«C‘est une question de principe ! ». Lhaj Miloud écoute poliment l’homme qui bloque toute la file en réclamant sa monnaie… Trente centimes exactement ! Un « Monsieur » élégamment vêtu, la soixantaine bien conservée… Un homme qui en impose, il faut le dire… La caissière lui répond à nouveau, sur un ton las, qu’elle ne dispose plus de petite monnaie et lui tend une pièce d’un dirham…
– Non mademoiselle, je ne veux pas de cette pièce puisque je devrais vous rendre soixante-dix centimes que je n’ai pas.
– Pas de souci, répond la caissière en question…
Mais l’homme ne veut rien entendre et lui répond que les bons comptes font les bons amis et qu’elle n’avait qu’à disposer suffisamment de petite monnaie.
– C’est la responsabilité du supermarché, je sais que vous n’y êtes pour rien. Ils n’ont qu’à commander suffisamment de monnaie d’appoint au convoyeur de fonds. Je suis un ancien banquier et je sais de quoi je parle ! Et je ne bougerai pas d’ici avant d’avoir reçu mes trente centimes. C’est une question de principe », martèle-t-il pour la «énième fois !
La situation était ainsi bloquée depuis dix bonnes minutes et la file s’était allongée sérieusement. D’ailleurs, plusieurs clients commençaient à manifester leur exaspération pendant que d’autres exprimaient leur soutien au client récalcitrant… Une minorité, il faut le dire ! Ajoutez à cela qu’une seule caisse était en service, qu’il était environ 19 heures et que chacun avait hâte de regagner son domicile pour ne pas rater le début du choc footballistique entre le Maroc et l’Algérie. Un match que les Lions de l’Atlas allaient bien sûr remporter haut la main et avec la manière… La désillusion n’en sera que plus grande ! Plusieurs personnes essayèrent successivement de jouer les messieurs bons offices mais en vain… Le ton monta rapidement et l’agent de sécurité dut intervenir, en prenant bien soin de ne pas froisser davantage le personnage irascible, qui, à ses yeux, était certainement une grande « chakhssiya » au bras long, l’habit faisant le moine !
– C’est une question de principe, répond-il inlassablement… Rendez-moi mes trente centimes ou je vous abandonne le chariot sur place. Ou alors, appelez-moi un responsable !
C’est à ce moment de tension extrême que Lhaj Miloud décida d’intervenir, tel Zorro volant au secours de la veuve et de l’orphelin, pour mettre fin à cette situation ubuesque ! Il farfouilla profondément dans ses poches et y dénicha, ô miracle, quelques pièces jaunes qu’il remit discrètement à la caissière au bord des larmes, et qui ne savait plus à quel saint se vouer… La jeune femme, soulagée, remit ostentatoirement les précieuses pièces jaunes au client qui daigna enfin libérer la voie sous les applaudissements ironiques de certains, au grand soulagement de l’assistance, et surtout du personnel du supermarché…
Comme Lhaj Miloud, qui d’entre nous n’a pas vécu ce genre de situation frisant le ridicule ? Où des individus, au nom de leur prétendu bon droit, réagissent de manière totalement disproportionnée au risque de créer un scandale injustifié ou un attroupement de badauds… Dans les embouteillages, par exemple, où des gens bloquent la voie ou klaxonnent à tout va pour manifester leur courroux… « C’est une question de principe », rétorquent-ils à ceux qui essayeront de les faire revenir à la raison ou, tout au moins, leur demander de faire preuve d’un peu compréhension et d’empathie !
Une question de principe ! Mais de quels principes est-il question ? Ces gens qui réclament leur juste monnaie, qui insultent les autres automobilistes, au prétexte qu’ils n’auraient pas respecté la priorité, qui s’estiment exemptés de délivrer un pourboire à un garçon de café ou à un livreur « parce qu’ils sont payés par leurs employeurs»… Ces gens si regardants pour des broutilles et qui sont beaucoup moins pointilleux lorsqu’il est question de respect des véritables principes moraux basés sur la tolérance, la courtoisie et le savoir-vivre… Ou lorsqu’il est question de réclamer leurs droits en cas d’abus de pouvoir exercé par certains hauts fonctionnaires indélicats !
Devons-nous entrer en conflit avec les gens pour des broutilles au motif que nous sommes dans notre droit et que nous ne voulons en démordre à aucun prix ? En matière de principes, le tout est de savoir faire preuve de discernement et de souplesse, et surtout, ne pas se tromper de combat ! Enfin, en principe !
