Avec son style simple, limpide et teinté d’humour, Tahar Ben Jelloun (TBJ) a publié en janvier dernier, aux éditions Gallimard, un nouveau roman dont il place l’action à Tanger. Une fiction poignante qui colle à une certaine actualité ayant secoué le Maroc ces dernières années: les crimes pédophiles. Au fil des 256 pages, TBJ nous décrit avec une certaine dérision le couple formé par Mourad et Malika, détruit par le drame et qui se déchire jusqu’à la haine. Samia, jeune fille de 16 ans, est une des victimes d’un ignoble acte de pédérastie qui l’a conduite au suicide. Son père Mourad et sa mère Malika, des gens simples, honnêtes et modestes, verront leur vie de couple tourner au désastre.
Peu de temps avant le drame, ils étaient disposés pour le bonheur conjugal dans leur coquette maison. Mais c’est au sous-sol que le couple a choisi de vivre. « Nous nous sommes installés là quelques mois avant la tragédie. Nous nous enterrons dans ce sous-sol que j’appelle souvent ‘la cave’ (…) J’avais préparé avec un grand soin ce salon pour le mariage de ma fille. J’y pensais alors qu’elle avait à peine dix ans. J’avais choisi les tissus, les tapis, les rideaux. J’avais confié ce travail au meilleur cardeur de la ville, le fameux Mohamed-Moshé, de mère juive et de père musulman.» Et puis patatras ! Tout s’écroule comme un château de cartes. Mourad avait eu une prémonition que cela allait se terminer mal un jour.
« Je me souviens du temps où la maison venait tout juste d’être construite. Nous y avions mis toutes nos économies. Nos familles nous avaient aidés. Mon mari, hanté par une mauvaise conscience héritée de ses parents, me disait : « Une brique sur deux porte la marque de la corruption. Un jour la maison s’écroulera sur nous et nous n’aurons que ce que nous méritons. » Le malheur s’est effectivement invité dans leur petite vie tranquille, comme une fatalité : leur fillette s’est donné la mort en laissant un petit journal intime où elle révèle qu’elle a été violée par un pédophile. Ce criminel qui abuse de jeunes filles en leur faisant miroiter la publication de leurs poèmes dans son journal agit en toute impunité, sans éveiller le moindre soupçon… Dans ce journal intime Samia se confie. Si ses amies, l’école, la musique et la poésie trouvent leur place entre les lignes, elle y évoque aussi une rencontre fatidique. Le Khenzir (« cochon », en arabe) et Samia avaient fait connaissance à travers la poésie… Mourad, homme intègre, rejoint la cohorte des corrompus. Le couple s’abîme dans une détestation mutuelle. La lumière viendra d’un jeune immigré africain, Viad. Avec douceur et bienveillance, il prendra soin de ce couple en perdition. La présence de Viad agit comme un pansement sur les plaies et rapporte le souffle de la vie dans la maison.