Dirigeant depuis 2019 à Casablanca d’une enseigne du nom de Paul et José, il a pris le soin avant de disparaître dans la nature de céder pour une bouchée de pain la totalité de ses parts dans des conditions opaques.
Laila Lamrani
Décidément, les centres d’appel au Maroc sont abonnés aux scandales. Quand ils ne virent pas des délégués syndicaux sans motif valable comme c’est le cas pour Teleperformance, les patrons prennent la clef des champs, laissant sur le carreau leurs employés. Ce forfait vient d’être commis par l’enseigne Paul et José opérant dans des activités aussi diverses que le télémarketing, la création de sites web, le référencement et la conception d’applications mobiles. Installé au Maroc depuis 2019, cette filiale du groupe français Futur Digital a fermé en catimini le 8 mai 2025 sa plateforme à Casablanca. Le patron, du nom de Stephane Koubi, a soigneusement planifié son « coup », annonçant au personnel ce qui ressemble a priori à un avantage: « Ce n’est pas la peine de travailler le vendredi 9 mai. Je vous offre cette journée de repos rémunérée ». Mais quelle ne fut leur surprise en se rendant le lundi suivant aux bureaux de l’entreprise situés rue Soumaya ! Se sentant floués, en proie à un sentiment de rage, ils sont confrontés à des locaux fermés dont la porte principale était mise sous scellé ! Impossible d’entrer en communication avec le patron, il est injoignable. Les salariés ne tarderont pas à se rendre à l’évidence : l’employeur a plié bagage. Sans au revoir ni merci ni explication. Ils sont un peu de 80 personnes dont certains forts de plusieurs années de bons et loyaux services à se retrouver dans la rue. Sans emploi, ni préavis, ni salaires du mois d’avril, ni indemnités, ni droits de fin de contrat. Tous leurs acquis broyés. Un drame social.
Nous sommes sans nul doute devant une fermeture sauvage qui en dit long sur les pratiques scandaleuses de certains patrons étrangers de centres d’appel qui agissent comme s’il étaient en terrain conquis, ne manifestant le moindre respect à l’endroit ni de leurs collaborateurs ni des autorités locales. Cette fermeture brutale pose question surtout que l’entreprise a réalisé un résultat net de près de 145 millions de DH en 2023. Pour une SARL à associé unique affichant un capital de … 78.000 DH et un « impôt sur les résultats » de 3.000 DH ( !) et un total « impôts et taxes » de 484,85 DH seulement, l’affaire est plus que juteuse nourrie visiblement à la fraude fiscale. Fait encore plus troublant, Paul et José a fait l’objet d’une étrange cession comme le montre un acte de vente daté du 28 mars 2025. Le prix de vente consigné dans le document de cession des 779 parts de la société est 100 DH l’unité, soit 77.900 DH. L’heureux acheteur est un certain Etari Régis Aymar, un franco-camerounais, qui vit en France.
Solidarité
Ça sent la combine à plein nez dont l’objectif inavoué est de permettre au chef d’entreprise indélicat de se soustraire à ses obligations vis-à-vis de ses employés laissés sur le carreau et éventuellement d’autres administrations grugées. «Méthodes d’un patron voyou », résume un syndicaliste de l’UMT qui suit l’affaire de très près. Une affaire douteuse qui a eu un fort retentissement à Dakar, au Sénégal où Paul et José est implanté et toujours en activité. En guise de solidarité avec leurs collègues de Casablanca, les salariés de la filiale sénégalaise du groupe français ont organisé un sit in le mercredi 21 mai aux abords des locaux de l’entreprise pour dénoncer « les pratiques abusives, inhumaines et illégales » de Paul et José « à l’encontre de des collaborateurs au Maroc et au Sénégal ». Dans un communiqué de presse, les employés dakarois ne cachent pas leur inquiétude, fustigeant «une précarité grandissante, entre menaces, silence de la direction [et] non-respect du droit du travail ».
Se disant vivre dans l’angoisse de subir le même scénario que celui de leurs collègues casablancais, ils ont formulé un certain nombre d’exigences dont « le paiement immédiat des salaires » des victimes de Paul et José de la succursale casablancaise, « la réparation des torts causés aux salariés » injustement abandonnés, et « des garanties de transparence et de stabilité pour les collaborateurs encore en activité à Dakar ». En guise de conclusion, les manifestants ont lancé ce serment : « Exploiter l’Afrique n’est pas un droit ». Le scandale Paul et José prend une tournure politique puisque des députés du parti au pouvoir, le Pastef, ont participé à ce rassemblement. Ces derniers en ont fait leur affaire, allant jusqu’ à menacer le patron indélicat et le d’interdiction de séjour au Sénégal s’il persiste dans ses méthodes anti-sociales. Côté marocain, aucune mobilisation. Pas de réaction officielle, sauf celle du ministère de l’Emploi qui a demandé aux salariés lésés de saisir la justice. Une voie sans issue puisque le patron ne possède ni bien ni comptes bancaires à saisir éventuellement. Dans une mauvaise foi manifeste, il a pris le soin d’orchestrer sa fuite en rapatriant tout à l’étranger. Ne laissant derrière lui que des victimes n’ayant que leurs yeux pour pleurer, des chômeurs en plus un sacré problème social pour les pouvoirs publics et un tas de questions. Et quelles questions !
Edito Vol et volatilité
Abdellah Chankou
L’affaire Paul et José révèle une chose essentielle: l’absence de la protection des employés du secteur de l’offshoring en général et de la filière des centres d’appel en particulier. Une protection que devait leur assurer les pouvoirs publics à travers un certain nombre de mécanismes et de garde-fous qu’imposent la volatilité de cette activité qui n’attire pas que des investisseurs honnêtes. La preuve par Paul et José dont nous racontons les entourloupes. Le code du travail et ses dispositions ne sont pas suffisants pour garantir les droits des forçats de l’offshoring. Face à des patrons parfois malintentionnés tentés de filer à l’anglaise après les avoir pressé comme des citrons, ils sont extrêmement démunis et sans possibilité d’obtenir réparation quand bien même ils recourent à la justice. La raison en est simple : ces patrons sans scrupules, qui prennent courageusement la poudre d’escampette, rapatrient l’essentiel des bénéfices réalisés à l’étranger et s’arrangent pour vider les comptes au Maroc. Rien à saisir dans le pays en cas de litige. Même pas les locaux généralement pris en leasing. Devant ce genre de situation, la seule parade consisterait à exiger une caution à déposer auprès de Bank Al Maghrib de tout investisseur de la race de Paul et José qui servirait justement à indemniser les victimes de ce genre d’investisseurs sans foi ni loi. Attirés par les avantages fiscaux offerts par le secteur de l’offshoring au Maroc, ces derniers débarquent comme dans un Eldorado où ils ont les mains libres pour sévir et s’enrichir sur le dos des ouvriers qu’ils se permettent ensuite de jeter comme un vieux chiffon, faute justement de garde-fou ou de moyens de dissuasion… Aussi est-il grand temps pour les pouvoirs publics de tirer les leçons qui s’imposent de ce scandale et de reconsidérer leur approche de ce secteur qui n’offre en vérité que des emplois précaires exercés en plus dans des conditions difficiles hautement stressantes…
La France sonne le glas du télémarketing
L’interdiction du démarchage téléphonique non consenti en France, votée le 21 mai 2025 et qui entrera en vigueur dès août 2026, fait trembler le secteur des centres d’appels au Maroc. Fortement dépendant du marché français, ce segment de l’offshoring menacé aussi par l’IA et l’automatisation est obligé de revoir son mode de fonctionnement pour éviter de sombrer… Or, ce sont surtout les petites enseignes dont la prestation est basée exclusivement sur le télémarketing, qui seront fortement impactés.