Nabil Adel : « L’endettement n’a jamais servi la cause de la croissance au Maroc »

Nabil Adel. Enseignant-chercheur, directeur du groupe de Recherche en Géopolitique et Géoéconomie de l’ESCA et membre du bureau politique du mouvement Maan.

Le Canard Libéré : La ministre de l’Économie et des finances Nadia Fettah Alaoui s’est prononcée récemment en faveur d’une possible sortie du gouvernement sur le marché financier international. Quelle est votre appréciation de ce nouvel emprunt en gestation ?

Nabil Adel : Le financement des dépenses publiques par l’endettement signifie que l’Etat n’arrive pas à générer suffisamment de ressources pour couvrir ses dépenses. Car, si la situation budgétaire s’améliore comme le dit madame la ministre, le Maroc aurait enclenché une dynamique de désendettement. Sous le gouvernement actuel, la dette augmente aussi bien en valeur absolue que par rapport à la richesse produite.

L’incapacité de l’exécutif à maîtriser les dépenses, en distribuant une richesse qu’il n’a pas créée, montre que la spirale de l’endettement ne fera que s’aggraver . En effet, la rallonge de 14 milliards de dirhams que vient de demander le ministre délégué chargé du Budget dément les déclarations de sa collègue.  

La sortie à l’international n’est donc pas un choix, mais une nécessité dictée par une gestion sujette à caution  des finances publiques et une certaine confusion dans les priorités gouvernementales

C’est connu, le recours à l’endettement joue un rôle crucial dans le développement d’un pays notamment dans le domaine des infrastructures mais peut-il devenir  un levier néfaste pour la croissance économique?

Justement, il n’y a pas de relation systémique entre endettement et croissance, ni dans la théorie économique, ni à l’observation empirique. Pour que la dette favorise la croissance, il y a plusieurs préalables qui peuvent être remis en question par n’importe quel événement conjoncturel. Dans certaines expériences de développement, l’endettement a effectivement joué un rôle positif alors que dans d’autres, il a été « un boulet » qui a non seulement eu un effet nul sur la croissance, mais a hypothéqué la souveraineté des pays qui en ont abusé.

Ce qui est certain, en revanche, c’est que l’endettement n’a en aucun cas servi la cause de la croissance au Maroc. En effet, notre dette a augmenté systématiquement depuis une quinzaine d’années par rapport à la production nationale, sans pour autant favoriser la croissance économique. Celle-ci est largement conditionnée par la performance des campagnes agricoles qui dépendent, elles, de la clémence du ciel. 

L’encours de la dette extérieure du Maroc est-il soutenable?

Les quatre grands enjeux économiques du futur, au Maroc et dans d’autres pays, sont la souveraineté énergétique, le déclin démographique, l’endettement public et la maîtrise de la donnée et donc de l’information. Pour le sujet qui nous intéresse, à savoir la dette publique, il sera au centre des préoccupations. Et pour cause, le déclin démographique et le vieillissement de la population que connaissent plusieurs pays fait qu’ils consomment plus que ce qu’ils produisent. La conséquence inévitable est une explosion de l’endettement, et ce, quelle que soit la richesse créée par ceux qui produisent. La dette n’étant autre que l’excédent de la consommation sur la production.

Au Maroc, le problème est double. D’abord, nous créons très peu de richesses par habitant, en raison d’une très faible productivité du capital humain (nous sommes classés parmi les derniers au monde), ce qui ne fera qu’aggraver notre problème d’endettement, en dehors de quelques améliorations ponctuelles du budget dus souvent à des éléments conjoncturels. Deuxièmement, le recours à l’endettement extérieur réduit les marges de manœuvre politiques de notre pays et obère sa souveraineté économique.       

Pensez-vous que le gouvernement fait preuve de transparence dans la gestion de la dette de telle sorte qu’elle soit favorable à l’investissement et à la croissance ?

Le souci n’est pas celui de la transparence, mais d’efficience dans la gestion des finances publiques. Contrairement aux autres gouvernements, celui-ci a la main plutôt légère dans l’engagement de dépenses, que ni notre croissance économique, ni nos recettes fiscales ne peuvent soutenir à moyen terme. Tôt ou tard, la machine se grippe.

Avant de commencer à distribuer des revenus à droite et à gauche, le gouvernement devait mettre le pays dans un sentier de croissance, au moins en ligne avec les ambitions du Nouveau Modèle de Développement et procéder à la réforme de la fiscalité dans le sens de l’élargissement de l’assiette. Les grands chantiers de l’Etat social et des infrastructures nécessaires à l’organisation de la coupe du monde 2030, requièrent des ressources stables (croissance économique et élargissement de l’assiette fiscale). Les financer par de la dette est non seulement irresponsable, mais dangereux. L’organisation par la Grèce des jeux olympiques de 2004, sans en garantir des moyens stables, l’a conduite droit à la crise de 2008. Une leçon à méditer !   

L’économie a des lois dont l’ignorance a coûté très cher à beaucoup de pays. Quelles que soient les ambitions des politiques, la réalité économique les rattrapera immanquablement.

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