L’exécutif s’est mis à dos les syndicats et les mutuelles de santé avec son projet de loi qui fait basculer la CNOPS dans le régime de la CNSS. Décryptage d’une décision discutable.
Concocté par le secrétariat général du gouvernement qui vient de l’envoyer aux membres de l’exécutif et à leur chef, le projet de loi nº 54.23 relatif au basculement des fonctionnaires de la Caisse nationale des organismes de prévoyance sociale (CNOPS) vers les régimes de la CNSS sera bientôt présenté en conseil de gouvernement. Mais tout porte à croire que ce texte controversé, accueilli par une salve de critiques dans le milieu syndical et mutualiste, ne passera pas comme une lettre à la poste…. Le premier à crier au scandale est l’UMT qui a dénoncé dans un communiqué virulent daté du 17 septembre une démarche « unilatérale » entreprise « en dehors du dialogue social » tout en fustigeant l’inconséquence du gouvernement par rapport aux « intérêts de 3 millions d’adhérents et de leurs ayant-droits ». La vingtaine de mutuelles, acteurs pionniers de l’assurance maladie au Maroc, composant la CNOPS , un organisme qui affiche plus d’un siècle d’existence au compteur, ont à leur tour haussé le ton en rejetant, via un communiqué, le projet de loi en question qui remet en cause leur existence et leur rôle historique dans le système de soins… En ce début de rentrée politique, le fond de l’air est à la tension. Ambiance…Le gouvernement a expliqué la nécessité d’intégrer la CNOPS dans le régime CNSS par le souci d’harmonisation du système de soins national dans le cadre d’un gestionnaire unique…
Or, c’est connu, en politique, les bonnes intentions cachent souvent des arrière-pensées et ce qui est présenté comme une réforme visant à parachever le chantier de la généralisation de la protection sociale n’est pas dénué de calculs purement financiers. L’intégration de la CNOPS dans la CNSS n’est ni plus ni moins moins qu’une opération de sauvetage d’un organisme de prévoyance menacé de faillite imminente.Entré en déficit depuis 2016, la CNOPS qui vit depuis des années sur ses réserves sera officiellement en cessation de paiement en 2026. Ce qui se traduira par l’incapacité de remboursement des soins de santé de ses adhérents et leurs familles. Mais comment en est-on arrivé à cette situation désastreuse ? Une série de facteurs sont en cause. A commencer par un taux de cotisation très faible de 5% prélevé sur la masse salariale (dont s’acquitte à parts égales le fonctionnaire et l’État-employeur) avec un seuil minimal de 70 DH et un plafond de 400 DH. Telle est la cotisation maximale que paie un fonctionnaire, nonobstant son rang, sa hiérarchie et son niveau de salaire ! Malgré son caractère dérisoire en total déphasage avec la réalité du coût des prestations de santé, ce taux, tout comme son plafonnement, est resté figé depuis des lustres alors qu’il aurait fallu le revoir à la hausse pour introduire au moins un équilibre entre les recettes et les dépenses de la branche maladie et faire éviter à la CNOPS une faillite programmée.
Pourtant, les décideurs politiques avaient le choix entre deux possibilités : augmenter le taux de cotisation ou réduire les prestations de soins. Mais ils n’ont curieusement opté ni pour l’une ni pour l’autre, au risque de laisser se creuser le trou de la CNOPS et de compromettre définitivement sa viabilité. Tout ce qui a été entrepris comme changement c’est la transformation du statut de la CNOPS qui devient , en vertu d’un décret-loi adopté en 2018 sous le gouvernement Al Othmani un établissement public avec une nouvelle dénomination : la Caisse marocaine de l’assurance maladie (CMAM). Selon le président de son Conseil d’administration Miloud Massid, réuni le 20 février 2019 (le 19ème et dernier Conseil version CNOPS), cette refonte juridique était censée, parmi ses objectifs proclamés, remédier aux problèmes de gouvernance du régime de l’Assurance maladie obligatoire (AMO) géré par la CNOPS au profit du secteur public et des étudiants. Mais c’était juste un cautère sur une jambe de bois puisque les dépenses de santé de l’ex-CNOPS ont continué à exploser sous l’effet de l’envolée des prix de bien des postes (médicaments, dispositifs médicaux, actes chirurgicaux, analyses biologiques, examens radiologiques, …). Les chiffres de la charge des soins dentaires laissent bouche bée : ils sont passés de 76 millions de DH en 2006 à 561 millions de DH en 2016 ! Une folie ! Comme si cela n’était pas suffisant, l’État a fait porter à la CMAM la charge indue de l’achat des vaccins anti-covid. Une facture très salée qui a grevé le budget de la Caisse et creusé son déficit. Les multiples alertes de son directeur général, Abdelaziz Adnane, pour redresser la situation, sont restées lettre morte.
Le gouvernement Akhannouch, qui a hérité de cette patate chaude , est mis en alerte d’urgence. Comme il n’est pas dans la disposition d’esprit d’explorer d’autres pistes de sauvetage, il voit dans le régime de la CNSS la seule planche de salut pour une CNOPS au bord de la faillite. Surtout que la Caisse de sécurité sociale dispose d’un excédent budgétaire de quelque 40 milliards de DH. « Ce trésor de guerre a pu être constitué par la CNSS grâce à un taux de cotisation assez élevé de 6,36% sur la masse salariale du secteur privé et à la non-révision depuis 2006 de la tarification nationale de référence (TNR) qui fait que les assurés sont sous-remboursés par rapport aux frais de soins engagés », explique un expert du secteur. Il ajoute : « Avec le scénario retenu du basculement de la CNOPS vers la CNSS, les pouvoirs publics ont en vérité transféré le déficit du premier organisme dont les comptes sont malades vers le second financièrement en bonne santé ». Faut-il en déduire que la CNSS va devoir anesthésier la loi de la séparation des branches pour puiser dans ses propres fonds afin de financer le déficit du nouveau venu en prenant en charge le remboursement des soins médicaux de 3 millions de fonctionnaires et de leurs familles ?