Il faut vraiment avoir le cœur à l’ouvrage pour exercer le métier de libraire. Réalisant l’essentiel de son chiffre d’affaires pendant la rentrée scolaire, celui-ci doit gérer une multitude de casse-têtes liés principalement à la pénurie des livres scolaires ou carrément leur inexistence.
Alors que le mois de septembre touche à sa fin, certains manuels scolaires de l’enseignement public sont toujours introuvables : l’édition Morchidi langue arabe pour le collège et l’édition Al Jayyid mathématiques pour CM1.
Le casse-tête se prolonge donc pour les parents obligés de crapahuter de libraire en librairie avec l’espoir de dénicher ces livres inexistants. En vain. Ce scénario qui se répète à chaque rentrée scolaire trouve son origine dans plusieurs facteurs. Parmi ceux-ci l’impression d’exemplaires en quantités limitées pour éviter la perte d’argent au cas où le stock ne serait pas écoulé dans son intégralité. Ce qui est très souvent le cas puisque les éditeurs agréés par le ministère de l’Éducation nationale mettent chaque année sur le marché de nouvelles versions « actualisées et enrichies » du même livre de la saison précédente. Or, les changements apportés sont la plupart du temps insignifiants ( modification d’une photo ou léger remaniement d’un texte et parfois petit décalage de l’ordre du foliotage des textes) ne devraient nullement justifier ce renouvellement perpétuel et cachent en fait une recherche effrénée du profit au détriment des intérêts de l’élève et des parents. Or, les mises à jour des manuels scolaires ne doivent en principe se faire qu’à l’occasion des réformes des programmes, tous les 4 ou 5 ans, qui se traduisent par des niveaux de production assez importants et donc de gains exceptionnels pour les éditeurs.
Il est vrai que le modèle économique du scolaire, dont les chiffres de vente sont fluctuants, a ses particularités mais la manière chaotique dont il est géré au Maroc et la multitude d’éditeurs qui opèrent sur ce créneau exhale des relents mercantiles. C’est l’avis de tous les acteurs y compris des enseignants qui se voient contraints de gérer malgré eux d’innombrables contradictions qui confinent parfois à l’absurde. Les libraires qui ne sont pas mieux lotis pointant de leur côté l’importance du volume des invendus qui augmente d’année en année du fait notamment du renouvellement des éditions du livre scolaire du public. « Les invendus du livre scolaire représentent pour nous une perte sèche puisque l’éditeur ne les récupère pas », déplore un libraire du quartier Maarif . «Les libraires vendent les manuels scolaires à leurs risques et périls et voient les petites marges qu’ils réalisent sur les différentes fournitures scolaires englouties par les exemplaires non vendus », fustige un autre, une pointe d’agacement dans la voix. Un libraire du centre-ville a trouvé, lui, une solution radicale : cesser de vendre le livre scolaire de l’enseignement public dont il dit avoir accumulé des stocks énormes au fil des années et de commercialiser exclusivement les livres de l’enseignement privé. « Après avoir dressé un bilan minutieux, nous avons réalisé que le business du livre scolaire de l’État nous fait perdre de l’argent à cause de ses petites marges et l’ampleur de ses invendus », explique-t-il, la mine grave. Les invendus sont générés aussi par les livres de la filière du privé mais dans des proportions moins importantes. «Là aussi, il arrive que des livres, pour la plupart édités à l’étranger, connaissent quelques mises à jour mais ce n’est pas aussi fréquent que pour les éditions du cru», indique un libraire du quartier Habous.
Préférence nationale…
La rentrée scolaire 2022-2023 a été également marquée par des tensions sur certaines fournitures scolaires notamment les cahiers et les cartables d’importation. Pour les cahiers, la marque la plus demandée par certaines écoles et missions étrangères est Oxford, appréciée pour sa qualité qui se paie cher, a connu des problèmes d’approvisionnement. En cause, une décision gouvernementale prise en pleine pandémie du Covid 19 visant à promouvoir les produits de fabrication locale en général et qui a eu comme effet de bloquer les produits Oxford et d’autres labels étrangers dans les services des douanes au port de Casablanca. Le même sort a frappé les cartables importés dont fait partie la marque américaine des sacs de cours Eastpak, très appréciée par les collégiens et autres lycéens pour sa bonne qualité. Ces cartables ont été soumis pour la première fois à un contrôle de conformité à la norme locale NM 09.2.250 qui implique l’obtention préalable de l’autorisation d’accès au marché délivrée par les services de surveillance du marché relevant de la direction générale du Commerce. Cette exigence a engendré pour les importateurs concernés un grand retard dans l’accomplissement des formalités de dédouanement et par voie de conséquence un problème d’approvisionnement du marché en cartables et cahiers d’importation. D’où la pénurie constatée dans plusieurs points de vente qui ont dû se satisfaire des stocks de l’année précédente.
Résultat : L’instauration de la préférence nationale sur les fournitures scolaires et les blocages douaniers qui en ont résulté ont profité à deux opérateurs principalement, l’imprimerie moderne et Mapaf (situées toutes les deux à Casablanca) dont l’activité englobe aussi la distribution de fournitures scolaires importées comme les stylos,
les crayons de couleur, les cartables… Bref tout l’attirail dont ont besoin l’écolier et l’étudiant. « Le produire local en matière de fournitures se limite aux cahiers dont la qualité laisse à désirer, explique un importateur. Et puis, les opérateurs locaux de par leur taille et nombre n’ont pas la capacité de satisfaire l’ensemble du marché national ». Un autre renchérit : « Oui à la préférence nationale et au soutien des produits fabriqués au Maroc ou par le Maroc. Mais ceci ne doit pas être imposé par des restrictions à l’accès des produits de qualité fabriqués ailleurs qui sont eux aussi demandés par une catégorie d’apprenants », fait observer un négociant en fournitures de bureau en général.