L’association islamiste interdite, qui a mis beaucoup d’eau dans son thé, ne cache pas son désir d’être intégrée dans le jeu politique.
Le nouveau manifeste politique dévoilé le 6 février 2024 par Al Adl Ihsane (Justice et Bienfaisance) n’en finit pas de susciter des réactions mitigées dans le landerneau politique. Et pour cause…Le document long de 196 pages, qui se veut selon ses promoteurs un acte de clarification des positions de Al Adl Wal Ihssane sur un certain nombre de fondements institutionnels , constitue une évolution notable dans la doctrine de l’organisation fondée en 1973 par cheikh Abdessalam Yassine.
Al Adl Wal Ihssane nouvelle version, qui n’en est pas à sa première déclaration écrite, a mis de l’eau dans son thé, ne cachant pas, à en juger par les sorties médiatiques de certaines de ses figures, son désir d’être intégré dans le jeu politique. À l’instar du PJD qui a été légalisé en 1996, parvenant même à accéder au pouvoir, avant d’en sortir très affaibli, voire décrédibilisé au terme d’une décennie qui n’a pas été un long fleuve tranquille pour les amis de Benkirane. En montrant aujourd’hui patte blanche, Al Adl Wal Ihssane cherche-t-il à se positionner en future alternative politique crédible dans un paysage partisan qui n’en offre pratiquement plus, tellement il est déconsidéré par les affaires, miné par l’incurie de ses élus et usé par le pouvoir ? « Nous sommes prêts , prière de nous essayer, nous avons mûri», semblaient dire Arsalane et ses compagnons. Plus qu’un appel du pied ou un ballon d’essai, une offre de service…Mais tout dépend de l’état d’esprit du pouvoir et surtout de ses projets. Est-il disposé à normaliser sa relation avec cette enseigne islamiste et prendre un pari sur l’avenir?
Principes dogmatiques
Pour la bonne cause, les idéologues d’ Al Adl donnent des gages de confiance non négligeables comme l’abandon des concepts fondateurs du référentiel doctrinal de feu Yassine comme la Qawma (soulèvement populaire) qui déboucherait sur l’instauration de la Khilafah (califat), considéré désormais, selon les dires du porte-parole de l’association Fathallah Arsalane, comme un idéal d’union de toute la Oumma islamique, un peu sur le modèle de l’Union européenne ou l’internationale socialiste. A y regarder de plus près, ces principes dogmatiques ont juste changé de terminologie dans la nouvelle plate-forme de l’association . Faut-il pour autant considérer cette évolution sémantique comme une rupture plus ou moins nette avec la vision ou les visions du père fondateur qui ont historiquement émaillé la littérature du mouvement et nourri la méfiance des autorités ? Ce qui a valu à la Jemaa l’interdiction, toujours en vigueur, des pouvoirs publics et à son guide sacralisé par ses ouailles d’être expédié dans un asile psychiatrique. Cet instituteur de formation originaire de la région de Essaouira eut le toupet d’interpeller feu Hassan II via un épître, intitulé, «l’Islam ou le déluge » où il conteste son statut de commandeur des croyants tout en lui encoignant de s’engager sur « la Voie Droite ». Pour le monarque défunt, seul un fou oserait un tel crime de lèse-majesté. Le « fou » sera ensuite assigné à résidence jusqu’en 2000, mesure levée au lendemain de l’avènement de S.M le Roi Mohammed VI. Ce qui n’empêche pas ce dissident de la Zaouia boutchichia, adepte de la prédication et non de la violence, de récidiver en publiant un « Mémorandum à qui de droit », adressé au souverain. Que d’eau a coulé sous les ponts de Bouregreg (Salé était le lieu de résidence du cheikh) depuis sa disparition en décembre 2012. Si le mouvement reconnu mais toléré, n’a pas fait émerger une figure tutélaire et charismatique de l’envergure du cheikh, il n’a rien perdu de sa capacité de mobilisation et de nuisance qu’elle a démontrée à plusieurs occasions notamment lors du mouvement du 20-Février. Cela dit, il est toujours difficile de connaître avec précision le nombre de ses adeptes, un secret jalousement gardé, qui avancent masqués pour ne pas être identifiés par les autorités. Et c’est toute la force de cette organisation qui a investi bien des professions et une partie de l’administration où elle compte une armée de militants et de sympathisants d’un bon niveau intellectuel. Cela fait 50 ans que Al Adl Wal Ihssane a vu le jour. Fatigués par des années d’activisme sous surveillance qu’ils doivent certainement vivre comme un jeu stérile, voire contreproductif, les dirigeants du mouvement n’ont qu’un seul objectif : Sortir de leur statut contraignant de semi-clandestinité et voir enfin le bout du tunnel. Pour le cercle politique du mouvement , il y a plus que jamais un coup politique à jouer…