Les banlieusards dans le feu de l’action

Les images d’un chaos absolu…

Plus qu’une révolte de banlieusards  pauvres et désespérés, la France a vécu pendant quatre nuits successives les affres d’un soulèvement aux allures de guerre ethnique. Radioscopie d’un mal français qui menace désormais la stabilité du pays.

L’assassinat à bout pourtant mardi 27 juin d’un adolescent de 17 ans par un policier motocycliste après un refus d’obtempérer a mis le feu aux poudres dans des proportions inimaginables. Ce crime que rien ne justifie, qui dit beaucoup de choses, a échauffé  les esprits au-delà de l’imaginable. L’effet contagion tant redouté par le pouvoir n’allait pas tarder à se produire. Des violences urbaines, choquantes et d’une rare intensité,  éclatent  un peu partout en Île-de-France et dans les banlieues de grandes villes et moyennes (Paris, Marseille, Bordeaux, Lilles, Nantes…). Véhicules brûlés, mobilier urbain détruit, magasins vandalisés, bâtiments incendiés… En proie à une grande colère, les émeutiers s’en sont pris  aux symboles de l’État : commissariats, postes de police, mairies, moyens de transport… Les séquences de ces nuits de l’horreur et de la peur, filmées souvent par leurs propres auteurs et largement relayées par les réseaux,  ont donné à voir une France en proie à un profond désarroi.
Livrée aux flammes, aux pillages et aux saccages. Sur fond de confrontations avec des forces de l’ordre, visiblement dépassées par l’ampleur de l’insurrection qui avait les allures d’une guerre civile. A une année des Jeux olympiques, l’image de la France en prend un sacré coup. Ironie du sort, «la patrie des droits de l’homme se fait remonter les bretelles par le Haut-commissariat aux droits de l’homme qui a exhorté les responsables français à « s’attaquer sérieusement aux profonds problèmes de racisme et de discrimination raciale parmi les forces de l’ordre ».

Vues du Maroc, ces images de chaos absolu ont bouleversé plus d’un. Jamais la république française n’a semblé  aussi fragilisée, voire piétinée, vacillant sur ses bases, incapable de restaurer l’ordre et faire entendre raison  aux casseurs. Ainsi s’est jouée sous les yeux du monde entier la crise la plus grave de la présidence Macron qui a le chic de cristalliser les mécontentements en déchaînant les passions les plus folles  (Gilets jaunes, crise des retraites et maintenant soulèvement des banlieues). Mais le grand mal français, qui mine depuis des décennies la cohésion de son tissu social et concourt à l’affaiblissement de son identité nationale, vient évidemment de loin. Les troubles actuels viennent rappeler les maux, mille fois diagnostiqués, des banlieues françaises, temples de la «ghettoïsation ethnique», qui ont donné lieu à une littérature très abondante. Avec d’innombrables  mises  en garde, très peu prises en compte par le pouvoir politique, quant au danger que représente pour la  république cette France méprisée et ostracisée.

Crise la plus grave

Un sondage Odoxa-Le Parisien-Aujourd’hui en France publié en octobre 2015 révèle que les banlieues françaises souffrent toujours d’une image négative auprès des Français, dix ans après les émeutes de 2005 survenues après la mort de deux adolescents pourchassés par la police.Les personnes interrogées jugent ainsi que les adjectifs «pauvres» (79 %), «mal entretenues» (79%), «communautarisées» (78 %), «dangereuses» (71%) s’appliquent plutôt bien aux banlieues. Les résultats de cette enquête sont très parlants et en disent long sur l’image qu’elles renvoient aux Français.

Depuis 2015, les problèmes de la périphérie, à défaut d’être traités  sous un angle politique et pas seulement financier (programmes socio-éducatifs à grands renfort de subventions) se sont aggravés. Les évènements de ce fin juin 2023    doivent inciter tout décideur sensé à réfléchir et surtout à agir autrement. Il n’y a pas de solution miracle ou de dispositif  prêt-à-l’emploi mais un cercle vertueux à installer dans «  les territoires perdus » de la république et du lien à tisser avec ses populations surtout jeunes. Tout un programme. On a vu à cette déplorable  occasion des hordes d’émeutiers, jeunes et moins jeunes, qui n’ont peur de rien, échappant à toute autorité, utilisant à fond les réseaux sociaux notamment SnapChat pour  communiquer et partager leurs « exploits» :  saccages  de bâtiments,  incendies de véhicules et pillages des magasins… Au vu de la situation, cette génération,  paumée, sans repères et très agressive,  prête à tuer du flic,  il va bien falloir la prendre sérieusement  en charge.

Là où l’on voit que les problèmes de fond  de la périphérie, sous-traités aux maires par les gouvernements qui se sont succédé, se compliquent en l’absence des réponses qui tardent à venir. Résultat : les fractures dans cette France  périphérique s’aggravent au fil des années et deviennent à un moment donné, en revenant en boomerang, le danger numéro 1 qui menace la stabilité  de la France, son avenir commun et son vivre-ensemble brinquebalant. Pour avoir  tardé à mettre en place les outils à intégrer tous ses enfants indépendamment de leurs origines ethniques ou confessionnelles, la France risque de devenir une machine à désintégrer. C’est la lourde facture qu’elle paie aujourd’hui. «Nous avons concentré les populations souvent en fonction de leurs origines […] Nous avons construit une concentration de la misère et des difficultés […] Nous avons créé des quartiers où la promesse de la République n’a plus été tenue », avait reconnu en octobre 2020  un Emmanuel Macron lucide.

Rapports tendus

Mais plutôt que de s’attaquer à la racine du mal-être  des jeunes des cités, à savoir la non-reconnaissance qui enfante l’échec scolaire et le chômage, la pauvreté et le désespoir, il s’est fourvoyé dans l’élaboration en 2021 d’une loi décriée par l’opposition  sur « le séparatisme religieux » dont les soubassements sont sécuritaires avec un renforcement du pouvoir de l’administration dans de nombreux domaines notamment le culte (musulman), l’associatif et la famille.

La racine du mal français  vient du fait que la « France de souche » se vit et se projette sans ses banlieues et ses quartiers dits « difficiles »  qu’elle considère comme des lieux  interlopes et dangereux où il est risqué de s’aventurer. La fracture et les rapports tendus des banlieusards,  issus généralement de l’immigration, avec la république viennent de ce sentiment de ne pas appartenir à la société française alors qu’ils sont nés en France. Pire encore, ils sont  stigmatisés , discriminés négativement (élimination  lors de l’embauche sur la base de leur  nom ou couleur de peau) et considérés in fine  comme des étrangers dans leur propre pays.

Mais le spectacle médiatique offert par les représentants de la droite et de l’extrême droite montre qu’ils sont dans le déni total, préférant dénoncer des agissements de “voyous”, pointer  du doigt “l’absence de l’autorité parentale” en brisant des larmes de crocodile sur les milliards de la rénovation urbaine partis en fumée. C’est certainement plus confortable que de regarder la réalité en face et œuvrer sérieusement pour la changer en profondeur. Une telle cécité politique étonne et n’augure rien de bon pour l’avenir… Si certains jeunes des zones sensibles arrivent à s’en sortir par le sport, les études ou la musique, le gros des troupes vit en marge de la société en se livrant aux larcins ou en s’improvisant dealers de drogue…

C’est paradoxalement dans ces territoires sensibles que l’État exerce en même temps le gros de ses prérogatives, police et justice, pour combattre l’insécurité et la délinquance – tout en délaissant les véritables raisons à l’origine de ces phénomènes. Cette situation, qui fait des jeunes des cités la cible privilégiée d’une autorité répressive, engendre à son tour  une pression policière sans cesse accrue (contrôle au faciès brutalités, traitements discriminatoires) sur les habitants.

De nombreuses voix y compris sécuritaires ont dénoncé à plusieurs reprises un système qui a atteint ses limites. C’est dans ce cadre qu’il convient d’ailleurs de placer article L. 435-2, aujourd’hui au centre des critiques, qui a conduit au drame de Nanterre. Cette disposition autorise depuis 2017 les policiers à faire usage de leurs armes suite à un refus d’obtempérer. En 2022, elle a fait 22 morts, selon un décompte de l’AFP. Le chiffre est effarant. Un vrai permis de tuer ! Comme « les indigènes de la nation » ne sont pas reconnus comme des citoyens à part entière, ils mettent un point d’honneur à affirmer, parfois de manière ostentatoire, leurs origines, arabes, noires ou musulmanes.

La racine du mal français  vient du fait que la «France de souche» se vit et se projette sans ses banlieues et ses quartiers dits « difficiles»  qu’elle considère comme des lieux  interlopes et dangereux.

Avec des dérives  vers l’intégrisme, la manipulation des esprits et les petits trafics en tout genre… Cette réalité paradoxale renvoie  à la panne du  « modèle français d’intégration » qui,  malgré tous les efforts entrepris dans le cadre de la « politique de la ville » initiée sous Mitterrand avec le grand  Bernard Tapie, n’ont pas permis, à l’inverse du système anglo-saxon, de diluer les différences et les particularismes des uns et des autres dans un socle commun pour que la France fasse un peuple, une nation… Derrière cet échec se profile probablement le refus des dirigeants français d’accepter  cette réalité que leur pays est devenu une terre multiethnique et pluriculturelle et qu’il faut changer de réflexes et de paradigme. Mais pourquoi, diantre, la France a-t-elle réussi à intégrer les Italiens, Espagnols et polonais et pas les migrants issus de ses anciennes colonies majoritairement musulmanes?

En cause la laïcité que les responsables français érigent  en condition du « vivre ensemble » dans le respect des « valeurs de la république ». Or, le port du voile, qui enflamme le débat national, ne constitue en rien, n’en déplaise aux chantres de la droite et de l’extrême droite xénophobe, une atteinte à l’esprit de la laïcité et relève plutôt de la liberté individuelle. Faut-il en conclure que la France a un problème avec l’islam ou confond-elle islam en tant que religion monothéiste et islamisme en tant qu’idéologie ? L’islamophobie n’est pas une vue de l’esprit. C’est un phénomène bien réel dont sont victimes les musulmans de France dont le dernier en date est l’imam éclairé Hassan Iquioussen que la France de Gérald Darmanin (Voir le Canard Libéré du 18/1/2023) n’aurait jamais dû expulser du pays qu’il aime et dont il respecte les valeurs fondamentales…

En tout cas, le constat est là : l’instrumentalisation constante pour des considérations politiques inavouées de la deuxième religion de France, dont est issue pourtant une population de plusieurs millions de personnes, sature l’espace médiatique. Au point que l’intégration par la réussite scolaire, sportive ou économique apparaît moins importante que le débat sur le voile… Autre particularité bien française, lorsqu’une personne issue de l’immigration rencontre la réussite, le changement de  sa position sociale s’accompagne souvent d’un changement de perception des choses et  il n’est pas rare de la voir se transformer en « arabe de service » ou de « nègre de maison» qui défend  sur les plateaux télé  la pensée dominante, à l’opposé des intérêts et des problèmes de sa communauté, maghrébine ou noire. Et quand  la situation tourne au vinaigre comme cette fois avec les emeutes  actuelles, les imams agrées  de France sont invités à mouiller leur saroual pour lancer  des appels à l’apaisement dans un contexte ou « l’islam de France », traversé de tout temps par des influences diverses, est  bizarrement toujours à la recherche d’un interlocuteur institutionnel unique. En cause, l’activisme des pays aux intérêts antagonistes comme l’Algérie, le Maroc, la Turquie et même l’Iran qui tentent de contrôler l’islam local à travers leurs diasporas respectives. Au-delà de ses innombrables dégâts politiques, matériels et économiques, l’explosion des banlieues de ce fin juin 2023 relève de la pure violence dont la France aurait pu largement se passer. Nous avons malheureusement  assisté à un mouvement de rage dévastatrice sans leader ni projet, qui n’a été inspiré ni encadré par aucun courant politique. Un monumental gâchis…

La cagnotte de la haine

Une cagnotte de soutien à la famille du policier qui a assassiné à bout portant le jeune Nahel a été créée par un militant d’extrême-droite. «Soutien pour la famille du policier de Nanterre, qui a fait son travail et qui paie aujourd’hui le prix fort », dit le texte accompagnant la cagnotte, créée par l’ancien porte-parole de la campagne d’Éric Zemmour, et chroniqueur sur Cnews Jean Messiha. L’initiative est pour le moins provocatrice mais elle signifie surtout qu’il existe une prime substantielle à gagner par les proches de celui qui tue de l’arabe en France ! Sur  les réseaux sociaux, l’affaire a suscité une immense vague d’indignation. Un internaute a considéré les contributeurs comme des complices qui ont payé un tueur à gages pour éliminer le jeune Nahel.

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Jean Messiha.

Malgré la polémique qui enfle, les aides  affluent en masse puisque la cagnotte a récolté plus d’un million d’euros quatre  jours  après son lancement. L’argent continue à  pleuvoir dru sans que le gouvernement ne décrète  sa fermeture comme l’ont réclamé  de nombreuses voix qui la jugent immorale et illégale. C’est son promoteur qui devant le tollé immense soulevé par son opération finit par «  désactiver de nouveaux dons « mardi 4 juillet à minuit. Le montant atteint est colossal, 1 636 220 euros, et était sujet à  battre tous les records, dopé par une dynamique fielleuse. Ce n’est plus une cagnotte, c’est un terrible plébiscite  qui en dit long…Visiblement embarrassés par cette affaire scandaleuse, la Première ministre Élisabeth Borne et le ministre de la Justice Éric Dupont-Moretti se sont contentés de dire que cette cagnotte ne contribue pas à “ l’apaisement”.

Dans une affaire similaire, la cagnotte Leetchi en soutien à Christophe Dettinger,  boxeur qui avait juste  brutalisé des gendarmes lors d’une manifestation de gilets jaunes en janvier 2019, avait été annulée. Cette dernière, qui  avait récolté 145.000 euros, avait été considérée comme « contraire à l’ordre public » car considérée comme une contribution à  la violence contre les forces de l’ordre.

Dès lors qu’elle  n’a pas été  interdite par le gouvernement, la cagnotte du copain de Zemmour  en faveur du policier tueur  doit être conforme à l’ordre moral… Une idée qui tue !

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