Khouribga, une ville française… (23)

En 2020, nous célébrons le centenaire de la fondation de la ville de Khouribga et celle de l’OCP, l’Office Chérifien des Phosphates voulu par Lyautey. Jnaynar Lotti comme le nomment les indigènes des Ouled Abdoun, en signant le décret du 27 janvier 1920, est conscient du caractère exceptionnel de l’Office, prononcé « Loufisse » par les autochtones, et décide d’en confier l’exploration et l’exploitation au seul « Magasin» (ma5zen) afin d’éviter la rapacité libérale du secteur privé.

Enfant, Jnaynar Lotti fait une chute du balcon du premier étage, à l’âge de dix-huit mois, et se brise la colonne vertébrale. Il va subir plusieurs interventions chirurgicales et porter des béquilles et un corset en fer pendant dix ans. Cet accident a des conséquences à la fois sur son tempérament et sur sa psychologie. Il va rester alité fréquemment et passer son temps à lire des livres d’histoire. Il est grisé par l’épopée napoléonienne mais aussi par les récits des explorateurs, des voyageurs et des missionnaires. Dès qu’il est débarrassé de son corset, il va faire preuve de résilience et se mettre au sport pour se refaire une santé. Il joue à construire des villes dans le sable. Après son bac à sable, il accède à « Ginette », une « Prépa » très select, le lycée Sainte Geneviève tenu par des jésuites. Jnaynar Lotti est marqué, comme la plupart des jeunes gens de sa génération, par l’humiliante victoire de Bismarck qui fit prisonnier Napoléon III à Sedan en 1870. Trois ans après la défaite, Jnaynar Lotti choisira l’École militaire de Saint-Cyr plutôt que Polytechnique. Bien que ses résultats y soient excellents, Jnaynar Lotti ne s’y plaît pas et nourrit sa réflexion de rêves de grandeur et d’une profonde recherche spirituelle. Il s’oppose aux excès du libéralisme – c’est pour cette raison qu’il réserva en 1920 l’exclusivité de la gestion de l’OCP au seul Makhzen – et refuse les solutions révolutionnaires. Il adhère à l’œuvre des cercles catholiques d’ouvriers pour éviter de nouveaux drames comme celui de la « Commune » et défend les intérêts matériels et moraux des ouvriers.

Les Communards étaient les Gilets Jaunes de l’époque (cf. Canard Libéré N°544 à N°572 – Gil & John). Monarchiste de raison, légitimiste par romantisme, ce dernier ne cache pas ses opinions royalistes alors que la France est devenue républicaine et anticléricale. D’après certains historiens, il se pose également sérieusement la question de la vocation religieuse : à deux reprises il va faire une retraite en montagne, sur les hauteurs de Grenoble, au monastère de la Grande Chartreuse où des moines fabriquent et gardent secret depuis des siècles la recette, à base de plantes de montagne, de la fameuse liqueur Chartreuse. Sur l’année 2020, qui n’est pas encore finie, ces moines vont réaliser un chiffre d’affaires avoisinant les 21 millions d’euros ! Le cinéaste Quentin Tarantino a rendu hommage à cette liqueur dans son film « Death Proof », Boulevard de la Mort : « Chartreuse est la seule liqueur qui est si bonne qu’elle a donné son nom à une couleur ». La scène est jouée par Tarantino himself: « Chartrouze… the only liquor so good they named a colour after it! » La devise de Jnaynar Lotti, tirée de William Shakespeare, est restée célèbre : « La joie de l’âme est dans l’action ». Deux ans plus tard, il devient lieutenant, part deux mois en Algérie avec ses camarades de promo. L’Algérie le passionne. Il y passera deux ans, d’abord à Orléansville (l’actuelle Chlef), puis à Alger. Il critique la politique coloniale française et prône un « système plus civilisé et plus humain ». Jnaynar Lotti a hérité d’une grosse maison de maître, le château de Crévic, où il a pris l’habitude d’entasser ses souvenirs. Au début de la guerre 1914-18, les Allemands ont incendié son héritage, jaloux de sa réussite au Maroc. (A suivre)

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