Leïla Slimani se projette dans le passé pour nous faire danser

«L’œuvre de Leïla Slimani prend de l’ampleur avec la sortie de « Regardez-nous danser », le deuxième volume du « Pays des autres », sa fresque familiale. On retrouve la famille Belhaj à la veille de mai 68, dans un pays qui a toujours du mal à trouver sa propre voie, plus de dix ans après la fin du protectorat. » francetvinfo.fr.  La goncourisée en 2016 et maintes fois distinguée se projette dans le passé (les années soixante) pour une suite captivante à sa saga familiale. « Regarde-nous danser » est le deuxième tome du « Le pays des autres », la trilogie sur l’histoire du Maroc et d’une famille. Leïla Slimani en a eu l’idée en 2016, dans le tourbillon du Goncourt. Pour mener à bien sa trilogie Le pays des autres, Leïla Slimani s’est installée dans un autre pays. En juin 2021, l’écrivaine franco-marocaine, son mari et ses deux enfants ont quitté la France pour le Portugal.

L’expatriation à Lisbonne durera jusqu’à ce que la romancière ait terminé le troisième tome, loin du mélange de distractions et d’obligations qui constitue la vie parisienne pour une personnalité aussi sollicitée : « J’ai besoin d’être complètement dans ma bulle », explique, de passage à Paris, celle qui s’est donnée deux ans pour écrire l’ultime opus. Un délai qu’elle s’est fixée à la fois par goût des « deadlines », gardées de ses années de journaliste (avec la jeune Afrique. Le tome 2 de la fresque, Regarde-nous danser, paraît un peu moins de deux ans après le premier. Le projet général est né dans « le tourbillon sans fin» qui a suivi le prix Goncourt attribué à Chanson douce (Gallimard, 2016) et la traduction de ce dernier à travers le monde.

Les soirées où, enfermée dans une chambre d’hôtel, un peu fatiguée de répéter « les mêmes choses » sur son deuxième roman et sur elle-même, Leïla Slimani s’est mise à écrire des scènes « qui [lui] venaient de l’enfance», et des histoires livrées par sa famille – sur l’arrivée de sa grand-mère maternelle au Maroc, après son mariage avec un spahi rencontré en Alsace, par exemple. Est ainsi montée l’envie d’un roman-fleuve entremêlant l’histoire du Maroc au destin de personnages librement inspirés de ses grands-parents, parents, tantes, oncles… Le tome 1 court de 1944 à 1954, s’arrêtant avant la décolonisation du pays, déclarée en 1956. Pour se documenter, Leila Slimani a interrogé des membres de sa famille, des historiens, des sociologues, et a lu « énormément ». Le deuxième volume s’ouvre en avril 1968 et se termine à l’hiver 1974. Les recherches ont comporté de nombreux échanges avec des témoins et des acteurs de l’époque, comme l’écrivain (et juré. Goncourt) Tahar Ben Jelloun. A ces hommes et ces femmes, Leïla Slimani demande en particulier des précisions « sur ce qui est de l’ordre du prosaïque, et dont le roman a tant de choses : le nom des boîtes de nuit, l’aspect des rues… ». Des sujets précis, comme la place prise sur la carte du mouvement hippie par le Maroc, notamment le village de Diabet, près d’Essaouira. Elle se plonge dans les journaux (ainsi ceux relatant le passage de Roland Barthes comme professeur à l’université de Rabat, en 1969-1970), examine les journaux télévisés et les retransmissions des processions royales ainsi que les « très longues » conférences de presse du roi Hassan II (1929-1999).

« Quand la France a quitté le Maroc en 1956, il y avait 20 médecins marocains, 9 avocats, 9 pharmaciens. Vous imaginez bien qu’on ne peut pas construire un pays avec si peu de gens. Cela interroge cette fable de la mission civilisatrice de la colonisation. En 1960, il y avait 7 000 coopérants français au Maroc, donc toute cette jeunesse-là est évidemment occidentalisée, influencée par mai 68», déclare Leïla Slimani à la presse après la publication de son roman. « Cet héritage colonial va donner un Maroc tiraillé entre deux mondes : une vie à l’occidentale et une vie traditionnelle et conservatrice ».

« Qui sommes-nous ? C’est la question qu’on se posait à cette époque. Mais je crois qu’il ne faut pas minimiser la fin de la colonisation. Ce n’est pas parce qu’en 1956 on s’est retrouvé autour d’une table et qu’on a décidé que la colonisation politique est finie, que les gens arrêtaient d’être colonisés. Il faut imaginer que finalement c’est comme une espèce de toxine qui continue à couler dans votre sang », affirme la romancière. Mon propre père, je me souviens qu’il ne pouvait pas lire un journal en arabe, et il y avait une forme de très grand chagrin. Pour Leïla Slimani, l’objectif de cette trilogie était de donner au Maroc une dignité romanesque car il en était un peu dépourvu.

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