Baptisé Moroccan Youth voice (la voix de la jeunesse marocaine), un mouvement né sur Internet appelle à une mobilisation nationale d’envergure samedi 27 et dimanche 28 septembre. Les revendications portent essentiellement sur une école de qualité et un hôpital digne de ce nom. Décryptage.
Ahmed Zoubaïr
C’est une génération charnière, la génération Y, qui a grandi à l’ère analogique mais a façonné l’époque digitale. Appelés aussi Millennials (ou Milléniaux), ils sont nés approximativement entre le début des années 80 et le milieu des années 90. C’est cette jeunesse, éblouie par les écrans mais éveillée par la réalité, qui a décidé de battre le pavé.
Longtemps silencieuse, laissant les autres parler à sa place entre clichés et malentendus, elle a décidé de donner de la voix pour défendre elle-même ses droits. Non pas derrière l’écran confortable de la virtualité dont ils ont fait leur monde mais dans une marche de la réalité d’envergure nationale.
L’origine du sursaut ? Le scandale retentissant de l’hôpital régional Hassan II d’Agadir, surnommé l’hôpital de la mort par la population, qui a exprimé son ras-le-bol lors de plusieurs manifestations qui ont créé une onde de choc dans le pays.
Le mot d’ordre est parti des réseaux sociaux : dimanche 28 septembre, la jeunesse marocaine se donne rendez-vous dans la rue pour affirmer son existence et faire connaître ses revendications sous le slogan: « le peuple veut changer le gouvernement ». Les manifestants ne demandent pas la lune. Juste une école où apprendre est synonyme d’espoir. Un hôpital qui soigne les malades. Ces deux revendications majeures reviennent dans la bouche des jeunes : une école et un enseignement dignes de ce nom pour tous. Symboles d’un Maroc à deux vitesses, ces deux services publics délabrés ne cessent de cristalliser le mécontentement populaire. Dans certaines vidéos, d’autres réclament du travail pour les diplômés-chômeurs , la fin de la vie chère, une justice juste et une rupture avec le système des privilèges.
En substance, une marche pour une vie digne et contre la marginalisation et les promesses non tenues. Face à ce mouvement de colère , un gouvernement qui incarne à leurs yeux une entité qui défend les intérêts d’une caste et non l’intérêt général. Sur les plateformes de communication gratuite comme Discord, les jeunes vident leurs cœurs. Dénoncent pêle-mêle, népotisme et clientélisme, la détérioration du marché du travail, l’aggravation des inégalités, la prévarication des élus qui a atteint des sommets, l’absence de perspectives pour la jeunesse et la difficulté de se projeter.
Le « réveil » des jeunes qui refusent d’être sacrifiés comme leurs aînés n’est pas un simple coup de colère contre les politiques de paupérisation mais l’expression d’une crise de défiance profonde envers les corps intermédiaires, principalement la classe politique et les syndicats où la jeunesse ne se reconnaît pas (moins de 1% des jeunes marocains adhèrent aux partis).
La Génération Y ne manifeste pas pour exister : elle veut peser sur les évènements pour rééquilibrer un présent bancal. École, santé, emploi, pouvoir d’achat, gouvernance. Le message est limpide: Les laissés-pour-compte ne veulent pas survivre, ils veulent vivre dans la dignité. Réclament un Etat plus juste, réellement social, une gouvernance transparente au bénéfice de tous.
Le cahier de doléances est bien fourni qui a besoin de réponses concrètes et surtout d’une manière de faire la politique autrement. Une gageure dans un contexte où les partis, décrédibilisés, n’inspirent un profond rejet. L’hyperconnexion numérique qui caractérise cette catégorie ne signifie pas qu’elle est déconnectée du réel . Elle est connectée à la réalité de son pays, telle qu’elle la vit et la perçoit au quotidien, mais la rejette dans la forme jugée comme un obstacle à leur autonomie et émancipation.
A une année des élections législatives et alors que le Maroc est devenu un chantier à ciel ouvert (coupe d’Afrique et mondial 2030), les mécontents rappellent aux responsables un chantier capital qui conditionne pourtant l’avenir de la nation: l’avenir de sa jeunesse.
Crise de confiance
Cette mobilisation sonne comme un avertissement au futur exécutif et un appel pour changer de braquet, les jeunes la veulent pacifique et aux antipodes des slogans anti-système du défunt mouvement du 20-Février dont ils ne veulent pas répéter les erreurs qui lui ont été fatales.
Connaissant parfaitement les lignes rouges à ne pas franchir, les jeunes version 2025 sont du reste conscients des dangers qui guettent leur mouvement : la récupération politique, le discrédit, la délégitimation et l’intrusion des casseurs. Toute forme de contestation qui prend naissance en ligne est perçue généralement comme une opération orchestrée par l’ennemi destinée à déstabiliser le pays.
Mais est-ce vraiment sain de refuser de reconnaître la légitimité des revendications et des critiques des jeunes? N’est-ce pas là le meilleur moyen de creuser le fossé déjà immense entre la jeunesse et les gouvernants là où il s’agit de le réduire par l’écoute et le dialogue? Laisser pourrir les problèmes au lieu de les attaquer de front est une démarche de nature à amplifier la crise et la crise de confiance tout en accentuant le malaise de la jeunesse.
Le sentiment d’abandon est fort. Les jeunes réclament une vision, un cap, une espérance. En somme, un avenir. Gare au délitement social !