Finie la cohabitation historique entre les notaires et les Adouls. Depuis plusieurs années, les deux professions entretiennent des rapports conflictuels entretenus par une confusion dans leurs attributions. Explications.
L’Ordre national des adouls a décidé de reconduire son mouvement de grève après la fête de l’Aïd Al-Fitr. Initialement prévue du 8 au 14 avril, la grève sera observée par «l’ensemble des adouls à l’échelle nationale, du 15 au 28 avril». Ce nouveau débrayage de quinze jours, accompagné de sit in aux abords du siège du ministère de la Justice, paralysera l’activité d’authentification et de documentation des actes adoulaires, notamment ceux relatifs au Code de la famille. Depuis le début de l’année, cette profession vit au rythme des tensions, tentant de faire valoir ses droits et les défendre à coups de grèves à répétition. La première grève nationale , qui s’est déroulée du 29 janvier au 5 février 2024, les adouls l’ont initié pour dénoncer les propos du ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, tenus sous la coupole où il a insinué son refus d’accéder à leur revendication : pratiquer certains actes liés aux transactions immobilières, notamment le dépôt des dossiers et la perception des fonds de la part des contractants, une activité historiquement réservée à la profession des notaires. Il s’agit du droit de dépôt et de consignation, un droit qui a longtemps envenimé la relation entre les notaires et les adouls. Pour ces derniers, le propos du ministre de tutelle est inacceptable car constituant un retour de l’exécutif sur ses engagements de modifier les dispositions de la loi 16.03 afin de leur permettre d’exercer le droit de dépôt et de consignation au même titre que les notaires. Pour ces derniers, il est hors de question qu’ils partagent ce droit avec les adouls qu’ils considèrent exclusif à leur profession.Les consignations sont des fonds ou des valeurs que des créanciers, qui n’en sont pas propriétaires, déposent à la CDG qui les conserve jusqu’à leur restitution aux bénéficiaires. «Le principe des consignations consiste à protéger les fonds déposés et leur mise à disposition aux véritables bénéficiaires et ce, après avoir procédé à toutes les vérifications nécessaires.
L’article 33 de la loi 32-09 régissant le notariat est sans équivoque : «Il est interdit à tout notaire (..) de conserver les sommes qu’il détient d’autrui à quelque titre que ce soit». L’étude notariale est tenue de déposer » les fonds à la CDG «dès leur réception ».
S’estimant victimes d’une concurrence déloyale de la part des adouls, les notaires n’ont de cesse de dénoncer, via le conseil national de l’ordre des notaires du Maroc (CNONM), les agissements de ceux qu’ils accusent de pratiques illégales, notamment l’usurpation de la fonction de notaire. Dans une lettre adressée, mardi 30 janvier 2024, au ministre de la Justice, le CNONM a accusé clairement les adouls d’usurper la fonction de ses membres tout en les menaçant de poursuites judiciaires les «adouls usurpateurs». «Cette usurpation prend la forme de pancartes professionnelles accrochées par les adouls au fronton de leurs cabinets où ils se présentent comme adoul-notaire ou encore comme bureau du notariat judiciaire», explique un notaire qui indique que ces expressions sont de nature à semer la confusion dans les esprits et à induire les clients en erreur.
Confusion
En fait, le conflit entre les deux professions n’est pas nouveau. L’enchevêtrement des compétences entre le métier de notaire et de celui de Adoul remonte au projet de Loi de finances 2020 dont l’une des dispositions prévoyait l’exonération de l’IR sur la cession du logement principal avant l’expiration du délai de 6 ans, sous des conditions (une seule cession, plafond fixé et prix déposé chez le notaire). Intervenant alors que ce PLF a été adopté en première lecture à la première Chambre, la proposition de l’ordre national des Adouls, à savoir le dépôt du produit de l’impôt auprès d’une banque et d’un notaire comme cela a été prévu initialement, provoque la colère des notaires.
Ces derniers, via leur Ordre, le CNONM, rendent public un communiqué où ils accusent les adouls d’empiéter sur leurs prérogatives, indiquant au passage que certains adouls vont jusqu’à commettre des délits d’usurpation de leurs attributions. En guise de piqûre de rappel, le CNONM cite l’article 4 de la loi 32-09 réglementant la profession de notaire (la loi régissant celle-ci a connu une réforme en 2012 qui a mis fin au texte de 1925 datant du protectorat) qui stipule que «la profession de notaire est incompatible avec toute activité susceptible de porter atteinte à sa nature, en particulier :-toutes les fonctions administratives et judiciaires, les professions d’avocat, d’adoul, d’expert-comptable, d’huissier de justice, d’agent d’affaires et d’agent immobilier, les missions d’expert judiciaire, tout genre de négoce qu’il soit exercé par le notaire directement ou indirectement ».
Entre les deux professions, qui font valoir chacune sa légitimité à établir tel ou tel acte juridique, la guerre est ouverte, nourrie d’une certaine confusion autour de leurs missions respectives alors que le métier des uns est différent de celui des autres. Si les adouls sont les dépositaires de la loi musulmane, la seule en vigueur avant l’avènement du protectorat en 1912, les notaires, eux, création de cette période coloniale, incarnent la modernisation du droit marocain dont la facette conservatrice est symbolisée par les adouls.
Les deux corps, qui ont historiquement cohabité en bonne intelligence, se lanceront dès lors dans une confrontation ouverte. A l’origine de cette tension qui a débuté en 2010, la décision du législateur de donner aux notaires le monopole de la rédaction des contrats dans le domaine du logement social.
Une décision restée jusqu’à ce jour en travers de la gorge des adouls qui s’estiment injustement privés d’une source d’argent substantielle. Président de l’Instance des adouls au Maroc, Bouchaïb Fadlaoui le reconnait alors dans la foulée du conflit autour né autour de l’affaire l’exonération de l’IR sur la cession de la maison principale : «Nous avons été exclus de fait, sans nous aviser préalablement alors que la Loi de finances de 2010 nous a évincés du circuit du segment du logement économique et social», se désole M. Fadlaoui, dénonçant une « discrimination législative » qui porte atteinte « à l’image et à la notoriété des adouls qui, depuis la nuit des temps, ont été habilités à rédiger tous types d’actes, en plus des états civils».
Tous types d’actes ! La phrase est lâchée. Les adouls se prennent pour des notaires, se considérant de ce fait habilités au même titre que leurs rivaux à authentifier des actes en relation avec les transactions commerciales essentiellement à caractère immobilier. A l’appui de leur argument, les mécontents brandissent l’article 17 de la loi 16-03 réglementant leur profession : « Les contractants ont le choix d’engager eux-mêmes les procédures relatives à l’immatriculation, aux timbres et impôts et à la conservation foncière, ou de charger l’un des adouls désignés, pour accomplir ces procédures…».
Les notaires, eux, ne l’entendent pas de cette oreille, s’estimant les seuls tiers de confiance de par leur statut d’officier public que la loi leur a accordé, contrairement aux adouls confinés dans le rôle traditionnel de récepteurs de témoignages.
Là réside la pomme de discorde entre les deux professions qui ont de plus en plus du mal à coexister depuis l’adoption de la loi 32-09 concoctée par l’ex-ministre de la Justice et des Libertés Mustapha Ramid. Une loi non dénuée d’arrières-pensées électoralistes (le PJD cherchait à séduire les adouls pour renforcer sa machine à égrener les votes) alors qu’elle était censée moderniser l’exercice du notariat au Maroc.
Il faut reconnaître aussi que l’image de cette profession a énormément souffert des scandales à répétition mettant en cause des notaires indélicats compromis dans des détournements de fonds de leur clientèle. Autant d’affaires qui ont quelque peu mis à mal son seul vrai capital: la confiance.Président du conseil de l’Ordre national des notaires, Abdellatif Yagou n’arrêtera pas de faire sorties médiatiques où il conteste aux adouls la capacité d’exercer le métier de notaire dont les conditions d’accès sont très difficiles à ses yeux et qui exige en plus une formation poussée dans divers domaines du droit : le droit civil, le droit patrimonial, la fiscalité, la comptabilité…Est-ce-à dire que les adouls, compte tenu de leur formation jugée limitée, ne sont que des fkihs dont la compétence ne leur permet pas d’aller au-delà des affaires matrimoniales? Le conflit entre les deux professions a les allures d’un drôle d’héritage…