Bank Al-Maghrib s’apprête à élaborer un projet de loi permettant aux banques de céder les dettes de leurs clients à des entreprises d’investissement spécialisées. Mais gare aux abus.
Laila Lamrani
Les créances bancaires, estimées à quelque 98 milliards de DH, soit 8,6% des crédits bancaires et 7% du PIB, concernent tous types de clientèle. L’objectif est d’alléger les bilans des banques, souvent lestés par des créances en souffrance et de stimuler la croissance du crédit.
Ce texte contournant l’obligation d’obtenir l’accord préalable des débiteurs soulève des craintes particulièrement sur les pratiques des entreprises acheteuses et les potentiels litiges juridiques. Les banques et les débiteurs sont appelés à agir dans le nouveau cadre légal en gestation, élaboré avec l’assistance technique de la Société financière internationale (SFI) qui pense que cette réforme est aussi porteuse d’opportunités nouvelles pour les investisseurs et les institutions financières. Or, cette affaire risque de générer bien des conflits et d’abus vu que les sociétés privées de recouvrement ont des méthodes d’une brutalité extrême : surveillance et collectes de données privées, menaces, intimidations, harcèlements, procédures judiciaires abusives et autres pratiques peu avouables.
Nombre d’opérateurs privés, notamment les sociétés de financement, utilisent ces prestataires d’un genre très particulier à qui ils cèdent une portion significative, autour de 10%, voire plus, de la créance recouvrée. Certains organismes publics, alors que l’État dispose depuis 2000 d’un code spécifique pour le recouvrement des créances publiques, font appel aussi à leurs services pour localiser ses débiteurs (entrepreneurs et non-salariés), les intimider et faire pression sur eux. En principe, un établissement public ne devrait utiliser que les moyens légaux de l’Etat, qui ne sont pas négligeables et qui restent dans les limites de la légalité…
De nos jours, le retard de paiement et les impayés sont devenus monnaie courante. D’où
le recours depuis des années à ces chasseurs de dettes dont l’activité est en pleine expansion. Enseignes indépendantes, elles utilisent tous les moyens pour pousser les récalcitrants ou les mauvais payeurs à passer la caisse. Factures impayées, échéances de crédit non honorées… Ils sont de plus en plus nombreux, les entreprises à externaliser la prestation du recouvrement des petits montants pour mieux se consacrer à la gestion et au suivi des grands clients.
Toutefois, ce mécanisme, même s’il permet aux créanciers de récupérer leur dû, ne fait pas l’unanimité. En cause, l’absence de textes réglementaires clairs qui fait que l’activité évolue dans une certain désordre. Comme le marché au MAroc, à l’inverse de nombre de pays, n’est pas encadré par la loi, il est très difficile de mettre en place des règles déontologiques et éthiques et de les faire respecter par les acteurs du recouvrement.
Abus
A la rigueur, le périmètre d’action des cabinets de recouvrement doit se limiter à envoyer des « lettres de mise en demeure » ou à contacter le débiteur par téléphone à la maison. Même cette démarche leur est contestée par les avocats qui estiment être les seuls habilités par la loi à agir au nom des créanciers. Nombre de sociétés entretiennent le flou sur leur mission en usant d’un lexique juridique pour faire croire à leurs interlocuteurs qu’elles agissent au nom de la « Justice » et que le remboursement de la créance est obligatoire. Certains recouvreurs poussent le bouchon des abus trop loin. En plus de chercher à faire régler de manière indue aux débiteurs des frais de procédure indus comme la facturation de la lettre de mise en demeure et le prix de de la quittance, ils vont jusqu’à tenter de recouvrer des créances frappées de prescription.
Les témoignages de ceux qui ont eu affaire à des sociétés décrivent des actes qui relèvent du harcèlement. Appels insistants et récurrents parfois à une heure indue, adoption d’un ton menaçant avec lettres utilisant des expressions pour faire peur comme » dernière mise en demeure avant poursuites judiciaires ». Les mandataires arrivent parfois à arriver à leurs fins surtout auprès des personnes en situation de fragilité qui méconnaissent leurs droits. Certes, tout débiteur est censé payer ses dettes dans les délais impartis mais les impayés ne doivent pas être exploités pour attenter à ses droits protégés par la loi.
En effet, La loi 09-08 relative à la protection des personnes à l’égard du traitement des données à caractère personnel permet aux organismes de recourir aux services d’un sous-traitant afin de lui confier une partie ou l’ensemble d’un traitement portant sur les données personnelles de leurs clients. Mais. Cette autorisation est assortie d’une condition: l’obtention du consentement des personnes concernées et le respect des droits d’accès, de rectification et d’opposition». Or, les sociétés de crédit ne cherchent pas généralement à décrocher l’autorisation de leurs clients problématiques.