La situation épidémiologique au Maroc étant moins grave que dans beaucoup de pays occidentaux, les pouvoirs publics doivent capitaliser sur ce grand acquis sanitaire pour organiser sans trop tarder un déconfinement bien encadré sur le terrain, basé sur le triptyque: détecter, dépister et isoler.
Comme il fallait s’y attendre, décision a donc été prise par les pouvoirs publics de prolonger l’état d’urgence sanitaire de trois semaines. Censé prendre fin le 20 mai, il se poursuivra jusqu’au 10 juin, soit 21 jours de plus. Or, deux mois de confinement, qui a démarré le 20 mars dernier, sont censés être largement suffisants pour maîtriser la propagation de la maladie. Mais tout le monde l’a compris, derrière cette prolongation se cache le souci gouvernemental d’éviter les déplacements massifs de la population à travers les régions à l’occasion de Aïd Al Fitr. Ce qui est de nature à revitaliser la circulation du virus à grande échelle.
Craignant de voir la courbe des contaminations repartir aussitôt à la hausse au-delà du gérable, le ministère de la Santé estime qu’il est encore prématuré pour mettre fin au confinement et qu’il faut s’accorder une période supplémentaire pour que la situation soit complètement sous contrôle. Mais celle-ci le sera-elle vraiment dans les semaines et même les mois à venir ? Ne s’agit-il pas là d’une vue de l’esprit, sachant que le pays, qui a dépassé mardi la barre des 7000 cas confirmés, n’est pas à l’abri, même après le déconfinement, de l’apparition de clusters dans les usines qui continuent pendant le confinement à contribuer considérablement à la hausse du nombre des infections.
En fait, le prolongement de l’état d’urgence traduit la victoire de la ligne défendue par le ministre de la Santé Khalid Ait Taleb qui estime que le Maroc n’est pas encore prêt pour le déconfinement fût-il progressif. Tel n’est pas l’avis du ministre de l’économie et des finances et son collègue du commerce et de l’industrie Moulay Hafid Elalamy qui ont appelé publiquement les entreprises à reprendre leur activité après l’Aïd Al Fitr. L’on voit bien que le déconfinement divise au sein de l’exécutif et qu’il existe des divergences entre les membres du gouvernement sur le timing de la levée de l’enfermement général.
Les partisans de la relance du business se sont vus opposer par les tenants de la ligne prudentielle le risque d’un rebond des contaminations qui provoquerait un débordement des unités de soins. Or, le pays n’a pas la garantie d’une immunité infaillible contre l’apparition de nouveaux foyers d’infection qui peuvent surgir à tout moment. Si cela arrive, ce qui n’est pas impossible, verra-t-on M. Aït Taleb agiter de nouveau la muleta de l’envolée de la courbe pour obtenir un énième prolongement au-delà du 10 juin ? À ce jeu, on n’est pas sorti de l’auberge et le Maroc ne sera jamais déconfiné avec tout ce que cette frilosité comporte comme aggravation des déficits économiques.
Mortalité
Mardi 19 décembre, devant la Chambre des conseillers, l’argentier du Royaume, l’excellent Mohamed Benchaaboune, a estimé le manque à gagner pour le pays à 1 milliard de DH pour chaque jour de confinement. Rapporté au nombre de morts jusqu’à ce jour, soit près de 200, la facture est pharaonique. Moralité : Le Covid-19 tue au Maroc beaucoup moins les êtres humains que l’activité économique.
Visiblement, il y a un problème d’approche de la dangerosité du coronavirus. Au Maroc, les yeux des responsables de la Santé sont rivés depuis le début sur la courbe des contaminations alors que le curseur doit être normalement placé sur celle de la mortalité, comme c’est le cas sous d’autres cieux (en France, Italie, Espagne et Etats-Unis, etc…) où le taux de létalité est autrement plus important, les malades passant de vie à trépas quotidiennement par plusieurs centaines. Au Maroc, Dieu merci, ce scénario-catastrophe, pression sur les hôpitaux et moralité élevée, que tout le monde redoutait, ne s’est pas produit. Le pire a été évité grâce à la stratégie anticipatrice des pouvoirs publics, inspirée par le souverain, qui en décrétant au bon moment la fermeture des écoles et des activités non essentielles ainsi que la suspension des lignes aériennes, maritimes et terrestres ont permis d’aplanir la courbe des contaminations et protéger l’hôpital d’un afflux massif de patients. Or, les infections ne s’arrêteront pas avec la levée du confinement, comme en témoigne le contexte français où des cas d’infections et même des clusters ont surgi dans des écoles et des abattoirs quelques jours seulement après le déconfinement intervenu le 11 mai. Les autorités sanitaires nationales, qui font de l’excellent de travail en démontrant chaque jour qu’elles savent soigner le coronavirus mieux que plusieurs pays riches, doivent dépasser leurs angoisses de déconfinement. Sachant qu’il faut apprendre à vivre avec le virus jusqu’à ce qu’un vaccin soit mis sur le marché, le grand défi pour les pouvoirs est d’organiser sur le terrain un déconfinement progressif et maîtrisé dont la clé de voûte est : détecter, dépister et isoler. Objectif : casser les chaînes de transmission du virus. Parallèlement à cette action sanitaire cruciale et d’envergure, une vie économique et sociale sous contrôle reprendra petit à petit ses droits, avec une surveillance particulière des milieux à fort potentiel de contagion. Ces derniers ne sont autres que les usines où il s’agit, pourquoi pas, de placer un contrôleur public chargé de veiller au respect du protocole sanitaire sur les chaînes de production. Tout cela implique une grande responsabilité et nécessite des orfèvres du déconfinement capables de mener le royaume vers les rivages sécurisés de la relance. Limiter les dégâts qui sont déjà colossaux tout en saisissant les opportunités du jour d’après est tributaire de la capacité des départements de l’Intérieur et de la Santé, sur lesquels reposent la stratégie de déconfinement national, à maîtriser la situation sur le terrain.
Encadré
Remettre le tourisme dans le circuit
Le secteur touristique ne doit pas être le dernier de la chaîne à être déconfiné. Compte tenu de ses multiples effets d’entraînement, il mérite d’être en tête des actions prioritaires du gouvernement, dans la perspective non seulement des vacances d’été (tourisme intérieur) qui sont aux portes mais aussi de la reprise du tourisme international de séjour (TIS). Dans ce sens, il est tout à fait envisageable d’accompagner la réouverture des hôtels répondant aux standards internationaux et qui ont les moyens de mettre en place avec succès un protocole sanitaire rigoureux.
La vie a repris ses droits dans plusieurs pays, en Allemagne et en Scandinavie notamment. Connus pour être des amateurs du produit balnéaire, les touristes issus de ces marchés seraient vivement intéressés par la destination Agadir qu’ils apprécient particulièrement. Le pari est jouable surtout que la capitale du Souss affiche désormais seulement deux cas de contaminations au compteur…Le pays, dont l’économie a été saignée à blanc par le Covid-19, a tout à gagner à faire preuve dans la relance de la même anticipation pour se protéger contre le coronavirus et qui lui a valu l’admiration de l’étranger.