Malgré le rappel à l’ordre du gouvernement, Ryanair continue à faire payer aux passagers marocains leurs billets d’avion en devises y compris pour les vols domestiques.
Laila Lamrani
Les Marocains du Maroc qui désirent voyager sur les lignes de Ryanair doivent payer leurs billets en euros. Y compris pour les vols domestiques! La monnaie nationale, le Dirham, ne passe pas sur le site de réservation de la compagnie irlandaise low cost. Scandale. Ce qui veut dire que Ryanair puise dans la dotation touristique des Marocains pour un service acheté au Maroc…Inacceptable venant d’un transporteur autorisé en décembre 2023 par le gouvernement Akhannouch a exploiter 11 lignes domestiques sur le sol national. Cette affaire de paiement en devises avait soulevé en avril 2024 une grosse polémique si bien que le ministre du Transport de l’époque Mohamed Abdeljalil avait réagi en expliquant que «Ryanair et ses équipes travaillent activement pour résoudre la question des transactions ponctionnées sur la dotation touristique» et de se conformer à ses engagements d’acceptation de paiement en dirhams pour les citoyens marocains. Manifestement, la compagnie continue à agir sur ce point en dehors de ses obligations contractuelles. Sans que les ministres concernés, Transport et Tourisme, ne montrent la moindre fermeté envers ce transporteur qui semble voler en ciel conquis en bénéficiant, par-dessus-le marché, d’une multitude d’avantages, sous forme d’exonérations fiscales et de taxes aéroportuaires au nom du renforcement de la connectivité aérienne du Maroc et de la stimulation du tourisme intérieur.
Or, quand la RAM s’est acquittée en 2024 d’environ 1 milliard de DH en impôts et Air Arabia d’un peu moins de la moitié de cette somme, Ryanair, elle, a payé zéro dirham au fisc ! Vous avez dit concurrence à la loyale ? Et puis, les tarifs de Ryanair sur les vols domestiques ne sont pas donnés. Initialement attractifs, ces derniers cessent de l’être et explosent même, en raison de la facturation de frais additionnels pour des services comme les bagages en soute, les repas à bord, le choix des sièges et autres charges imprévues ! Ce qui fait grimper le prix du billet final qui devient plus cher que celui proposé par la RAM sur le même trajet domestique… ! C’est ainsi que de nombreux passagers tombent dans le piège du low cost qui propose en fait dans le cadre de sa stratégie commerciale agressive de faux tarifs séduisants pour attirer le chaland.
« Nous nous félicitons de cette grande nouvelle [ l’arrivée de Ryanair au Maroc] pour le paysage aérien marocain qui connaît un essor exceptionnel, et qui va contribuer à concrétiser la feuille de route du Tourisme qui ambitionne, à l’horizon 2026, d’attirer 17,5 millions de touristes. Une attention particulière est accordée au tourisme interne, qui bénéficiera d’une forte impulsion grâce à cette nouvelle dynamique », s’était réjouie la ministre du Tourisme Fatim-Zahra Ammor. Les plus optimistes dont elle fait partie considèrent que Ryanair est la bienvenue dès lors que sa présence sur le marché intérieur est de nature à contribuer au désenclavement de certaines régions tout en permettant aux touristes étrangers d’allonger la durée de leur séjour dans le pays.
Concurrence déloyale
Cette vision correspond en quelque sorte au verre à moitié plein. Mais les moins euphoriques regardent le verre à moitié vide. Se recrutant parmi les professionnels chevronnés du tourisme, ils ne voient pas d’un bon œil l’arrivée de Ryanair sur le créneau des vols domestiques qu’ils jugent pénalisante pour le pavillon national, principalement la RAM. « La compagnie nationale et même Air Arabia se font livrer une concurrence déloyale du fait qu’elles ne se battent pas avec les mêmes armes qu’une compagnie low cost », explique un vieux routier du tourisme national qui rappelle que Ryanair bénéfice dans le cadre du co-marketing ( subvention de sièges) d’une subvention publique substantielle en échange du transport de passagers. Ce système de subsides est jugé contraire aux règles de concurrence par l’Union européenne. Qu’en pense le Conseil de la concurrence marocain ?
« L’agrément donné par le gouvernement à Ryanair d’opérer dans le ciel marocain sert-il véritablement la nouvelle vision stratégique de la RAM qui prévoit de quadrupler son parc d’avions à l’horizon 2037 ? », s’interroge sur un ton dubitatif un expert aérien. Il ajoute: « Au-delà du manque à gagner pour la RAM que représente l’entrée en lice de Ryanair sur les lignes nationales, ce partenariat pose un problème de souveraineté nationale. » C’est comme si le gouvernement donnait son feu vert pour que la SNCF exploite au Maroc des lignes ferroviaires pour relier des villes non desservies par le rail. Il y a fort à craindre que le transport aérien national ne subisse le même sort peu enviable qui a frappé le secteur maritime du fait d’une libéralisation sauvage qui lui a fait perdre toute sa flotte. Il faut arrêter de planer. Et redescendre sur terre.