L’écosystème du cannabis thérapeutique commence à prendre forme au Maroc. Les premiers produits issus de cette plante longtemps stigmatisée seront bientôt accessibles au grand public. Explications.
Il s’agit d’une gamme de produits comestibles à faible teneur en THC (la principale molécule active recherchée par les fumeurs dans le cannabis récréatif) et riche en CBD (cannabinoïde réputé pour ses vertus médicinales et cosmétique).
Le CBD entre en effet dans la composition de nombre d’aliments comme le chocolat, les boissons ou les tisanes destinés au public qui veut consommer du cannabis sans planer. Question de variété de semences contenant pas plus de 1 % de THC cultivées désormais au Maroc conformément à la nouvelle réglementation sur le cannabis médicinal adoptée par le Royaume. Les cultivateurs de cette nouvelle plante certifiée légale, limités aux provinces de Al Hoceima, Chefchaouen et Taounate, se frottent les mains. Les transformateurs et les vendeurs aussi. Certaines estimations font état de revenus entre 4 et 6 milliards de DH générés en 2028 par ce nouveau business fort d’un potentiel thérapeutique énorme.
Avec un vote de 27 voix pour, 25 contre et une abstention, la Commission des stupéfiants des Nations-Unies ( CND) a ouvert la voie en 2020 à la reconnaissance du potentiel médicinal et thérapeutique de cette drogue.
Dès lors le Maroc, grand producteur de cette plante prisée surtout pour son usage récréatif, s’introduit dans la brèche pour exploiter les bonnes propriétés de cette plante décriée. Il s’agit d’une grande victoire pour les partisans du cannabis et ses consommateurs invétérés aux quatre coins du monde, vu que la plante et sa résine étaient jusqu’à présent considérées comme des substances favorisant fortement l’abus et ayant un très faible intérêt médical. Ce changement de classification est conforme aux recommandations de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) qui s’était appuyée sur des études scientifiques pour émettre un avis favorable à l’utilisation du cannabis.
Celui-ci est utilisé depuis plusieurs années dans la conception de médicaments à l’instar de l’opium ou la morphine. Reste à obtenir la même requalification au niveau du droit international qui le considère comme un stupéfiant frappé d’interdiction et dont le commerce est considéré comme un trafic illicite.
Alors que plusieurs pays ont dépénalisé depuis longtemps la culture et la commercialisation de cette plante à des fins thérapeutiques, les autorités marocaines ont préféré attendre avant de s’engager sur cette voie, quitte a se couper d’une manne fabuleuse alors que de nombreux pays y compris dans le continent africain se sont déjà lancés dans le business du cannabis médical. Le Lesotho, un petit pays de 2,1 millions d’habitants, est devenu en 2017 le premier pays africain donner son feu vert pour la culture du cannabis médicinal. Un an plus tard, c’est au tour de l’Afrique du Sud d’aller jusqu’à légaliser, sur décision de sa Cour constitutionnelle, la consommation de la marijuana récréative.
Le 16 décembre 2019, le gouvernement zambien décide à son tour d’autoriser la culture du cannabis sur son territoire tout en affichant sa volonté de l’exporter à des fins médicinales et économiques. Classé au rang de 4e producteur mondial de haschich par l’ONU en 2017, le Liban désireux de relancer son économie ravagée qui pourrait profiter d’un milliard de dollars chaque année au titre de l’exportation de la plante très prisée dont Israël voisin a déjà dépénalisé l’usage thérapeutique. En pleine expansion, le business du cannabis est appelé à se développer dans les années à venir.
Selon une étude du cabinet Arcview Market Research, le cannabis à des fins thérapeutiques a réalisé aux Etats-Unis- qui en interdit cependant l’usage récréatif à l’échelle fédérale – un chiffre d’affaires de 6,9 milliards de dollars en 2016, soit 30% de plus qu’en 2015, et pourrait générer 21,6 milliard de dollars d’ici 2021. Une manne fabuleuse qui fait saliver bien des pays, au rang desquels figure le Canada.
La légalisation du cannabis par ce pays de l’Amérique du nord en octobre 2018 a ouvert des perspectives très prometteuses pour la commercialisation du cannabis thérapeutique, associé au bien-être et récréatif. Une poignée d’entreprises comme Aphria, Cronos, Canopy Growth, Aurora Cannabis, OrganiGram, Canntrust et Tilray ont investi le créneau et œuvrent sans relâche pour mettre au point une gamme de produits dérivés afin de conquérir de grandes parts de marché à l’export. Principale cible : le marché américain où son usage médicinal est autorisé dans pas moins de 30 États.
Bataille commerciale
Dans cette perspective, bien des sociétés qui ont pris les devants et commencent déjà à nouer des alliances stratégiques, investissent à tour de bras dans la R&D, déposent des brevets et mettent au point des produits innovants. Dans cette bataille commerciale aux enjeux financiers colossaux, les techniques marketings sont également mobilisés en vue de créer des marques de confiance et contribuer à modifier la perception négative du cannabis chez le client.
La science du cannabis est en plein essor. Son industrie s’est offert les services des scientifiques spécialisés les plus en vue (génétique, métabolisme, santé, techniques horticoles et industrielles). Il y a énormément de blé à ramasser. Il faut juste oser et cultiver la bonne approche. En France, l’idée du cannabis thérapeutique fait sérieusement son chemin. Le pays va expérimenter durant deux ans son usage à partir du premier semestre 2020 suite à une décision adoptée en novembre 2019 par l’Assemblée nationale. Une décision qui devrait soulager de nombreux malades souffrant de certaines pathologies pour lesquelles les remèdes classiques sont devenus inopérants. Le Canada l’a bien compris en autorisant ses patients atteints de certaines maladies incurables comme le sida ou le cancer à fumer un joint ! En Australie, le cannabis à usage médical est légal depuis 2016.
Le continent fait même partie des pays à avoir autorisé son exportation en 2018. Dans l’Union européenne, 21 pays sur 28 autorisent, à des degrés divers, le cannabis à usage thérapeutique. Dans ce domaine où la France est à la traîne, force est de reconnaître que les Pays-Bas ont été les précurseurs en permettant dès 2003 aux personnes atteintes de maladies graves (sclérose en plaques, sida, cancer, syndrome de la Tourette…) ou de douleurs chroniques de se procurer en pharmacie des médicaments à base de cannabis, sur présentation d’une ordonnance médicale.
En Allemagne, le cannabis thérapeutique est en vente libre depuis 2017. « Les patients pour lesquels toutes autres possibilités de traitement ont été épuisées peuvent obtenir une prescription médicale pour des fleurs de cannabis séchées et des extraits de qualité standardisés délivrés en pharmacie », indique l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT) dans un rapport datant de décembre 2018. Le Royaume-Uni a rejoint en novembre 2018 les pays ayant légalisé ce type de cannabis.
Ce dernier est prescrit par des médecins spécialistes sous forme de pilules ou d’huile mais pas sous forme de joint. En Italie, la marijuana est une affaire de l’armée qui en assure la production ; en République tchèque, la prescription et la délivrance du cannabis sont très restrictives; en Macédoine du Nord, le cannabis est en vente libre sans ordonnance.
En Norvège, l’usage thérapeutique n’est pas ouvert à tout le monde. Les autorités étudient les demandes d’autorisations au cas par cas.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, cette même Union européenne où le cannabis est élevé sans complexes au rang de business florissant n’a de cesse de faire pression sur le Maroc pour lutter contre la culture et le trafic du cannabis à un moment où de plus en plus de pays membres et autres ont brisé le tabou de cette plante aux bienfaits médicinaux reconnus.
Un énorme potentiel à exploiter…
Le Maroc pourrait récolter quelque 100 milliards de DH de la production du cannabis en cas de sa légalisation avec une structuration de la filière, à en croire un rapport récent publié par l’institut Prohibition Partners.
En ces temps de disette financière provoquée par la crise sanitaire liée au Covid-19, une telle manne ne se refuse pas. Ce même centre, qui a évalué le potentiel africain du marché du cannabis médical à quelque 7 milliards de dollars, indique, en se basant sur des chiffres de l’ONU, que 80% de la production nationale du cannabis était destiné à l’export en 2017, alors que les 20% restants sont dédiés à la consommation locale.
Le cannabis à usage récréatif au Maroc procède d’un phénomène culturel bien enraciné dans les mœurs des habitants du nord du pays qui fument le fameux sebsi.
Ce qui fait que plusieurs adeptes de cette plante qui fait planer ne comprennent pas pourquoi sa consommation a été criminalisée. Peut-être parce que le cannabis possède un potentiel autrement plus destructeur que celui de l’alcool ou des armes par exemple ?