseau de transport à l’occasion de la présentation de nos candidatures à des rendez-vous, politiques, sportifs ou culturels mondiaux par des commissions internationales chargées de faire une évaluation de nos capacités à abriter de tels événements ? L’évaluation de notre candidature à l’organisation tripartite de la coupe du monde de 2030 (Maroc-Espagne-Portugal), est certainement le prochain défi à relever. Il est aussi permis de penser que cette ligne est exploitée uniquement pour servir les voyageurs de bas étage, car pour beaucoup, aller à l’aéroport ou en venir est censé être réservé aux nantis qui se font conduire en limousine, en voiture ou en taxi tout comme les élus ou les hauts fonctionnaires qui s’y rendent avec chauffeur à bord d’un véhicule marqué de la célèbre « M » rouge. Comme disait Jules Renard, le train est l’automobile du pauvre, il ne lui manque que de pouvoir aller partout.
Le sort de cette ligne qui porte un grand préjudice à notre pays relève certes de la responsabilité de l’ONCF, mais devrait aussi préoccuper tout autant les Départements et les organismes concernés: Tourisme, Office National Des Aéroports (ONDA), Royal Air Maroc, Région et Collectivités etc … Elle est indiscutablement l’affaire de tous, pour qu’elle puisse se hisser à la hauteur de la connectivité mondiale. En l’état, elle ne semble pas aujourd’hui faire partie des priorités du plan d’actions annoncé par l’ONCF dans le cadre de son 4ème Contrat programme avec l’Etat pour la période 2019-2025, visant selon cet Office, «le développement du réseau ferroviaire marocain selon un schéma optimisé, notamment en termes de financement et de gouvernance, ainsi que la poursuite de l’effort d’alignement de la qualité et de la régularité des services sur les standards internationaux ». Il est regrettable que cette ligne n’ait pas bénéficié des contrat- programmes précédents dont le premier couvrait déjà la période 2002-2005. Le bout du tunnel pour entrevoir les standards internationaux parait bien loin.
Ne pas avoir saisi que cette ligne est un autre prolongement des connexions de notre pays avec le monde, est la manifestation d’une cécité managériale impardonnable. C’est ignorer que l’un des premiers jugements portés sur l’économie d’un pays c’est le transport et ses capacités logistiques (fluidité, connectivité, gain de temps, sécurité…). « L’ensemble des chantiers envisagés devraient fédérer tous les intervenants en rapport avec le système aérien national »
La ligne Aéroport Mohamed V/Casablanca est pour le moment en totale antinomie avec l’objectif grandiose de l’ONDA de faire de l’aéroport Mohamed V une grande plateforme aéroportuaire en parfaite symbiose avec le Hub Royal Air Maroc. En effet l’ONDA envisage un programme ambitieux visant le développement de l’Aéroport Mohammed V aux horizons 2040 et 2050 y compris le schéma de connexion entre les terminaux et la satisfaction des besoins actuels et futurs concernant la connectivité routière et ferroviaire. Il est à rappeler que durant l’année 2022, l’Aéroport Mohammed V a accueilli, 7.637.643 passagers au moyen de 67.094 vols (Source bilan ONDA). C’est dire le potentiel actuel et futur des passagers devant utiliser le train en partance vers diverses destinations. Ce programme coïncide avec le Plan Rail Maroc 2040, portant sur le développement à l’horizon 2040 du réseau ferré national dans ses différentes composantes et pour la réalisation duquel l’ONCF table sur un budget de 375 milliards Dh.
Sauf que l’importance et le caractère international de la ligne reliant l’Aéroport-Mohamed V aux gares de Casablanca ne peut se permettre le luxe d’un tel horizon lointain et devrait au plus vite bénéficier d’un chantier prioritaire pour sa restructuration et la rénovation de ses équipements. L’ensemble des chantiers envisagés devraient fédérer tous les intervenants en rapport avec le système aérien national, Royal Air Maroc en tête, qui vient à son tour de bénéficier d’un nouveau contrat-programme avec l’Etat pour la période 2023-2037. Ce programme vise la mise en œuvre du plan de développement de cette compagnie, le renforcement de sa compétitivité et la digitalisation et l’amélioration de la qualité de ses services. La RAM prévoit également de quadrupler sa flotte aérienne en passant de 50 appareils actuellement à 200 appareils au cours des 15 prochaines années.
Parcours du combattant
Il va sans dire que la mise en synergie des trois programmes (ONDA, ONCF, RAM) est d’une extrême nécessité pour le renforcement de cette partie stratégique de la chaine du transport national. A quoi serviraient ces efforts considérables consentis par l’Etat en faveur des trois Organismes notamment la RAM pour lui permettre de faire face à la concurrence farouche d’autres compagnies aériennes, si le voyageur se retrouve englué dans la lenteur des services à terre, dans le labyrinthe du transit à l’intérieur de l’aérogare et face au casse-tête du transport et aux nuisances de toute sorte une fois à l’extérieur de l’aéroport ?
L’occasion de rappeler le regrettable tohu bohu à la sortie de l’aéroport de Marrakech qui effarouche les voyageurs tant l’ambiance n’a rien à envier à un Souk hebdomadaire où certains taximen et rabatteurs excellent en échauffourées pour s’arracher des touristes éberlués. Bienvenue à la cité ocre ! Notre première destination touristique. Aussi et en pensant à ce qui est advenue de la gare de Rabat, Ville Lumière, avec la construction d’une gigantesque bâtisse en acier qui ferait rire la Tour Eiffel, pleurer les remparts avoisinants et faire rougir de honte l’architecture art déco environnante. Quant à la gare de Rabat Agdal, c’est une autre conception énigmatique ; y prendre le train, relève du mythe de Sisyphe. Il faut monter aux étages supérieurs en prenant obligatoirement un escalator et puis redescendre vers les quais après avoir traversé un long hall et une esplanade extérieure qui ne sert à rien. À l’arrivée c’est le même parcours du combattant : un passage obligé par les hauteurs du Mall; un itinéraire dont seul l’ONCF détient le secret du dessin comme du dessein. Si par malheur les escalateurs tombent en panne, il faut être un athlète pour enjamber les nombreux escaliers bagages en mains. Les personnes âgées ou souffrant d’un quelconque handicap, elles n’ont de choix que de prendre leur mal en patience et d’attendre la reprise probable des escaliers roulants ou de reporter leur voyage.
Il est temps de donner plus d’attention au cœur du métier de l’ONCF, en atténuant cette fâcheuse tendance à faire des gares des Malls au détriment des trains et services ferroviaires comme c’est le cas de la ligne Casablanca/Aéroport Mohamed V. Cette ligne devrait être pour l’ONCF une priorité des priorités pour la doter d’un train moderne, à l’accès facile et agréable, sécurisé et confortable, avec un personnel compétent et formé pour accueillir, orienter et conseiller les passagers en plusieurs langues exigées par le caractère international de cette ligne connectée aux multiples destinations aériennes du monde.Espérons cette fois ci que le train qui arrivera ne cachera pas un autre.