Beaucoup de parents ont du coup le sentiment que l’école à distance n’est en fait qu’une sous-traitance aux familles d’un apprentissage au rabais et qu’il s’agit d’un prolongement du confinement des enfants par un autre moyen.
Depuis le 7 septembre, toutes les écoles, situées dans les zones jugées à risque comme Casablanca, sont fermées. Du coup, les cours en salle de classe ont été délocalisés en ligne, dans le cadre des mesures visant à juguler la propagation de la pandémie Covid-19. Vive l’école à la maison? Pas du tout. L’enseignement en ligne arrange peut-être les enseignants qui font ainsi l’économie de l’école conventionnelle avec son interactivité positive et sa dynamique de groupe. Mais ce n’est pas une bonne affaire pour les parents qui doivent arrêter de travailler pour assurer l’encadrement et le suivi de leurs enfants surtout s’ils sont en bas âge (entre 7 et 12 ans). Or s’improviser instituteur n’est pas chose aisée, cela requiert des compétences pédagogiques, une connaissance de la psychologie des enfants et une maîtrise des matières enseignées. Ce qui tourne au calvaire pour les parents qui ne savent pas comment s’y prendre devant cette situation pour le moins inédite.
Le papa devant en général aller au travail, c’est la maman qui se trouve ainsi prise au piège, obligée d’apprendre comment fonctionne un ordinateur, une plate-forme en ligne et expliquer à son enfant ce qu’il n’a pas compris pendant la séance. Et quand la mère au foyer ne sait ni lire ni écrire ou dotée juste d’un savoir rudimentaire, l’affaire tourne à la torture. Partagée entre ses tâches domestiques quotidiennes et l’impératif de voir son enfant réussir sa scolarité, elle ne sait plus où donner de la tête, plus perdue qu’elle ne l’a jamais été. La détresse des ménages hautement démunis est encore plus forte dans la mesure où ils doivent se débrouiller pour équiper leur progéniture du matériel informatique nécessaire. Une dépense malvenue de plus pour un résultat incertain.
En plus, de nombreuses familles n’ont pas accès à l’internet haut débit, nécessaire pour se brancher sur les plates-formes d’enseignement à distance. Dans d’autres, un seul téléphone cellulaire est disponible, appartenant généralement au père et dans d’autres encore ce gadget relève du luxe.
Cette situation pose évidemment un problème d’égalité devant l’accès au savoir, ce qui est de nature à exacerber la baisse du niveau scolaire due à une école en proie à mille et un problèmes.
Beaucoup de parents ont du coup le sentiment que l’école à distance n’est en fait qu’une sous-traitance aux familles d’un apprentissage au rabais et qu’il s’agit d’un prolongement du confinement des enfants par un autre moyen. Le grand perdant dans cette histoire c’est l’élève bien entendu, qui se retrouve face à face avec un ordinateur, une tablette ou un smartphone. Sans cours en présentiel avec un professeur en chair et en os, et entre quatre murs, il se sent affranchi des règles habituelles (attention, discipline et écoute, etc.) qui ont jusqu’ici structuré sa scolarité. Bonjour la distraction et l’inapplication.
Chaleur affective
Difficile dans ces conditions de soutenir que l’enseignement à distance est une réussite devant les remontées de terrain, seules juges dans ce domaine. Or, celles-ci sont négatives appuyées par du vécu notamment des parents et des éducateurs. Les critiques sont nombreuses, qui soulignent toutes que ce mode éducatif n’est qu’un pis-aller dans le contexte de crise sanitaire actuelle. Aux problèmes techniques qui ne sont pas souvent faciles à surmonter pour des enfants (bugs de la connexion internet, difficultés de la manipulation des plates-formes éducatives …) s’ajoutent la difficulté d’assimilation des cours. Les professeurs ont du mal à retenir l’attention des petits apprenants. Une attention qui se brouille et se perd quelques minutes après le démarrage de la séance. A distance, les élèves en général sont largués facilement, ce qui risque d’aggraver le nombre des décrochages notamment chez les enfants en difficulté. Ce n’est pas non plus évident pour les élèves y compris les brillants d’entre eux de trouver leur rythme dans cette école virtuelle où suivre les explications du professeur et tout comprendre est une véritable gageure. Et puis, travailler à distance est une nouveauté pour la majorité des enseignants au Maroc et même ailleurs qui n’ont pas été préparés à l’enseignement virtuel dont ils ne maîtrisent pas toutes les ressources techniques.
Nul doute que le corps enseignant sincère et engagé n’est pas content de cette situation qui le prive de ce qui contribue grandement à la réussite de ses élèves et leur épanouissement : la chaleur affective et la dynamique collective, le contact des uns avec les autres où la récréation occupe une place prépondérante. De l’avis de tous les psychologues qui ont tiré la sonnette d’alarme sur l’école virtuelle, le lien social et affectif, indispensable à l’équilibre psychologique et cognitif, a été rompu par l’enseignement à distance qui, lui, favorise le repli sur soi et le déséquilibre. Dans une approche anticipatrice très discutable qui respire plus panique que la sérénité, les autorités marocaines ont annulé la rentrée scolaire en présentiel à Casablanca et d’autres villes jugées à risque. « L’apprentissage en mode distanciel, s’il se prolonge plus que de raison, portera le coup de grâce au système éducatif national qui est déjà très en mal-en-point », estime un expert. « L’enseignement à distance est un mal nécessaire qui nous permet de gérer la crise sanitaire», explique-t-on du côté du ministère de tutelle. Or, ce dernier est-il conscient que l’enseignement à distance est le meilleur moyen de pratiquer la distanciation avec l’apprentissage ?