Un an après le tremblement de terre qui a secoué le Maroc, cet ouvrage exceptionnel rassemble les voix de rescapés, le récit de cette nuit tragique et des photographies marquantes. Une immersion poignante dans une tragédie nationale, mais aussi un vibrant hommage à la solidarité et à la reconstruction.
Dans l’histoire des catastrophes naturelles, certains événements marquent à jamais la mémoire collective. Celle du 8 septembre 2023, où le Maroc a tremblé sous l’un des séismes les plus violents de son histoire, en fait partie. Un an après le drame, cet ouvrage est un témoignage où les mots et les images dialoguent pour restituer toute l’ampleur du séisme et de ses conséquences. Cinq auteurs contributeurs – Abdellah Chankou, Mustapha Sehimi, Seddik Mouaffar, Ahmed Zoubair et Laila Lamrani – font fusionner leurs plumes pour donner vie aux récits des victimes et à la résilience d’une société. Une écriture documentée, nourrie de déclarations bouleversantes, de descriptions précises et d’analyses approfondies. À travers des illustrations, des photographies et des souvenirs de rescapés, «Séisme d’Al Haouz» permet de mieux saisir la géographie des lieux, et de communier avec les femmes et les hommes qui ont vécu le drame. Au-delà du texte, c’est aussi un livre d’images saisissant, où chaque photographie raconte une histoire, figeant à jamais la douleur, mais aussi l’incroyable solidarité qui a suivi. De superbes clichés, soigneusement sélectionnés par des agences de presse notamment, dévoilent à chaque page les visages de ceux qui ont tout perdu, la puissance du chaos, mais aussi les mains tendues et les regards d’espoir qui ont surgi des décombres. L’impact émotionnel de ces images confère au livre une profondeur visuelle qui accompagne le lecteur au fil de cette immersion totale dans la tragédie et la renaissance.
La tragédie : la nuit où tout a basculé
Les auteurs nous plongent au cœur de cette nuit d’horreur, où le séisme a duré à peine 15 secondes, où le fracas des maisons s’effondrant a brisé le silence du Haut Atlas occidental. Il permet d’abord de nous situer dans la géographie du séisme à l’aide de graphiques qui révèlent l’espace topologique et les principaux sites qui ont été touchés. Grâce aux témoignages des survivants, le récit reconstitue minute après minute la montée de la panique, l’impuissance face aux secousses et la sidération des habitants devant leurs villages réduits en poussière. Les images de cette nuit donnent à voir l’effroi figé sur les visages, le chaos, et les premiers gestes de secours improvisés au milieu des ruines. «Les rescapés, vivant à proximité de l’épicentre, racontent, quant à eux, une nuit d’horreur absolue. Dans leur récit, certains survivants évoquent la férocité d’un grondement, un son si terrifiant qu’il continue à résonner dans leurs têtes pendant plusieurs jours… Les effets psychologiques traumatiques de l’après-séisme, autant sur les enfants que sur les adultes, ne sont pas négligeables.» Et si ces pages ne peuvent atténuer la douleur, elles constituent néanmoins un socle de mémoire: un rappel de la fragilité humaine face à la nature, mais aussi de la formidable force de solidarité qui naît de la tragédie.
Les dégâts: mesurer l’ampleur du désastre
Le livre dresse un état des lieux glaçant. Les chiffres sont implacables: près de 3.000 morts, 5.674 blessés, plus de 60.000 personnes précarisées et 50.000 habitations et infrastructures détruites. Des analyses sismologiques précises et des graphiques issus des grandes agences nationales et internationales permettent de comprendre l’intensité du tremblement de terre et mesurer ses dégâts. Cet ouvrage nous ancre dans la géographie du séisme. Ses illustrations mettent en lumière toute l’étendue du territoire touché, dévoilant à la fois la configuration des sols et le nom des principales villes et villages affectés. Cette mise en contexte visuel, cartographique, permet de saisir l’ampleur de la catastrophe et d’en comprendre la distribution, tant sur le plan topologique que démographique. Les lecteurs y trouveront ainsi les éléments nécessaires pour situer chaque zone sinistrée et mesurer toute la complexité de l’événement. «À Talat N’Yaaqoub, les masures traditionnelles et le souk ont été rasés. Dans ce décor de fin du monde, les morts se comptent par centaines. Les blessés aussi. Même les bâtiments modernes comme le dispensaire, la poste, les écoles ou les succursales de certaines banques n’ont pas résisté au choc du séisme. De nombreux habitants, qui possédaient des commerces prospères (cafés, restaurants, épiceries ou détenteurs de flottes de véhicules…) se sont appauvris en quelques secondes.»
Les monuments historiques touchés : un patrimoine blessé
Au-delà des pertes humaines et matérielles, le séisme a aussi frappé l’âme du Maroc en abîmant certains de ses plus précieux joyaux historiques. Ainsi 27 monuments dans 10 provinces ont été affectés sur l’ensemble du Royaume, des médinas séculaires aux mosquées ancestrales, de nombreux édifices classés au patrimoine national ont été endommagés. De la Mosquée de Tinmel qui remonte à l’ère des Saâdiens à Al Haouz à l’Église portugaise d’El Jadida, en passant par les kasbahs de Tinghir ou de Ouarzazate… Les clichés dévoilent les minarets effondrés, les remparts fissurés, les ksour millénaires désormais fragilisés. Ce chapitre est un cri du cœur pour la mémoire, une prise de conscience de l’importance de restaurer ces témoins de l’histoire. «À Taroudant, surnommée la petite Marrakech, des sites historiques de toute beauté, notamment ses remparts, classés au patrimoine mondial de l’Unesco, incarnés par une muraille de 7,5 km, construite totalement en terre cuite, ont subi des dommages considérables. L’onde de choc du séisme a également affecté, dans des proportions assez considérables, le patrimoine culturel de Ouarzazate et Tinghir, notamment les kasbahs de Taourirt, Aït Ben Haddou et Tifoultoute.»
L’entraide et la reconstruction : un peuple uni face à l’adversité
Après la sidération et la douleur vient le temps de la solidarité. Dans un chapitre dédié, l’ouvrage met en lumière le formidable élan de générosité qui a jailli dès les premières heures. Grâce aux instructions royales, une mobilisation rapide et efficace a permis d’apporter les premiers secours. Mais plus encore, ce sont les milliers de citoyens volontaires qui ont marqué les esprits. En quelques heures, des caravanes humanitaires se sont organisées, apportant vivres, couvertures et soins médicaux aux sinistrés. Les images capturent ces scènes de fraternité: des repas partagés sous des tentes improvisées et les premiers signes de renaissance dans un paysage meurtri. Au delà du drame, ce chapitre témoigne de la résilience profonde du peuple marocain et du travail de longue haleine qui s’amorce pour reconstruire mieux et plus sûr.
Karim Serraj (Le360)