Adieu l’ami…

Mohamed Selhami, feu Khalil Hachimi Idrissi et Abdellah Chankou dans les locaux de Maroc Hebdo.

La presse nationale a perdu sa figure de proue, un esprit libre et brillant, qui a réservé sa belle plume aux grands combats du pays et à la défense de ses valeurs.

Khalil Hachimi Idrissi est décédé, samedi 8 avril 2023. Il était âgé de 67 ans. KHI, pour les intimes, est parti un peu tôt, emporté par la maladie contre laquelle il a lutté jusqu’au bout, tout en s’accrochant avec le peu de force qui lui restait à une possible rémission. Mais Dieu dont la volonté est imparable  l’a rappelé à lui. C’est dans une ambiance empreinte de vive émotion et de recueillement  que se sont déroulées les funérailles du défunt dimanche 9 avril au cimetière Chouhada à Rabat. Journalistes, hommes politiques, artistes, écrivains, ministres… Ils sont tous venus en amis  éplorés par son décès  pour partager leur deuil avec les membres de sa famille et lui rendre un dernier hommage. Chrif, comme je l’appelais, était pour moi plus qu’un collègue ou confrère. C’était un frère aux côtés duquel j’ai fourbi mes armes de jeune journaliste. Je faisais déjà partie de la rédaction de Maroc Hebdo International  fondé par Mohamed Selhami lorsque feu Khalil y débarque, plein de fougue et de bonhomie,en provenance de France. Ici, à Paris précisément, il animait  des émissions dans des radios communautaires qui ont explosé dans la foulée de l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir en 1981. L’homme de radio, titulaire non d’un diplôme en journalisme mais  fort d’un troisième cycle en géographie de l’université Paris 1-Panthéon Sorbonne, trouve naturellement sa place au sein de l’équipe de MHI, premier journal privé indépendant qui a vu le jour dans le sillage de l’éclosion du processus de démocratisation du pays  au début des années 90. MHI était aussi une véritable école où sous la houlette de son fondateur les journalistes apprennent le métier sur le tas. Passionné par le métier d’informer  dont il maîtrise les techniques, ce natif de Casablanca marque rapidement son territoire journalistique, notamment avec son « Billet Bleu » où il donne la pleine mesure de son talent et qui ne tardera pas à s’imposer comme un must du genre que le gotha des décideurs attendait chaque vendredi avec impatience. En plus de capter l’air du temps avec panache et maestria, sa chronique qui le révèle en le faisant connaître auprès d’un large public  servait aussi à croquer les hommes politiques. Le style,  fluide et caustique, est original.

L’auteur savait y mettre du mordant, de la dérision. Du cœur  aussi. Le tout agrémenté  de quelques traits d’esprit. Belle plume. Grande facilité d’écriture. En moins de 30 minutes, installé devant son mac, chrif accouche, comme on dit dans le jargon, dans la joie et la bonne humeur. Pour lui, écrire c’était jouissif. Un sacerdoce. L’exercice, il faut le reconnaître, ne lui a pas valu que des amis. Mais lui n’en avait cure, « avec le Billet Bleu, je ne cherche pas à plaire, ce n’est pas un panégyrique », lançait-il, le ton enjoué à ceux qui trouvaient que ses textes étaient parfois durs. KHI était aussi un excellent polémiste. Dans ce domaine, il est à la fois intraitable et  imbattable. Ceux qui avaient essayé de le provoquer sur ce registre y avaient laissé des plumes. Figure de proue de la presse nationale, Khalil Hachimi Idrissi poursuit son aventure médiatique  dans un autre média, le quotidien Aujourd’hui le Maroc,  qu’il fonde en 1999 dans la foulée de la succession monarchique.

Chaque jour, les lecteurs ont droit au « Petit Bonjour », son édito,  où il commente l’actualité en dézinguant ceux qui la font avec sa maestria habituelle. Dans cette expérience exaltante, je l’ai accompagné pendant cinq ans comme rédacteur en chef,  dans un esprit de cœur et d’esprit qui n’exclut pas l’exigence professionnelle. Bien au contraire. Il  la renforce et la sublime même si des fois on divergeait sur la façon d’aborder certains sujets politiques. J’ai partagé avec KHI pendant plus d’une décennie l’amour du métier de journaliste et la passion du devoir d’informer dans le respect des règles déontologiques. Avant que le destin ne nous sépare. Alors que je décidais de me lancer  dans la presse satirique avec Le Canard Libéré, lui devient directeur général de la MAP qu’il modernise  parfois dans  l’adversité en diversifiant ses activités. C’est cela feu Khalil Hachimi, un homme créatif et dynamique, débordant d’idées et qui va jusqu’au bout de ses projets. Derrière sa carapace dure à percer  se profilait un homme très sensible, un sentimental qui s’exprimait en rédigeant des recueils de poésie. J’appréciais en lui l’homme de culture et de lecture, la belle mécanique intellectuelle, un orfèvre distingué de l’écriture avec son style concis et incisif.

Toujours tiré quatre épingles, il était un bon vivant qui a vécu pleinement pour sa famille, son métier, ses amis de la corporation et au-delà. Assurément, le paysage médiatique national a perdu un grand journaliste professionnel doté d’immenses qualités humaines. Modeste, accessible et généreux. Jamais avare de son savoir, toujours disponible pour donner un coup de main. Le Lions club où il était avec son grand ami Abdou Moukite un membre très actif se souviendra à jamais de son engagement sans faille auprès des personnes défavorisées. J’en garde aussi le souvenir d’un patriote, intransigeant sur les valeurs, qui a réservé sa plume aux combats du pays contre les nihilistes de tout poil.

Adieu mon frère. Paix à ton  âme.

Nous sommes à Dieu et à Lui retournons.

Message de compassion royal

S.M le Roi Mohammed VI a adressé un message de condoléances et de compassion aux membres de la famille de feu Khalil Hachimi Idrissi.

Dans ce message, S.M. le Souverain indique avoir « appris, avec une vive émotion, la nouvelle du décès de l’illustre écrivain-journaliste feu Khalil Hachimi Idrissi, qui a répondu à l’appel de Son Seigneur en ces jours bénis du mois sacré de Ramadan, entouré de la miséricorde et de la bénédiction divines ». En cette douloureuse circonstance, le Souverain fait part aux membres de la famille du défunt, et à travers eux, à sa grande famille médiatique et culturelle, ses amis et ses admirateurs, de Ses chaleureuses condoléances et Ses sincères sentiments de compassion face à cette lourde perte, la volonté divine étant imparable, implorant le Très-Haut de leur accorder patience et réconfort. « Nous nous remémorons, avec beaucoup d’estime, les grandes qualités humaines du défunt, sa compétence professionnelle avérée, son intégrité, son engagement et son abnégation dans l’exercice de ses fonctions en tant qu’écrivain, responsable médiatique et directeur général de l’Agence Maghreb Arabe Presse, outre son dévouement et sa sincérité dans la défense des constantes et des valeurs sacrées de la Nation et son ferme attachement au glorieux Trône Alaouite », souligne S.M. le Roi. Le Souverain prie le Très-Haut de combler « votre cher défunt de Son immense miséricorde, de le rétribuer amplement pour les précieux services qu’il a rendus à sa patrie et à sa société et de l’agréer parmi ses fidèles vertueux ».

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