Il est réglé comme une montre suisse. Tous les jours à la même heure, des millions de Marocains sont accrochés à leur postes de télévision, ordinateur ou smartphone pour suivre son bulletin sur l’évolution quotidienne de l’épidémie sur le territoire national. Qui est celui que l’urgence sanitaire liée au coronavirus a propulsé subitement au-devant de la scène ?
«Je suis né en 1965 à Fès où j’ai fait mes études jusqu’au baccalauréat que j’ai passé au Lycée Moulay Rachid qui fait partie des anciens établissements scolaires de la Médina. Je suis passionné de médecine mais je craignais ne pas pouvoir étudier cette discipline. Étant issu d’une famille assez modeste et conservatrice, je ne m’imaginais pas quitter le foyer familial pour poursuivre mes études en dehors de Fès.
J’ai donc déposé mon dossier à l’École Normale Supérieure pour devenir professeur de Sciences Naturelles du second cycle. Vu que j’avais d’excellentes notes, j’ai été admis sans coup férir. Agréable surprise, mon père m’a encouragé à sortir du cocon familial pour poursuivre ma voie à Rabat. Le choix paternel m’a poussé à passer le concours pour la faculté de médecine. Quand j’ai été accepté je ne voulais même pas le lui dire.
Après mes études en médecine je n’ai pas beaucoup attendu. J’ai intégré aussitôt la fonction publique, qui débuta pour moi par deux années de service civil, comme médecin généraliste à Beni Mellal. À l’époque Beni Mellal et Fqih Bensaleh faisaient partie d’une seule province. Pour mon premier poste, j’ai été affecté dans un centre de santé rural du côté de Fqih Bensaleh. J’ai fait le tour de quelques hospices publics ruraux, avant d’intégrer l’observatoire régional de l’Épidémiologie de Tadla-Azilal en 2001, sur proposition du délégué du ministère de la Santé de l’époque. De là, j’ai commencé à en pincer pour l’épidémiologie et la santé publique, ce qui a fait prendre un tournant à ma vie devenue rythmée de séminaires, de participation à des enquêtes et des études… J’ai été tellement dynamique et passionné par mon nouveau métier que j’ai été repéré par la direction de l’Épidémiologie et de lutte contre les maladies à Rabat. Heureux hasard du calendrier, il y avait à ce moment un partenariat entre le Maroc et la France, afin que deux candidats marocains puissent participer à un cours très prestigieux d’épidémiologie, qui a d’ailleurs toujours lieu en France. En 2002 je me suis donc rendu dans la région d’Annecy, dans le château de Mérieux avec un médecin qui luttait contre la fièvre jaune et autres maladies infectieuses… Son château, étendu sur 4 hectares, est l’un des centres de séminaires et de colloques scientifiques qui sont de renommée mondiale.
C’est dans ce décor paradisiaque que j’ai eu la chance de suivre trois semaines de cours intensifs en épidémiologie. Je me suis distingué par rapport aux autres participants, ce qui m’a valu d’être rappelé une année plus tard pour animer ce même cours. J’y suis retourné avec un immense plaisir d’ailleurs.
Juste après, j’ai été sollicité pour intégrer la direction de l’Épidémiologie et plus précisément le service de surveillance épidémiologique. En 2005 il y a eu la vague de départs volontaires à la retraite, et la personne qui gérait le service, un grand Monsieur que j’estime énormément, m’a proposé de prendre sa place et je me suis donc vu confier le poste.
Entre 2008 et 2010 j’ai été nommé directeur adjoint de l’Institut national d’hygiène à Rabat. J’ai notamment contribué à la mise en place d’un cours d’épidémiologie en partenariat avec les Center for Diseases Control and prevention des Etats-Unis (CDC-Atlanta). Ce cours s’appelle le FETP (Field epidemiology training program), un modèle que les Américains implantent dans un certain nombre de pays.
Heureux hasards
Le programme a démarré à l’École nationale de santé publique (ENSP), en tant que nouvelle filière. Jusque-là il y avait ici juste la filière de management et une autre dédiée à la gestion des programmes de santé.
Comme je n’avais pas encore de diplôme en épidémiologie, un document certifiant que je suis épidémiologiste, j’ai dû suivre mon propre cours que j’avais moi-même créé. C’était pour moi une opportunité d’apprendre d’autres disciplines utiles à la santé publique, telles que la planification, l’évaluation, le management… ainsi qu’un approfondissement de notions d’épidémiologie et de biostatistiques. J’y ai finalement obtenu un Master en épidémiologie en santé publique en 2012. J’ai regagné l’Institut national d’hygiène la même année. Deux ans plus tard il y avait un appel à candidatures pour le poste de chef de division des maladies transmissibles au sein de la direction de l’épidémiologie. J’ai postulé et j’ai été accepté à ce poste que j’ai occupé jusqu’à ma nomination en septembre à la tête de la direction d’Épidémiologie et de lutte contre les maladies.
Plusieurs heureux hasards, concours de circonstance et rencontres ont jalonné ma vie professionnelle.
Depuis le début de la pandémie, les gens associent les bilans journaliers du coronavirus à mon visage. Le ministre de la Santé m’a fait confiance, et je l’en remercie, pour communiquer sur les chiffres de l’épidémie. D’ailleurs, c’est notre direction qui a établi le plan d’action et c’est elle qui a toujours pour mission de se préparer et de riposter aux épidémies et d’élaborer les programmes de lutte contre les maladies transmissibles et non transmissibles, ainsi que les dispositifs de lutte contre les facteurs de risques environnementaux.
Mon travail va bien-au-delà du bulletin journalier, sur l’évolution de l’épidémie. Mes journées sont chargées. Je débarque au bureau tôt le matin avant tout le monde. Ce calme matinal me permet de m’imprégner des dossiers importants qui nécessitent mon implication personnelle, avant que mes collaborateurs ne commencent à arriver. À partir de là, c’est une succession de réunions, d’entrevues, de documents à lire et à valider, des courriers à signer, sans oublier les programmes de santé, autres que COVID-19, qu’il faut continuer à faire fonctionner en parallèle. J’ai aussi des réunions en continu au centre national des opérations d’urgence de santé publique qui est une organisation au sein de ma direction, qui a pour mission de surveiller les données internationales, compiler et interpréter les informations locales, réclamer les données manquantes, faire les évaluations au jour le jour, pour affiner les mesures de riposte, avant de les formaliser par des décisions et circulaires à proposer au Ministre. Je me rends aussi très souvent au ministère de la Santé.
Une fois mon boulot terminé, je reviens à la maison pour me sustenter avant de rallumer mon ordinateur portable et me remettre au travail. Mon téléphone n’arrête pas de sonner. Appels téléphoniques, aussi bien de la hiérarchie, des responsables régionaux, des collègues responsables au sein du Ministère, des collaborateurs, des partenaires et des journalistes… Au début on ne dormait pas, il fallait rester éveillé, c’était avant les premiers cas, donc il fallait guetter les cas suspects, les prélèvements envoyés au laboratoire… Quand les premiers cas ont été annoncés, il fallait suivre chaque cas via des investigations épidémiologiques avec le ministre de tutelle, les responsables régionaux…
Je rends hommage à ma famille qui a bien compris l’importance de mon travail dans cette période cruciale. Mon fils aîné étant marié, je vis avec ma femme et ma fille qui se sont montrés compréhensifs. Ma femme est médecin, elle a donc instauré des mesures sanitaires draconiennes à la maison. Elles s’adaptent toutes les deux à cette nouvelle situation et c’est grâce à elles que je parviens à gérer mon quotidien professionnel difficile. Elles sont mon meilleur soutien. »