Exposition «Les Invisibles» : Un regard décalé sur les enfants de rue

Un peintre africain de talent qui s’exprime à travers ses toiles…

Du 28 octobre 2023 au 20 Janvier 2024, la Fondation Montresso présente l’exposition personnelle de l’artiste Ivoirien Armand Boua : « Les Invisibles ». Une dénonciation criante par l’art du calvaire des enfants de rue, que ce soit en Côte d’Ivoire, au Maroc, ou partout ailleurs.

Armand Boua est connu pour être quelqu’un de très discret, chose que nous aurons l’occasion de « prouver » un peu plus bas. Peu loquace, ces réponses très laconiques et pour le moins très directes ne passent pas inaperçues. D’ailleurs, la Fondation Montresso, qui accueille sa prochaine exposition au sein de son espace d’art, le présente ainsi : « Homme discret, il sait […] que la peinture est un formidable moyen pour parler du monde, des configurations de ces nouveaux paysages urbains ». Et difficile de faire plus discret, en effet…

La plus courte interview du monde !

Quand on lui demande, pour commencer notre entretien, ce qui a fait de lui un peintre au lieu d’autre chose, Armand nous répond : « L’amour de la peinture et de la création picturale ». Oui, c’est très exactement tout ce qu’il a dit. Nous n’avons rien ôté du tout ! Hum… Bon, d’accord ! Peut-être se montrera-t-il plus… expansif, pour nos prochaines questions. Notamment celle au sujet du courant (artistique, bien sûr !) qu’il suit, car il nous semblait impossible que pour une question pareille quelqu’un puisse répondre laconiquement. Et ô combien nous étions naïfs ! Voici sa réponse, dans sa totalité : « Si j’ai bien compris la question, je suis un peintre contemporain ! » Ici, nos chers lecteurs, en comptant le nombre de mots utilisés, peuvent penser qu’Armand Boua est forcément un autodidacte, qui a dû apprendre à peindre sur le tas. Eh bien non ! Ce cher Armand, 45 ans aujourd’hui, est diplômé de l’École nationale des Beaux-Arts d’Abidjan, de l’Institut de formation Sainte Marie, du Musée des civilisations, ainsi que du Centre technique des Arts Appliqués. Et c’est un peintre pour le moins prolifique ayant déjà exposé dans de hauts lieux de l’art. Ses œuvres font d’ailleurs partie de la collection permanente du Minneapolis Institute of Art, du Musée Mohammed VI d’Art Moderne et Contemporain et de la Fondation Montresso, qui accueille cette exposition dont on parle et dont il est, depuis 2017, un hôte régulier de la résidence artistique, Jardin Rouge, à Marrakech.

Ce n’est pas n’importe qui et des études d’art il en a fait et refait… Et il est effectivement un peintre contemporain vu que ses compositions se distinguent par une facture texturée opérée grâce à son utilisation de goudron, de l’acrylique, de papier-journal, de cartons et de magazines, le tout mêlé à des matériaux de récupération. Après application des couches, il arrache, dépouille, laissant la place à des formes abstraites, mais absolument criantes de vie. De belles œuvres… Passons donc à la question suivante, pour laquelle Armand Boua nous a honoré du second nombre le plus important de vocables lors de cet entretien, un nombre pour le moins impressionnant si on le compare à ses autres réponses. Notre question concernait ses sources d’inspiration : « Je m’inspire des scènes de rue de ma ville natale et de certains jeunes que nous appelons à Abidjan les enfants de rue ». Hum… Vu tous ces mots, ce sujet lui tient donc assurément à cœur. Et, puisque nous tenons un bon bout, quel message portez-vous à l’attention de votre public et de nos lecteurs à travers vos toiles, cher Armand ? « Mon message c’est que la société doit prêter beaucoup d’attention à ce phénomène qui prend de plus en plus d’ampleur ». Ça, c’était sa réponse la plus longue, pour info. Et remarquez ce qu’il a dit. Remarquons ce qui le pousse à parler plus, je vous prie.

Attention !

N’allez surtout pas croire qu’il s’exprime de plus en plus, à chaque question. Loin s’en faut. En lui demandant de choisir l’une de ses œuvres pour encourager les gens à venir visiter son exposition, et de nous préciser pourquoi cette œuvre en particulier, Armand répond : « Titre : Arrestation. Pour qu’ensemble nous réfléchissions sur la situation et que nous en parlions ». Moins de mots ! Et pour notre dernière question qui clôt cette interview-là plus courte que Le Canard ait jamais mené, notre question était « Tu es venu plusieurs fois au Maroc, que pourrais-tu nous dire à ce sujet ? ». Et là, là, la réponse nous a vraiment, vraiment, estomaqués. Alors que nous attendions une réponse digne d’un brossage dans le sens du poil, terre de l’art, beauté de la nature, hospitalité des Marocains, bref quelque chose de ce goût-là, Armand, avec son habituelle parcimonie de communication (à laquelle nous nous étions également habitués), nous a texto répondu : « Le Maroc n’est pas épargné ». Mais qui s’en fiche de sa discrétion ?! Cent mille bravos, cher Armand ! Et merci d’être venu. Oui, les enfants de rue sont un véritable fléau. Et, en passant, au Maroc aussi on les nomme ainsi… Courte interview, oui! Superficielle, non ! Absolument pas… C’est, en fait, l’une des meilleures !

Armand Boua est un grand artiste africain qui ne parle pas pour ne rien dire, et qui peint tout en disant tout. Tout ce qu’il a sur le cœur, d’une manière ou d’une autre. Par exemple, Armand choisit symboliquement le carton, comme support et toile, afin de rappeler le matériau qu’utilisent les enfants de rue comme unique literie pour s’endormir à la laide étoile (Tout est relatif. Un plafond en béton vaut mieux que des majestueuses constellations dans certains cas…). Et si ce n’est pas ça communiquer, qu’est-ce que c’est ?! C’est un peintre-militant et un humaniste qui parcourt le monde pour combattre à sa manière tout ce qu’il trouve de révoltant dans nos sociétés. Et il n’hésite pas à pointer du doigt un pays qui l’accueille pour qu’il trouve également des solutions à ce que lui combat. Ce sont des choses qu’on ne peut que respecter. Les experts de la Fondation Montresso sont, nous pensons, du même avis et nous clarifient les choses : « Les Petits comme les nomme l’artiste ne sont pas liés à une catégorie d’âge, ce sont des jeunes qui n’ont plus d’unité familiale et qui s’évertuent tous les jours à se débrouiller. Cette historiographie alternative, Armand Boua la peint et la crie au monde ». Nous avons remarqué… Et il n’y a pas que nous ! Armand Boua a déjà exposé individuellement, entre autres, à l’Ethan Cohen Gallery (New York), à la Jack Bell Gallery (Londres), mais aussi à Hambourg à Lars Kristian Bode (LKB/G), et à la Create Hub Gallery de Dubaï… Et côté exposition collective, il a vraiment beaucoup voyagé : Italie, Suisse, France, Suède, Sénégal… Partout avec les mêmes messages, partout les mêmes cris… A savoir également qu’il, ou plutôt certaines de ses toiles, illustrent également la violence et les luttes politiques en Afrique de l’Ouest.

Cher Armand, nous t’entendons ! Et nous trouvons que c’est –vraiment !- merveilleusement « parlé ». Nous te souhaitons à nouveau, à toi, un plein succès, que tu mérites, et aux petits la vie digne et joyeuse qu’ils méritent également.

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