Dans son nouvel essai de 364 pages, édité chez La Croisée des Chemins en 2023, le spécialiste d’anthropologie et d’histoire Rahal Boubrik revient sur les origines du Sahara. Un ouvrage d’actualité ! « Ce livre n’est pas une recherche de plus sur l’aspect juridico-politique ou historique de légitimation de la marocanité du Sahara. Il retrace le processus d’invention d’un territoire par la colonisation, invention qui est d’ailleurs reconnue par les États coloniaux eux-mêmes.
Pour ce faire, nous nous sommes appuyés sur des sources de première main encore inédites. À la lumière de cette documentation émanant principalement des archives des deux puissances coloniales (France et Espagne), l’ouvrage retrace ce long processus de morcellement du territoire marocain à partir du début du XXe siècle pour aboutir, dans la dernière décennie de la colonisation au projet de création d’un prétendu « peuple sahraoui» voire un pseudo «État». Extrait de l’introduction de l’auteur « Le but est de montrer, à travers presque un siècle (1884-1975), le processus de création d’un territoire, puis d’un ‘’peuple’’, par les puissances coloniales : la France, puis l’Espagne. Les lignes de partage sont tracées de manière unilatérale sans oublier des territoires sahariens grignotés par la France en faveur de ses colonies voisines, notamment l’Algérie.
La création d’un Sahara séparé du Maroc commençait à partir de cette période coloniale, selon plusieurs nominations : ‘’Possession espagnole au Rio de Oro’’, ‘’sphère d’influence’’, ‘’zone de protectorat au Sud’’, ‘’Afrique occidentale espagnole (AOE)’’, ‘’Sahara espagnol’’, ‘’Sahara occidental’’… C’est une création échelonnée dans le temps, sachant que la colonisation d’un territoire n’annule aucunement la souveraineté de l’État colonisé. Plus important, la colonisation du Maroc par la France a pris la forme d’un protectorat ; c’est une délégation d’autorité avec maintien de souveraineté. La notion de ‘’Sahara occidental’’ est une invention coloniale. La région comprise entre l’Oued Noun et le Rio de Oro a porté plusieurs noms en fonction de la toponymie locale : si as-sahra est la désignation employée par les gens de l’extérieur à cet espace, les tribus sahariennes utilisent des noms en rapport avec les formes du relief et le paysage du Sahara. La toponymie de certaines zones est associée à des tribus qui dominent et s’approprient le territoire (trâb). À l’avènement de la colonisation, le terme de Sahara occidental a fait son entrée pour désigner toute la partie occidentale du Sahara, afin de la distinguer du ‘’Sahara central’’ et de celui de l’est. Ce terme de ‘’Sahara occidental’’ apparaît d’abord dans les écrits des explorateurs et des voyageurs, notamment au XIXe siècle, puis il est repris dans les rapports des militaires et des administrateurs agissant dans le territoire entre le Sénégal et le sud du Maroc. Dans la conception française de l’époque, le ‘’Sahara occidental’’ s’étend du fleuve Sénégal à l’Oued Noun, au sud du Maroc […]
Rahal Boubrik est professeur chercheur à l’Institut Universitaire des Études Africaines, (Université Mohammed V, Rabat). Il est directeur de la Revue africaine des sciences humaines et sociales. Ancien directeur du Centre des Études Sahariennes (Université Mohammed V). Spécialiste d’anthropologie et d’histoire, ses travaux portent sur la parenté, le religieux et le politique dans les sociétés ouest-sahariennes. Auteur de plusieurs ouvrages dont : Saints et société en Islam (CNRS Editions, 1999), La ville dans la société bédouine (IEA, 2003), Entre Dieu et la tribu (Université Mohammed V, 2011), De la tente à la ville. La société sahraouie et la fin du nomadisme (La Croisée des Chemins, 2017).