Suicides au sein des forces de l’ordre : La police sous pression

Abdellatif Hammouchi, patron de la DGSN.

A quoi rime ces suicides de fonctionnaires de la police et que cachent-ils ? Le sujet est tabou et relève du secret. Explications

Ahmed Zoubaïr

Les cas de suicide au sein de la police nationale ont tendance à augmenter. Dans la soirée du vendredi 17 octobre 2025, un brigadier de police relevant de la brigade des motards de Casablanca a tenté de suicider après avoir abattu à l’aide de son arme de service une femme qu’il accompagnait à bord d’un véhicule privé. Les faits se sont déroulés au quartier Palmier, non loin du siège de la préfecture de police. L’enquête est en cours sous la supervision de la justice pour élucider les circonstances de ce drame. Grièvement blessé au crâne, le tueur présumé a raté son suicide mais bien de ses collègues avant lui ont hélas réussi à attenter à leurs jours. Il y a un peu plus d’un mois, le 15 septembre 2025, un commissaire principal en poste à Agadir a mis fin à ses jours en utilisant son arme de service. Le 1er aout 2024, c’est un brigadier-chef de Marrakech qui s’est donné la mort sur son lieu de travail en se tirant une balle dans la tête. Le 13 août 2023, un policier du district de Salé a retourné son arme de service contre lui dans son domicile. Le même drame a encore secoué le 8 octobre 2022 le corps de la sûreté nationale après qu’un officier de police en fonction à El Jadida s’est suicidé à l’aide de son arme la mère et la sœur d’une femme qu’il voulait épouser. A la survenue de chaque suicide, la DGSN rend public un communiqué informatif, annonçant annonce l’ouverture d’une enquête sous la supervision du parquet pour déterminer les circonstances du drame. La communication s’arrête là et après plus rien. On n’en saura pas plus faute de suivi communicationnel… 

Stress

Mais à quoi rime ces suicides de fonctionnaires de la police et que cachent-ils ? Le sujet est tabou et relève du secret. A part les cas de suicide rapportés par les médias, les statistiques officielles ne sont pas disponibles, le ministère de l’Intérieur n’ayant jamais communiqué les données en sa possession. Un policier qui se suicide au Maroc de quoi est-il le nom ? Un symptôme d’un profond malaise professionnel lié à des conditions de travail difficiles et à un quotidien pénible, assurément… C’est connu, le métier de policier est loin d’être de tout repos. En plus d’un volume de travail considérable-le policier étant mobilisable à tout moment – ce dernier est confronté à une charge émotionnelle importante due à son exposition régulière aux violences et à la souffrance sociale, ce qui peut conduire à un épuisement professionnel, psychologique et physique.

Police
La protection mentale des policiers est un enjeu de sécurité majeur.

Dans le contexte sécuritaire national, la pression redouble d’intensité à cause d’autres contraintes liées entre autres à l’arme de service qu’il doit veiller à ne pas perdre tout comme les cartouches qui vont avec. Autrement, il n’encourt pas seulement un avertissement, blâme ou des arrêts mais une sanction très sévère pouvant aller jusqu’à la suspension de son avancement ou la révocation pure et simple. Une affaire qui ajoute au stress du fonctionnaire de police surtout qu’il n’est pas autorisé, sauf en cas de vacation, à la déposer à l’armurerie après la fin de de son service. Le lieu sécurisé devient généralement son domicile où il pose son pistolet, les munitions et deux chargeurs. La dotation pour chaque policier est de 25 balles dont 5 doivent être constamment chargées dans son arme. Les 20 autres, il doit se débrouiller pour les mettre à l’abri. Mais pourquoi autant de munitions alors que l’usage des armes de service par les policiers intervient rarement au Maroc ? La crainte de perdre ou de se faire voler son arme de service et les munitions devient dès lors une source de grande inquiétude pour le policier.

Défis internes

Bien que les causes du suicide soient majoritairement d’ordre privé, la présence de l’arme de service est un facteur de risque reconnu qui facilite le passage à l’acte dans les polices du monde entier. Avec cette différence qu’au Maroc, les forces de l’ordre en général n’ont pas le droit d’avoir des syndicats qui peuvent de leurs membres mais aussi attirer l’attention de la hiérarchie sur les risques qui les menacent lors de l’exercice de leurs fonctions. Au rang des risques majeurs figurent le suicide et ses conséquences dramatiques. Mais comment détecter des policiers en détresse en l’absence d’une cellule psychologique chargée de déceler les «signaux d’alerte» chez les éléments en souffrance ? Et pourtant, la DGSN gagnerait à se doter d’un dispositif de prévention pour un accompagnement confidentiel et limité dans le temps aux policiers qui en font la demande, souvent à la suite d’un événement difficile ou pour des problèmes personnels. Dans un contexte de montée des violences et de la délinquance sous toutes ses formes induisant une pression accrue sur le maintien de l’ordre, la protection mentale des policiers est un enjeu de sécurité majeur car elle impacte directement leur bien-être psychologique, leur aptitude à bien s’acquitter de leurs missions, et, par conséquent, la sécurité publique. Cela dit, il est incontestable que la DGSN a déployé sous la direction de Abdellatif Hammouchi des efforts non négligeables en matière de modernisation et de professionnalisation de la police. Une mutation bienvenue qui s’est accompagnée d’un changement d’image axé sur une approche citoyenne visant à transformer l’uniforme d’un symbole de crainte en un symbole de service. Et last but not least, la population marocaine vit avec un bon sentiment de sécurité que de nombreux pays nous jalousent et dont le mérite revient aux forces de l’ordre.

Nonobstant cette mutation remarquable, la police reste confrontée à de multiples défis internes liés notamment aux conditions de travail de ses serviteurs qui aspirent à de l’écoute, de la disponibilité et à de la reconnaissance. De nombreux fonctionnaires de la sûreté se plaignent en privé d’un manque d’attention à ce niveau-là, ce qui peut affecter le moral et l’engagement des policiers surtout de terrain. « L’entretien d’une bonne image de la sûreté nationale au plus haut niveau de la hiérarchie ne doit pas se faire au détriment de leur bien-être », arguent-ils. Pour pallier ces problèmes et corriger le tir, il serait sans doute utile de donner plus d’autonomie aux préfets de police pour une meilleure prise en charge des problèmes et des attentes de la police de proximité, sans passer nécessairement par le cabinet du directeur général enclin à tout centraliser. A telle enseigne que les préfets, à défaut de déconcentration des décisions opérationnelles, ont été transformés en simples exécutants, perdant en initiative et en motivation. Au-delà de sa réputation de performance notamment dans la lutte contre la criminalité et la coopération sécuritaire à l’échelle internationale, l’institution policière est appelée à adapter ses procédures aux réalités de terrain. Le malaise touche surtout les bataillons rivés au bas de l’échelle. Ceux-là ont le sentiment de ne pas être assez protégés alors qu’ils sont chargés de la protection de la population… Aux dernières nouvelles, le brigadier de police casablancais entretenait une relation amoureuse tumultueuse avec la victime aggravée par une histoire d’argent. La femme qui a piqué une grande crise de colère  était venue déposer plainte à son encontre au siège de la police, ce qu’il tente d’empêcher de toutes ses forces par peur sans doute des conséquences professionnelles, selon une source policière. Mais face à sa grande détermination et dans un moment de vive tension, il perd son sang-froid et commet l’irréparable. S’il était certain de trouver de l’écoute et du soutien auprès de ses supérieurs, le policier dont le pronostic vital est engagé aurait-il tué sa campagne et tenté de se suicider ?

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