Le recours excessif à la détention préventive contribue grandement à la surpopulation carcérale. Le temps est venu de recourir à des mesures alternatives pour désengorger les prisons…
La grande tare des prisons marocaines a pour nom la surpopulation. Régulièrement pointé du doigt, ce « vieux serpent de mer» du système judiciaire national a été de nouveau dénoncé par le délégué général à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion, Mohamed Salah Tamek lors de la discussion le 23 novembre à la Chambre des conseillers du projet de budget consacré aux prisons.
Selon ce responsable qui maitrise ses dossiers, le nombre de prisonniers est passé en un an, de 89.000 à 98.000 individus, soit une croissance de 10%. Devant les conseillers, Mohamed Salah Tamek a exprimé ses inquiétudes sur l’ampleur que prend ce problème au fil du temps. En cause, le recours excessif à la détention préventive dont le taux bat tous les records : 43% en septembre 2022 contre 39% en 2019. Ce sont les personnes accusées de délits mineurs (coups et blessures, vols à l’arraché et autres consommation de stupéfiants…) qui représentent le gros des prisonniers provisoires privés de liberté dans l’attente de leur procès. Les répercussions de cette pratique sont multiples.
En plus de contribuer à la surpopulation carcérale dans des proportions considérables avec tout ce que cela implique comme charges financières, elle aggrave la situation des prévenus en raison de la durée souvent indéterminée de leur détention et l’incertitude qui entoure l’issue de leur procès. La détention provisoire peut aussi s’avérer pénalisante pour les sujets dont l’innocence aura été établie après leur incarcération. Les autorités politiques et judiciaires sont conscientes de la gravité du problème. D’où les appels lancés depuis quelques années à la rationalisation de la détention préventive de telle façon à ce qu’elle devienne l’exception et non la règle.
Délits graves
Appels restés lettre morte jusqu’à présent alors que les juges ont la possibilité de recourir à des mesures de contrôle non privatives de liberté telles que la mise en liberté sous caution et n’utiliser la détention préventive que dans les cas de nécessité absolue en relation avec les délits graves.
Avec une moyenne de 80.000 détenus à l’échelle nationale (dont près de 8.000 entassés dans pénitencier de Oukacha, le plus grand du pays, dont la capacité d’accueil est de 5.800 prisonniers), le Maroc fait figure d’un mauvais élève qui traîne des pieds pour apporter des réponses efficaces à la surpopulation carcérale qui sape quelque part les efforts louables déployés par l’administration pénitentiaire pour humaniser les prisons. Même si la prison a dépassé de très loin sa capacité d’accueil, ses responsables n’ont pas le droit de refuser les condamnés. Ils sont obligés de se débrouiller pour leur trouver une place… Bientôt, on accrochera au fronton des pénitenciers : « complet» ?
La cause de cette affaire de surpopulation chronique ? La politique pénale nationale qui fait de la peine d’emprisonnement l’unique et seule solution dans un système où la justice recourt de manière systématique aux peines privatives de liberté de courte durée y compris dans les affaires de criminalité de faible ou de moyenne gravité qui représentent autour 60% des condamnations. Une situation aggravée par l’absence dans le dispositif judiciaire national du juge d’application des peines (JAP) dont le rôle d’une extrême importance consiste à proposer des réductions de peine, des régimes de semi-liberté, des permissions de sortie et même des relaxes pour des personnes qu’il aura jugées sans danger pour la société comme ces détenus malades et usés par l’âge, peinant à se mouvoir et qui paradoxalement sont maintenus en détention !
Montée de la criminalité
Toutefois, le recours à des mesures alternatives plus larges pour réduire la population carcérale dans des proportions significatives commence à faire son chemin et le ministre actuel de la Justice, Abdellatif Ouahbi, y est largement favorable. Le patron du PAM, convaincu de la nécessité de recourir à d’autres alternatives à l’enfermement pour soulager les prisons, veut même instaurer le bracelet électronique (voir encadré) ou les travaux d’intérêt général.
Les résistances à ce niveau-là commencent à reculer face à une volonté manifeste d’introduire une bonne dose de souplesse dans le dispositif judiciaire national. Objectif : dépasser les dysfonctionnements qui contribuent à la surpopulation carcérale.
Certaines catégories de détenus n’ont rien à faire en prison et auraient pu bénéficier d’une mesure d’aménagement de peine largement utilisée dans nombre de pays occidentaux, qu’est le placement sous surveillance électronique ou le bracelet électronique. En attendant un toilettage législatif qui permettrait de doter le pays d’une politique pénale efficiente et moderne, le gouvernement n’a d’autre choix face à la montée de la criminalité qui se nourrit de l’absence d’une réponse efficace aux problèmes sociaux qui minent la société, que de construire de nouvelles prisons pour élargir la capacité d’accueil
Compte tenu de l’amélioration incontestable au fil des années des conditions carcérales (effort notable sur la restauration, soins médicaux de haute facture, loisirs et autres activités d’animation), la prison au Maroc en est arrivé à une situation paradoxale : elle est devenue un lieu désiré par nombre de laissés-pour-compte qui en état de liberté n’ont pas au-dehors les moyens d’être nourris, soignés et même logés que quatre murs leur assurent sans bourse délier…Réalité douloureuse et amère qui souligne les paradoxes d’une société inégalitaire qui offre plus de chances aux détenus qu’aux individus libres mais démunis ! Dans un tel contexte carcéral susceptible de favoriser la récidive, il est naturellement tentant de s’interroger sur l’utilité de la peine et du séjour en prison surtout si la détention perd son pouvoir dissuasif et ne contribue pas à protéger la société contre les infractions et autres crimes.
Du coup, la question se pose: comment rendre à la prison sa fonction première? Seule solution, la transformer en outil de réinsertion de façon à ce que le détenu qui a purgé sa peine réussisse sa réintégration effective en société sans qu’il représente une menace pour son prochain. Tout un programme !
Bracelet électronique
Le bracelet électronique, placé à la cheville du détenu, présente de multiples avantages : Il permet d’exercer une activité professionnelle, de suivre un enseignement, une formation professionnelle, un stage ou un emploi temporaire, de rechercher un travail, de vivre normalement sa vie en famille, de suivre un traitement médical ou de s’investir dans tout autre projet d’insertion ou de réinsertion de nature à prévenir les risques de récidive. Au Maroc, ce dispositif ne serait pas facile à instituer en raison des moyens devant être mobilisés pour assurer la surveillance à distance du prisonnier. Il s’agit aussi de trancher la partie devant s’occuper de cette tâche : la police, la gendarmerie ou la prison. Le placement sous surveillance électronique nécessite aussi une coordination poussée dans un esprit de délimitation des responsabilités entre les différents intervenants dans ce processus.