L’IRES s’interroge sur le monde post-covid : De l’État providence à l’État du «care»

Le dernier rapport stratégique de l’IRES (Institut Royal d’Études Stratégique) pour 2021 vient d’être publié. Pandémie oblige, il porte sur le monde post-covid avec un large focus sur le Maroc et l’Afrique. C’est un document de référence à plus d’un titre. Il s’inscrit dans le prolongement de la réflexion que ce think-thank mène depuis sa création en 2007 avec une grande ouverture intellectuelle sur les divers apports scientifiques et leur intégration créative dans une approche stratégique et une démarche anticipative.                  

C’est cette méthodologie qui a prévalu dans l’élaboration du présent rapport. Ce dernier bien qu’il soit volumineux (plus de 350 pages), est facile à lire vu la manière didactique avec laquelle il a été conçu : des illustrations, des figures, des aperçus à retenir pour chaque chapitre…  Tout cela rend la lecture du rapport aisée et fluide. Le lecteur qui aura du mal à comprendre le sens d’un certain nombre de notions et de concepts pourrait se référer à un lexique explicatif publié à la fin du document.

La formule interrogative du titre du rapport n’est pas fortuite. Elle s’explique dans la mesure où l’on est encore au stade de la réflexion sur le nouveau monde et dont les premiers traits commencent à peine à apparaître.  Une chose est cependant certaine : la profondeur de la crise que connaît le monde actuel et que le rapport a qualifié, à juste titre, de crise systémique. Celle-ci ne peut pas seulement être attribuée à la pandémie et aux mesures sanitaires qu’il a fallu prendre. « Il s’agit plutôt de la manifestation d’un monde qui peine à sortir d’un ordre ancien et désormais inadapté pour affronter la nécessaire transformation que lui impose l’évolution. » Cette crise systémique que vit le monde a ouvert des attentes et donné lieu à beaucoup d’espoir sur le monde d’après. Le rapport de l’IRES l’exprime dans un passage fort :

« Cette fois, ce ne sont pas seulement des réformes économiques qui sont espérées, mais une refonte générale, structurelle, de la civilisation occidentale qui s’est imposée au monde entier. Il est question ici d’en finir avec l’Anthropocène, de respecter la Nature, de réduire, voire abolir, les inégalités quelles que soient leurs formes, de respecter la dignité et la liberté de chaque être humain. Il est question de démocratie, de vivre ensemble, de bien-être, de paix.  Bref, en un mot : il s’agit tout simplement de changer de monde. » Quel projet ambitieux !!

La pandémie semble, aujourd’hui, avoir permis d’atteindre une masse critique, regroupant à la fois les mécontents de la situation actuelle, les initiateurs de changements concrets (changemakers) et des penseurs suffisamment imaginatifs pour envisager de nouvelles alternatives globales et contribuer au changement de paradigme. Il ne reste plus qu’à convaincre les décideurs de la nécessité et de l’urgence de tels remaniements en profondeur.

Mais qui dit changement, ne dit pas forcément un changement vers le mieux. Il y a le risque que ça dérape vers le pire. Le rapport envisage deux scénarios fortement contrastés : « l’effondrement des sociétés humaines qui constitue une possibilité à laquelle les travaux de nombreux penseurs ont préparé les esprits (la collapsologie et le survivalisme) ; la construction d’un monde meilleur, sur des bases entièrement nouvelles en partant de la nécessité de tout repenser ». Bien sûr, on ne peut que s’inscrire dans ce dernier scénario comme le fait  le rapport en  se référant à Edgar Morin pour  lequel « La crise épidémique, doit nous apprendre à mieux comprendre la science, à vivre avec l’incertitude et à retrouver une forme d’humanisme ».

D’ores et déjà, les germes d’un nouveau changement de paradigme apparaissent. L’intérêt croissant porté au bien-être de l’être humain, aux relations avec le vivant et, plus globalement, à la préservation de la Nature ainsi que la remise en cause des conditions de la croissance en sont les principales caractéristiques. Plusieurs plans de relance adoptés dans le monde en portent la marque. Ils pourraient contribuer à façonner un monde de demain plus apaisé.

Ce Monde de demain sera marqué par le retour spectaculaire de l’État partout à travers le monde. Cependant, c’est sur la scène nationale que l’État doit d’abord reconquérir sa crédibilité. Car injecter des financements et élaborer des plans de relance ne sont plus suffisants. L’État est en effet attendu sur trois fronts, en dépit des bouleversements macroéconomiques : l’amélioration des politiques sanitaires ; la capacité à anticiper les risques à venir et à mettre en place des politiques de prévention ; une transformation de l’action publique à la hauteur des enjeux posés par cette crise systémique, plus particulièrement une action efficace envers les populations en souffrance.

C’est pourquoi l’État d’une manière générale, quel que soit le pays concerné, ne peut plus se contenter d’une réforme de façade : le changement doit avoir lieu en profondeur et de manière radicale et être conforme à la nouvelle vision du monde qui émerge, caractérisée par :

1- une nouvelle approche de la souveraineté nationale qui, outre la recherche d’une autonomie stratégique en matière d’alimentation, de santé, d’énergie… pourrait conduire à la reconfiguration des chaînes de valeur mondiales au profit de chaînes de valeur régionales ;

2-  un nouveau modèle de développement, plus durable, plus respectueux de la Nature et centré sur l’Humain ;

3- de nouveaux modes de gouvernance fondés sur une conception renouvelée de l’entité « État ».

Pour l’IRES, le temps est venu de construire une nouvelle composante de cette stratification : un État puissant, éclairé, sujet de droit et, désormais, un État du Care.   L’État du Care, une forme plus mature de l’État-providence, se distingue de celui-ci par son engagement moral et son mode d’action. Il ne se substitue pas à l’individu, mais l’accompagne, ne l’assiste pas, mais lui facilite les choses, ne l’asservit pas, mais le sert. C’est un État puissant, mais juste, rigoureux et transparent. L’État du Care n’exprime pas seulement une vision, mais incarne une personnalité: celle d’un État digne qui se soucie de sa population et la protège, un État honnête qui respecte ses engagements et les principes de justice et d’équité, un État éthique qui satisfait aux exigences du respect des droits fondamentaux des êtres humains et du vivant. Ce sont là quelques idées force d’un rapport riche et stimulant à la réflexion. Il mérite d’être lu attentivement par tous ceux et celles qui sont intéressés par l’édification d’un Maroc prospère et démocratique dans un monde plus juste et plus solidaire.

Traduire / Translate