Simone Bitton sort de l’ombre l’héritage juif du Maroc

Simone Bitton, une réalisatrice franco-marocaine, basée à Paris et dont le travail s’est principalement concentré sur l’histoire et les cultures de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, a fait ses débuts dans la section Masters de l’IDFA (Festival international du film documentaire d’Amsterdam) – sans doute la plus prestigieuse des sections du festival documentaire – avec la première mondiale de « Ziyara ». Le film a également été projeté lors de la 23e édition du Festival du Film Documentaire de Thessalonique, du 24 juin au 4 juillet 2021.

Bitton elle-même éprouve des sentiments mitigés à l’égard de la distinction de l’IDFA, comme elle l’explique clairement. « Je ne me considère pas comme un maître », dit-elle. « Je sais que j’ai une certaine expérience et peut-être que mon expérience est un peu particulière, mais être un maître, je ne suis pas sûre d’aimer ça. Cela vous place dans une catégorie, cela vous étiquette : C’est tout, c’est ce qu’elle fait. J’espère faire plus de films et peut-être des films différents. Néanmoins, je le prends comme un honneur. »

Pour Ziyara son dernier film en date, Simone Bitton est retournée dans son pays natal, le Maroc, où la « Ziyara » – ou « la visite des tombeaux de saints» – est une tradition populaire partagée par les juifs et les musulmans. Les pèlerins passent quelques jours à visiter les tombes des saints pour prier et communier avec la nature, faire la fête en plein air, rencontrer de nouvelles personnes et échanger des idées, et Bitton s’en sert pour comprendre l’héritage juif du pays. Marabouts, guérisseurs, kabbalistes, ces lieux vénérés sont plus de 650 à être répertoriés au Maroc, dont 150 saints partagés, c’est-à-dire communs aux deux religions.

Dans les années 1950, quelque 300 000 Juifs vivaient au Maroc, mais la plupart, y compris la famille de Bitton, ont quitté le pays après la guerre des Six Jours en 1967. Leur présence est encore perceptible dans les cimetières, les synagogues et les sanctuaires, et c’est pourquoi Bitton se rend dans ces lieux, interrogeant ceux qui se souviennent des années 50, ainsi que des jeunes et des universitaires qui sont inspirés par ces histoires inédites.

À bien des égards, il s’agit d’un voyage très personnel pour Bitton. « Je me rends à l’endroit même où tout a commencé pour moi », dit-elle. « Le Maroc est l’endroit où je suis née, où mon nom de famille est partout sur les tombes – c’est un nom juif très courant au Maroc – et c’est puissant quand on découvre cette histoire. J’ai quitté le Maroc quand j’avais 11 ans, et j’ai commencé à revenir environ 15 ans plus tard, en visitant plus souvent, avec le sentiment croissant que je deviens plus moi-même en y retournant. »

Cependant, le film lui-même n’est pas un voyage personnel dans l’histoire de sa famille : elle mentionne ses proches en passant, et même si Bitton utilise des images de son album de photos de famille privé, notamment des photos de sa mère et de son père, elle ne s’y attarde pas. Pour Bitton, c’est l’histoire au sens large – celle que l’on peut glaner en regardant ces vieux symboles, en visitant les sites religieux et en enquêtant sur ce passé – qui est intéressante. « Les Juifs marocains et les Juifs arabes en général, nous sommes comme des dinosaures », dit-elle. « Nous sommes comme une espèce en voie de disparition. Après une génération, il n’y aura plus de nous. Nous sommes déjà très peu nombreux à nous définir comme des Juifs arabes. Nous sommes dispersés, nous sommes devenus britanniques, français, israéliens, peu importe. Les enfants ne parlent plus arabe, c’est un exode, et c’est allé très, très vite. »

L’idée de réaliser « Ziyara » est venue lorsque Bitton a commencé à visiter des cimetières et des sanctuaires juifs au Maroc. « Ce qui s’est passé, c’est qu’après avoir rencontré ces familles musulmanes modestes et humbles qui prennent soin de ces lieux, tout d’abord, mon dialecte est revenu. Je pensais avoir tout oublié. Au Maroc, j’ai été reconnu pour ce que je suis, et c’était un sentiment très fort. Quand c’est arrivé, je me suis dit qu’il fallait que je fasse un film avec ces gens-là ».

Comme elle l’a fait tout au long de son illustre carrière, Bitton apporte un nouveau regard inimitable et stimulant sur les complexités du monde arabe. « Je me suis intéressée au traumatisme des musulmans qui ont été privés de leurs voisins et amis juifs », explique-t-elle. « Je pense que la société marocaine et toutes les sociétés arabes sont encore traumatisées d’avoir perdu leurs Juifs. On ne le dit pas très souvent, mais je pense qu’il est temps de s’en préoccuper, avant qu’il ne soit trop tard ».

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