Le jury du Goncourt, le plus prestigieux des prix littéraires français, a retenu quatre romans comme finalistes de son édition 2022, mardi 25 octobre à Beyrouth, où il a évité toute allusion à la polémique ayant dissuadé des jurés de venir au Liban.
Le prix doit être remis, comme le veut la tradition, au restaurant Drouant à Paris le 3 novembre.
L’Italo-Suisse Giuliano da Empoli, avec « Le Mage du Kremlin » (Gallimard), roman sorti en avril, raconte l’itinéraire d’un conseiller fictif du président Vladimir Poutine, l’occasion de revenir sur l’histoire de la Russie depuis l’éclatement de l’Union soviétique. Dans « Vivre vite » (Flammarion), la Française Brigitte Giraud évoque les derniers jours de son mari, tué dans un accident de moto en 1999, et les suites de ce drame.
Cloé Korman, avec « Les presque sœurs » (Seuil), signe une enquête sur des enfants victimes de la Shoah, cousines de son père. En septembre, le ministre français de l’Éducation nationale Pap Ndiaye se réjouissait que sa « conseillère en charge des discours ait été choisie dans la première sélection ». Le Haïtien Makenzy Orcel, dans « Une somme humaine » (Rivages), fait parler d’outre-tombe, sur 600 pages dans une langue foisonnante et ininterrompue, une femme habitée par la poésie et la violence. En 2021 déjà, un Haïtien, Louis-Philippe Dalembert, avait été finaliste avec « Milwaukee Blues ». Mais c’est le Sénégalais Mohamed Mbougar Sarr qui l’avait emporté, avec « La plus secrète mémoire des hommes ». Le jury a éliminé deux titres qui paraissaient favoris au moment de la rentrée littéraire, « La Vie clandestine » de Monica Sabolo et « Le cœur ne cède pas » de Grégoire Bouillier. L’Académie Goncourt s’était déplacée à Beyrouth dans le cadre de la première édition d’un festival littéraire organisé par l’Institut français dans cette grande ville francophone. L’annonce a été faite depuis la résidence de l’ambassadrice de France, Anne Grillo, par le président de l’Académie Goncourt, Didier Decoin, devant des invités triés sur le volet. Decoin a glissé « un mot de remerciement très sincère » pour son hôte. « On est bien, ici », a-t-il lancé.
Ce n’était pas l’avis d’autres jurés du prix, qui ont choisi de rester à Paris. La programmation du festival Beyrouth Livres a en effet déplu au ministre libanais de la Culture Mohammad Mourtada, proche du mouvement chiite Amal, un allié du puissant groupe pro-iranien Hezbollah. Il avait annoncé le 8 octobre, dans un communiqué retiré depuis, qu’il « ne permettrai[t] pas à des sionistes de venir parmi nous et de répandre le venin du sionisme au Liban ».
En réponse, les Français Eric-Emmanuel Schmitt, Pascal Bruckner et Pierre Assouline, et le Franco-Marocain Tahar Ben Jelloun ont renoncé au déplacement. « Je ne me sentirais pas en sécurité dans ce pays où on assassine assez facilement », déclarait lundi 24 octobre sur la radio France Inter Ben Jelloun. Ce dernier est l’une des nombreuses cibles des ennemis d’Israël en raison de ses positions pour une meilleure compréhension entre Arabes et Juifs, et de sa critique du boycott systématique d’Israël. Françoise Chandernagor et Patrick Rambaud ayant aussi décliné l’invitation, quatre membres de l’Académie étaient sur place: outre M. Decoin, le secrétaire Philippe Claudel, et deux jurées, Camille Laurens et Paule Constant.
Un écrivain français d’origine libanaise, Sélim Nassib, avait également renoncé à Beyrouth Livres en se disant dans un communiqué « profondément dégoûté » par les propos du ministre. Comme l’auteur, le héros de son roman paru en août, « Le Tumulte », est issu d’une famille juive, et pense que « si chacun se replie sur sa seule communauté, le pays explosera », expliquait-il.