Les défis qui attendent le système de santé national sont liés au financement de la santé certes mais surtout à l’adéquation besoin-demande-offre et à une gouvernance efficiente où le PPP pourrait jouer un rôle de premier plan.
L’adéquation entre besoin, demande et offre devrait être optimale mais ce n’est pas le cas car ce triumvirat est débalancé avec plus ou moins d’acuité selon les régions. Depuis la mise en place de l’AMO et particulièrement sa composante RAMED, l’Etat n’a pas réussi à adapter l’offre à la nouvelle demande de soins. Une des raisons à cela réside dans la non compréhension (ou analyse opérationnelle) du parcours de soins du patient marocain (parcours de soins « stochastique »). Les modélisations mathématiques et la réalité du terrain montrent que l’on explique la réalité, que dans 49% des cas, voire 50%. En fait, une bonne partie du comportement d’utilisation des services de santé n’est pas modélisable parce que il y a beaucoup de choses qui ne s’expliquent pas rationnellement. Pourquoi les indicateurs de productivité, de performance et de qualité des soins sont aussi différents entre les secteurs public et privés ? Pourquoi le partenariat public-privé qui a été expérimenté avec la dialyse, la tuberculose n’a pas été renforcé, optimisé et généralisé sur le plan organisationnel, de gouvernance ou de partage des responsabilités ? Pourquoi une médecine à plusieurs vitesses alors que nous pourrions avoir un paquet minimum de services de santé pour tous, accessibles, de qualité et évaluables ? La mission de service public est-t-elle par essence une responsabilité strictement étatique ? Je ne le pense pas et je reste persuadé qu’avec un canevas et des besoins définis, des gardes fous et des contrôles a posteriori nous pourrions faire mieux. Évidemment, il y a d’autres déterminants de l’atteinte des objectifs santé qui sont essentiellement sociaux et économiques dont le rôle est décisif dans l’utilisation des services de santé. La capacité de paiement des ménages, ce qu’on appelle le «out of Pocket », détermine l’utilisation des services de santé de façon importante mais pas uniquement.
La preuve en est que les principaux clients des cliniques privées sont les personnes possédant l’AMO et non pas une assurance privée. Par ailleurs 26% de «Ramedistes» (qui deviendront des «AMOISTES»), c’est-à-dire les populations les plus vulnérables, utilisent quand même les services d’une clinique privée alors qu’ils n’ en ont pas les moyens, ce qui les pousse vers l’emprunt familial ou l’endettement. En fait, on s’est rendu compte qu’au niveau des différents territoires ou régions il y a des effets paradoxaux de la couverture sanitaire universelle qui est fondamentale pour notre pays. Les plus pauvres utilisent les services de santé publique et appauvrissent les hôpitaux non préparés en termes de ressources pour faire face à cet afflux massif de patientèle vulnérable (75% de la patientèle des hôpitaux publics). La classe moyenne et aisée orientent dans 90% des cas les frais de santé vers le secteur privé et cela dans la majorité des régions du pays. La situation étant plus critique lorsque le secteur privé est peu développé dans les régions initialement défavorisées.
Au total, les défis qui attendent le système de santé national sont liés au financement de la santé certes mais surtout à l’adéquation besoin-demande-offre et à une gouvernance efficiente où le PPP pourrait être une des réponses majeures. Il faut repenser cette couverture sanitaire universelle à la lumière d’une offre qui soit en adéquation avec les besoins et la demande mais au niveau des régions, en tenant compte des disparités considérables intra et interrégionales. Il faut également tenir compte des déterminants épidémiologiques et de la compréhension de l’utilisation des services de santé au Maroc. On ne peut pas copier le modèle français ou le modèle allemand ou le modèle canadien. Il faut créer un modèle de financement de la CSU (Couverture sanitaire universelle) où la contribution des ménages soit capée à 25% des DTS.
Mission complexe
Il faut absolument que le secteur privé soit intégré dans cette mission de service public. Une mission de service public assurée en partie par l’État mais qui peut également être assumée par le secteur privé. Sa Majesté le Roi Mohammed VI a demandé une refonte du système de santé mais pas une réforme. Cette refonte passe également par un changement de paradigme. Un des leaders de l’économie de la santé en France disait qu’il ne faut plus parler de gouvernance mais de « gouvermentalité». Ce qui implique la nécessité de changer de gouvernance mais aussi de mentalité et ne pas voir dans le secteur privé un adversaire mais comme un partenaire dans une mission complexe et difficile à gérer par l’État seul ou le privé seul. Pour cela, il faudra avoir sans doute le courage de changer certaines choses dans la définition du rôle du ministère de la Santé qui doit rester, bien sûr, dans son rôle régalien mais sans être un prestataire de services à part entière. Dans ce cadre, il me paraît primordial de repenser l’unification des caisses d’assurance-maladie car nous avons probablement trop d’intervenants en matière de prévoyance sociale au Maroc avec une insuffisance de coordination, des prérogatives qui se chevauchent et une régulation peu optimale. Dans cette optique, la Haute autorité de la régulation intégrée de la santé ( HARIS) pourrait jouer un rôle crucial si elle est bien pensée, structurée, organisée et indépendante. En conclusion, il faut aussi beaucoup de courage politique parce que changer un système de santé nécessite du courage politique. Je suis pour que l’État reste fort dans son rôle de régulateur, de concepteur, de garant du droit à la santé qu’assure la Constitution mais avec plus d’équité sanitaire et plus d’accès aux soins.
Changer de paradigme veut dire que la voie de la couverture sanitaire universelle marocaine n’est pas spécialement la voie de la couverture sanitaire en France, n’est pas la voie de la couverture sanitaire en Allemagne, ou dans d’autres pays. Cette voie qu’il faut absolument revoir dans le cadre d’un parcours de soins coordonné, tenant compte des besoins locaux et des capacités socio-économiques et sanitaires de chaque région où le secteur privé, tout en étant tenu par l’obligation de résultats économiques, est mis à contribution pour une mission de service public. Le Maroc a besoin d’une couverture sanitaire universelle réelle. Mais il faut revoir sa mise en œuvre en termes d’accès total aux services de santé de qualité, efficients et abordables économiquement. On a paupérisé les structures étatiques hospitalières, on a aggravé dans certaines situations l’insatisfaction des patients par rapport au système sanitaire et on n’a pas amélioré de façon substantielle les dépenses catastrophiques de santé des ménages. Il faut penser région, PPP, évaluation, reddition des comptes et surtout, encore une fois, il faut penser à cette adéquation besoins-demande-offre si nous voulons arriver à un système de santé efficient. Parce qu’aujourd’hui, dans le contexte marocain, malgré tous les efforts qui ont été déployés, on ne peut pas accepter que le citoyen paye autant pour sa santé. La santé est un droit fondamental. Il est vrai qu’elle a un coût. Mais elle n’a pas de prix.