Sous Tinmel, des trésors à découvrir !

Un patrimoine historique qui mérite des fouilles approfondies.

Sous la mosquée de Tinmel, et enfoui dans ses alentours, se trouveraient selon des experts des trésors d’une valeur inestimable qui ne demandent qu’à être déterrés. De quoi booster l’économie et le tourisme dans la région.

Cette semaine était une semaine d’allégresse pour le ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication. La raison : des fouilles ont révélé des découvertes archéologiques de très grande importance sur le site de Chellah, à Rabat. Et c’est en fanfare que ledit ministère a procédé à la présentation des résultats préliminaires au public. L’affaire a été extrêmement médiatisée, on aurait dit une occasion de mettre en place une fête nationale fêtable chaque année. Et à juste raison ! C’était vraiment énorme. On a même découvert un quartier portuaire, ce qui constitue la première preuve de l’existence d’un port dans une ville maurétano-romaine et revêt une grande importance pour l’histoire marocaine et méditerranéenne. Et comme faire plaisir est dans les gènes du Canard, nous avons une autre bonne nouvelle pour le ministère ! Il y aurait, sur le site de Tinmel également, de quoi susciter une autre longue période de réjouissances et de festivités et de quoi donner aux médias de bons sujets, de bonnes interviews et de bonnes photos pour régaler les férus du patrimoine antique.
Et cela, le site de Chellah l’a prouvé. Ce sont des découvertes dont les Marocains sont friands ! Et fiers… Des preuves, il y en a à la pelle! Houda Rouissi est architecte et architecte de patrimoine dans le privé (il n’y a pas de répétition du mot architecte). Houda Rouissi est également membre de l’association Turath pour la sauvegarde du patrimoine matériel et immatériel de Marrakech de sa région et est originaire de la région avoisinante de Tinmel.
Selon elle : « Il y a des traces d’une véritable ville almohade autour de la mosquée de Tinmel. D’ailleurs les tombes des califes Almohades Abdelmoumen, son fils Youssef, et son petit-fils Yacoub el Mansour, ainsi que la tombe d’Ibn Toumert ont bel et bien existé à Tinmel. Les écrits rapportent que les Mérinides ont délibérément détruit ces tombes. Il existait une véritable ville faisant office de lieu de pèlerinage. La ville a été sûrement abandonnée après la chute des Almohades et saccagée par les Mérinides pour un effacement symbolique des Almohades et pour empêcher que Tinmel continue à jouer le rôle de lieu important de pèlerinage ». C’est donc d’une cité entière qu’on parle. Une cité qui a été saccagée pour détruire également l’impact religieux, politique et historique, ou globalement symbolique, d’une dynastie qu’on a renversée. Et rien que pour ça, des fouilles approfondies s’imposent (on parle d’une ville qui a été détruite rien que pour faire oublier des Califes, une ville entière qui aurait pu appartenir aux Mérinides, qui avaient la main dessus… La détruire leur a semblé plus « avantageux » !). Et cette ville n’est pas un mythe, chose que nous clarifie Mme Rouissi : « Au niveau de la littérature, quelques écrits décrivent la ville de Tinmel et citent la présence de portes monumentales, des tours de guet, une kasbah…. Parmi les auteurs qui ont décrit le site de Tinmel ou seulement la mosquée, on retrouve Henri Terrasse, Edmond Doutté (premiers clichés photographiques en 1901), l’anthropologue Robert Montagne, al-Baydaq, Ibn Abi Zaraa, Abdelwahid al-Marrakushi, Ibn Khaldoune, Tasafti, sans oublier Hamid Triki, un spécialiste des Almohades ». Ça, c’était pour les récits. Mais il n’y a pas que ça ! «Des fouilles récentes, poursuit Mme Rouissi, menées par Abdellah Fili (archéologue) et jean pierre Van Staevel (historien, professeur universitaire et spécialiste de l’archéologie et l’art islamique) ont démontré scientifiquement l’existence d’une ville défensive d’environ 15 hectares, encerclée par une muraille monumentale et à l’intérieur une agglomération d’habitations, ainsi que des traces d’objets du quotidien tel les céramiques glaçurées ».

Ce brave Professeur Fili !

Quand nous l’appelons à ce sujet, le professeur Abdallah Fili, enseignant et chercheur en histoire et archéologie médiévales, à l’université d’El Jadida, est aux anges ! Tinmel lui tient vraiment beaucoup à cœur, c’est indubitable (NDLR : et nous conseillons que ce projet lui soit confié, car la passion est là, en parallèle aux grandes compétences).
Ce dernier nous apprend: «Pratiquement l’ensemble des recherches depuis le début du siècle dernier jusqu’à aujourd’hui se sont intéressées strictement et exclusivement à la mosquée de Tinmel, en tant qu’archétype de l’architecture religieuse marocaine. Nous, on a un peu élargi le spectre en s’intéressant par exemple aux éléments défensifs du site, dont la muraille exceptionnelle de la ville et puis après la ville elle-même en fait. Parce que tout le monde croit que c’est une bourgade du Haut-Atlas. Eh bien non! C’est une véritable ville, une ville sainte en plus, de l’époque Almohade, et peut-être avant l’époque Almohade. La fouille nous précisera les chronologies et autres ». Une ville sainte de l’époque d’Ibn Toumert délaissée par le ministère de tutelle ! Et pas une petite ville car, toujours selon Abdallah Fili : « Dès les premiers travaux que nous avons menés en 2022, il s’est avéré que le site lui-même est une véritable ville avec une concentration urbaine très importante ». Et de quelle sorte d’impact parlerait-on après les fouilles, professeur? «On parle tout simplement de la réécriture de l’histoire des origines des Almohades. Iguiliz a permis de relancer le débat sur la question et je suis sûr et certain que Tinmel apportera des choses extrêmement intéressantes quant à l’origine de cet empire, le plus grand de tout l’occident musulman.
Il est tout à fait exceptionnel de pouvoir dévoiler tous ces pans complètement oubliés de l’histoire du Maroc. C’est vraiment une chance inouïe ! ». A savoir que ce genre de découvertes potentielles n’intéresse pas que le Maroc et les Marocains. Le professeur est catégorique là-dessus : « Ce n’est pas n’importe quel site. C’est un site majeur de l’histoire du monde musulman. L’histoire de Tinmel n’intéresse pas uniquement les Marocains. C’est un patrimoine archéologique mondial, qui a besoin d’être déterré, qui a besoin d’être compris, pour qu’il nous apporte ses lumières concernant l’histoire de l’empire des Almohades ».
Pour cela, il suffit à nouveau, comme cela a été fait pour le site de Chellah, d’accorder les autorisations nécessaires et de débloquer les fonds (suffisants pour de longues fouilles…). A ce sujet, le professeur Fili déclare : «Malheureusement l’archéologie marocaine reste complètement dépendante, pratiquement à 99%, de financements étrangers, de programmes étrangers. Il n’y a pas de mal à ce qu’il y ait des financements étrangers, mais pas à ce point. Je suis désolé mais c’est une faille absolument énorme de notre système, à laquelle il faut remédier.
Il faut aussi que l’État impose une loi, qui est d’ailleurs dans le sérail du gouvernement depuis une dizaine d’années, sur l’archéologie préventive, l’archéologie qui intervient avant même que les projets de construction soient menés ». Bref, pour Tinmel, tous les ingrédients sont rassemblés, et les archéologues et historiens sont déjà prêts ! Il est temps de se lancer dans ce qu’a Tinmel, la ville, à raconter. Aboulez les autorisations et les sous, ô officiels fiers du Patrimoine du Maroc !

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