Le ministre de la Justice s’est retrouvé à nouveau au cœur d’une tempête politique en relation avec les résultats du concours d’accès au barreau, accusés d’avoir été tripatouillés. Explications.
Ce qui est remarquable avec Abdellatif Ouahbi c’est qu’il a toujours une polémique au frais. Avant même que la première ne s’éteigne après avoir fait grand bruit, il prépare avec maestria la suivante qui crée autant de remous. Après la grosse controverse sur la fiscalité des avocats dont il avait dénoncé le caractère sous-déclaratif et qui suscita récemment un grand vent contestation contre l’instauration du prélèvement à la source, le voilà qui se retrouve en ce début d’année au cœur d’une grosse tempête politique en relation avec les résultats du concours écrit d’accès à la profession d’avocat.
Dès sa publication, la liste des admis à l’oral et qui sont au nombre de 2.081 subira une véritable levée de boucliers avec de demande d’une enquête formulée par un groupe de recalés qui a mis en doute la sincérité des résultats du concours en question. La raison ? La liste des heureux futurs avocats n’est pas assez socialement juste à leur goût car dominée selon eux par des noms issus de familles aisées, à commencer par celle du ministre lui-même. Les fils de pauvres auraient donc été exclus au profit des gosses de riches. C’est au nom de cette injustice réelle ou fantasmée qu’une coordination des «candidats recalés à l’examen d’aptitude à l’exercice de la profession d’avocat» sera même constituée pour dénoncer avec force slogans lors d’un sit-in devant le Parlement de supposés irrégularités.£ A en croire les accusations anonymes distillées sur Facebook et relayées par certains sites électroniques, l’opération de sélection aurait été entachée de pratiques frauduleuses flagrantes (favoritisme, clientélisme et copinage) et de manipulations des notes. Le tout dénoncé, avec force documents balancés comme preuves sur les réseaux sociaux.
Mais que seule la justice pourrait authentifier au cas où le parquet déciderait de s’emparer de ce dossier et mettre en examen le ministre de la justice sur la foi de plaintes pour manipulation des résultats de ce concours, déposées à son encontre par certains candidats s’estimant lésés. Prenant les devants, le ministre rejette toutes ces accusations en arguant qu’il est disposé à rendre publiques les notes des participants au concours au cas où la Commission nationale de contrôle des données personnelles (CNDP) lui en donnerait le feu vert. Tout à sa dynamique impulsive, M. Ouahbi a aggravé son cas en créant une controverse dans la controverse, en parlant de son fils avec son style, mi- gouailleur, mi- hautain. Aux micros tendues à son excellence, il s’énerve à la fin sur la question d’un journaliste sur la réussite de son rejeton à l’issue de ce concours de tous les soupçons et met les pieds dans le plat comme jamais : « Mon fils a deux licences, il a étudié à Montréal. Son père est riche et lui a payé ses études à l’étranger » ! Séquence ravageuse. Le Ouahbi frappe fort.
Le mal est fait
Il se surpasse. Déchaînement d’indignation et de colère. La presse nationale et étrangère en fait ses choux gras. Ce n’est pas tous les jours qu’un ministre de la Justice se vante d’être riche et de payer des études au Canada à son fils ! L’écart de langage de trop ! De là à l’accuser de mépriser l’école marocaine et les fils du peuple qui y sont scolarisés, il n’y a qu’un pas que les détracteurs du ministre ont vite franchi… Voilà qui apporte de l’eau au moulin de ceux qui ont cherché à tort ou à raison à donner à l’affaire un tour de « lutte des classes», de « fils du peuple de l’école publique désavantagés par rapport à ceux qui ont fait leurs études à l’étranger ». Ce procès en falsification relance le concept sociologique du déterminisme social selon lequel la position sociale de chacun est fixée à la naissance. Pour rattraper le coup et tenter d’éteindre l’incendie qui risque de faire cramer définitivement son image déjà très chahutée, il accourt le lendemain à la télévision, TVM pour ne pas la citer, où il dit tout le bien qu’il pense de l’université marocaine. En vain. Le mal est fait. Le scandale ne faiblit pas. Il prend même des proportions énormes sur fond de rumeurs médiatiques sur sa demande formulée au Premier ministre, lors du Conseil du gouvernement du jeudi 5 janvier d’être déchargé de ses fonctions.
Le vœu du ministre sera exaucé via un communiqué attribué au cabinet royal, posté dans la soirée du dimanche 8 janvier sur les réseaux sociaux. Le document s’avère être une fake news. Le bidonnage mediatico-virtuel bat son plein pendant que le ministre maladroit a tenté sur le plateau de 2M d’afficher sa sérénité et de redorer son blason face à ce qu’il considère comme une non-affaire. Abdellatif Ouahbi qui a tenté de minimiser l’affaire n’est pas sorti de l’auberge. On le dit fragilisé jusque dans son propre parti où certains amis proches lui ont tourné le dos alors que d’autres refusent de le prendre au téléphone. Le message est clair.